Jean-Fran�ois Bernardini, fondateur et chanteur du groupe polyphonique corse I Muvrini, adresse dans le quotidien � Le Monde � dat� de mercredi 6 mai 2003 une longue lettre ouverte � la veuve du pr�fet Claude Erignac, dans laquelle il tente d'expliquer les causes de la violence insulaire.
Dans trois semaines va s�ouvrir le proc�s des assassins pr�sum�s du pr�fet Erignac. Nous la reproduisons car c�est la premi�re fois qu�un Corse, proche des nationalistes, s�adresse ainsi � la veuve du pr�fet Erignac en des termes aussi �mouvants. Jusqu�alors les nationalistes corses avaient tendance � ignorer le drame de cette femme qui vit depuis le 6 f�vrier 1998 dans le souvenir de son mari, tu� pour rien dans une rue d�Ajaccio. Samedi 8 mai devrait �tre pr�sent� � la presse un texte sign� par plus d�une centaine de personnalit�s corses et cherchant � expliquer le geste du commando Erignac. Nous reviendrons dessus d�s lors que nous aurons le texte.
Ch�re madame Erignac, par Jean-Fran�ois Bernardini
Je ne sais trop ce que les �v�nements doivent et peuvent exiger de chacun de nous, ce en quoi un signe, une parole savent �tre quelquefois utiles, attendus, esp�r�s.
Je vous �cris, � vous et � vos enfants, parce que ma conscience m'y appelle, parce qu'elle est sortie bless�e de cette trag�die du 6 f�vrier 1998, qu'elle le restera ind�finiment, et que je serai toujours de ceux qui auront, ici, en Corse, le sentiment de vous devoir quelque chose.
Je ne le fais qu'en mon nom, mais j'ai beau chercher autour de moi, regarder les visages, �couter les c�urs, respecter les silences, j'ai beau chercher � savoir, � comprendre, � entendre, ici, aujourd'hui comme hier, � la veille du jour o� des hommes se retrouveront au carrefour de la justice, la souffrance est partout.
Je n'ai jamais rencontr� votre �poux disparu, mais je l'ai comme tout un chacun observ�.
Il a ind�niablement laiss� aupr�s de tous la marque de son int�grit�, sa droiture, la richesse de son �me, sa soif d'�tre proche du c�ur des hommes et femmes de Corse, au service d'un peuple qu'il aimait, qu'il estimait de toute �vidence.
M. le pr�fet Erignac, votre �poux, le p�re de vos enfants, restera � tout jamais une victime innocente que l'histoire des hommes a pos�e un jour sur l'un de ces ressacs o� s'en vont �chouer tous les revers de nos vies, les �clats de nos blessures, de nos histoires.
Au soir de cette trag�die, je me trouvais hors de l'�le. C'est d'ailleurs que j'ai entendu, r�entendu l'�cho d'un geste, une image, et s'il fallait un acte suppl�mentaire pour avoir un peu plus mal � ma terre, celui-l� advint en couronnement d'une d�j� longue, trop longue liste.
Tant de questions, d'incertitudes, m'ont renvoy� � mes principes d'humanit�, de dignit�, mais aussi d'inqui�tude et de responsabilit�, car la Corse a cette particularit� de r�partir entre tous ses enfants le poids de ce qui advient, le fardeau de ce qui pleure, une part de souffrance, une peine qui devient la peine de tous.
Quarante mille personnes sont descendues dans la rue, d'autres ont �rig� le plus lourd des recueillements, et pour la premi�re fois en terre de Corse, j'ai vu la foule, dans un cri du c�ur, applaudir au passage d'un cercueil, lors du dernier adieu � un homme ; pour la premi�re fois, comme un partage intense, comme si la Corse en deuil voulait faire valoir et entendre sa premi�re peine, sa premi�re justice, la justice du c�ur, de la peau, du sang dans ses veines, la justice que l'on se doit, que l'on rend quand on s'incline.
Au lendemain, d'autres questions ont bien s�r couru sur toutes les l�vres. Qui ? Comment ? Pourquoi ?
Des questions tellement l�gitimes, auxquelles d'autres suspicions ont cru bon de donner quelquefois une tournure doublement douloureuse, pour cette �le globalement soup�onn�e de complaisance tacite, de culpabilit� collective, de connivence, d'indiff�rence silencieuse, de surdit� au malheur de l'autre. Toutes ces choses grotesques qui distillent goutte � goutte les germes de l'incompr�hension, des distances et des rejets o� d'autres �difieront plus tard l'hypoth�se d'un probl�me de " peuple � peuple", de "m�urs � m�urs". Toutes ces choses qui r�pandent sur une communaut� enti�re une opacit� qui contribue � l'obscurcir, ces sympt�mes qui recrutent et pr�parent les d�chirures et les ressentiments de l'avenir.
Aujourd'hui, je vous �cris comme si ces simples mots voulaient entrer dans votre enfer, parcourir votre deuil entier, et la moindre id�e de pouvoir vous offenser un instant m'a longtemps fait h�siter.
Je vous �cris comme on �crirait au monde entier, tout droit de ma conscience d'homme, press� par les circonstances, sans r�v�lation � faire, sans v�rit� suppl�mentaire � dire, sans mandat de quiconque, sauf peut-�tre cette esp�rance d'augmenter une chance de justice, de paix, de gu�rison ; sauf cette esp�rance de dire un mot qui manquerait, ce mot que vous auriez besoin d'entendre prononc� par un enfant de cette terre, sauf cette soif de vous dire un de ces mots qu'un Corse parmi tant d'autres a sur le c�ur.
En d'autres circonstances, accompagn� de milliers d'hommes et de femmes, j'ai eu l'occasion de dire, d'�crire, de chanter, que tuer un homme, en Corse comme partout, ne peut pas �tre acte de justice.
De tous ceux qui m'ont aid� � grandir, � �tre, j'ai retenu � tout jamais cette goutte d'humanit� que j'ai d� lire dans leurs gestes, sur leurs visages : "...mieux vaut mourir plut�t que tuer...", et aucune solidarit�, f�t-elle communautaire, id�ologique ou de tout autre nature ne me ferait d�roger � cette r�gle ; toute mort d'homme est fratricide.
Chaque goutte de sang est le sang de mon fr�re ; l� est l'objet de mon premier tourment, mais � l'�vidence, cela ne suffit pas � pr�venir le pire.
Quelques mois apr�s ce drame, au d�tour de mes chemins, je n'oublierai jamais les mots de cette autre femme v�tue de noir ; elle semblait avoir travers� d'identiques peines, venir d'un m�me tourment, comme � pleurer les morts et pleurer les vivants ; elle portait un go�t de d�sesp�rance dont elle disait : "... tout cela nous enl�ve le bonheur de croire... le bonheur de vivre pour la Corse..."
Je ne connais pas son histoire, je ne sais rien d'elle, je l'ai juste secr�tement devin�e, devin� la couleur de son �me, le cri de son c�ur et j'ai retenu ses mots, les larmes de sa terre. J'aurais aim� les �crire sur tous les murs du monde.
En son nom, je ne remercierai jamais assez ces hommes et ces femmes qui m'ont appris, averti de ces �cueils tellement humains o� apr�s le pire reste toujours le prix du pire, ses cons�quences, ses meurtrissures dans tous les c�urs, ces �cueils o� dans le d�chirement, chacun pleure les siens, chacun de son c�t� : la plus inacceptable, la plus douloureuse des tristesses, la plus am�re des d�faites.
Ces hommes et ces femmes-l� m'ont appris un chemin fraternel et compassionnel auquel je suis rest� fid�le.
Comme eux, j'y ai inscrit ma d�termination � faire entendre une plus belle id�e de l'homme, une plus belle id�e de la Corse, une plus belle id�e du monde.
J'y ai grav� l'amour d'une terre avec en �cho, en parall�le, l'amour de toutes les terres du monde, tout comme je n'ai jamais manqu� de dresser l'inventaire d'erreurs historiques, politiques et humaines qui ont conduit cette �le sur la mauvaise route.
Convaincu que tout acte, que tout geste humain a quelque chose � nous dire, j'ai toujours cherch� � comprendre.
Obstin�ment, j'ai cherch� le sens de tout �v�nement, y compris et plus encore celui que je trouvais insens�, ne f�t-ce que pour ne pas laisser nourrir le cycle des recommencements, nous pr�munir, interdire � nos blessures de blesser qui que ce soit, nous pr�server de ces itin�raires o� les hommes, les peuples, finissent par se perdre quelquefois.
Dans un contexte o� chacun en a toujours jou� � profusion, je n'ai jamais na�vement condamn� la violence ; j'ai seulement tent� de mieux faire ; je l'ai combattue.
Je me la suis interdite, j'ai essay� de l'emp�cher.
J'ai combattu aussi les raisons de sa pr�sence.
A chacun de mes mots, chacun de mes gestes, j'ai tent� d'�uvrer contre toutes les violences car, voyez-vous, si la Corse est tragiquement grave parce qu'on y tue, parce qu'on y meurt, elle est grave aussi parce qu'on y vit.
Une terre o� l'�chec et la violence existent et persistent � ce point est peut-�tre le lieu o� s�vit un mal d'une autre nature que celle que l'on veut bien nous dire, enracin� en d'autres raisons que celles que l'on veut bien nous laisser croire.
Ainsi, je me suis toujours gard� de tout ce qui condamnait l'existence d'une violence, tout en organisant, en perp�tuant le terreau de l'injustice.
Je me suis interpos� l� o� j'ai pu, j'ai toujours fait le choix d'un peu de lumi�re l� o� s'�rigeaient les intransigeances, les radicalit�s bruyantes ou silencieuses, les affrontements.
Parmi tant d'hommes et de femmes qui ont donn� le juste exemple, cela est mon chemin d'homme ordinaire, port� par l'esp�rance d'un horizon plus juste, plus humain.
Dois-je vous dire que, si tant de choses m'ont fait, nous ont fait douter, vaciller, je n'ai jamais renonc�.
L� o� le juste �tait refus�, des hommes et des femmes ont pers�v�r�.
L'�volution des choses leur a souvent donn� tort.
D'ignorance en m�pris, d'incompr�hension en cynisme, beaucoup savent ici comment les mots sont devenus slogans, comment les slogans se sont mu�s en attentats, comment a �t� �rig�e non pas l'end�mique, mais la m�canique du pire.
Des radicalit�s de toute nature ont � regret trop souvent laiss� d�montrer, qu'il fallait ici payer le prix fort pour faire taire ou entendre des choses dont bon nombre semblent tellement l�gitimes � d�fendre ou � admettre par ailleurs.
J'en ai pris acte sans jamais me r�signer.
Les politiques men�es dans cette �le ont, pas � pas, abreuv� chez beaucoup cette conviction, cette profonde d�termination, que seul le geste du sacrifice ferait �voluer, avancer les choses.
L'intransigeance des conservatismes et celle des actions se sont ainsi mutuellement nourries en ennemis compl�mentaires, jusqu'� enfermer cette �le dans un �tau dont on sait d�sormais le prix qu'il co�te.
L� s'est peut-�tre solidifi� le premier particularisme corse.
Si le dialogue est devenu possible, il l'a paradoxalement �t� apr�s le 6 f�vrier 1998, gr�ce au courage initiateur de Lionel Jospin, puis celui de Nicolas Sarkozy, mais... � quel prix, et au bout de quelles douloureuses �tapes ?
La parole, le dialogue sont de toute �vidence un progr�s, peut-�tre un acquis, mais dois-je dire ici que la mani�re dont se trament et s'obtiennent les choses, me fait en la circonstance froid dans le dos ?
Ch�re madame Erignac, nous avons tous par devoir de croire en l'intelligence humaine ; c'est pour cette fois-l� que je parle, c'est pour cette esp�rance-l� que j'�cris.
Comment se nouent les drames, o� prennent-ils leur source, nous enseignent-ils quelque chose, avons nous tort ou raison de chercher � comprendre... ?
Je ne connais pas la r�ponse � ces questions, mais j'ai la faiblesse de croire qu'elles font toutes partie de nos secours, des moyens de nos esp�rances, nos esp�rances humaines.
Qui ? Comment ? Pourquoi ?
Du plus profond de mon �me, j'esp�re avec vous que r�ponse sera donn�e � ces questions qui doivent hanter tous les plis, tous les recoins de votre souffrance.
Que justice vous soit rendue reste la premi�re exigence de chaque conscience humaine ; c'est aussi la mienne.
A la veille de ce proc�s o� la souffrance sera partout, l� d'o� personne ne sortira victorieux et o� je n'ai le pouvoir d'aucune consolation, m'autorisez-vous cependant � vous dire que j'ai et aurai pour longtemps, trois profonds regrets, que j'esp�re apaiser un jour ?
Un premier regret qui me laisse croire chaque instant que si les aspirations les plus l�gitimes, les plus d�fendables avaient pu �tre entendues telles que, trente ans apr�s, on semble vouloir s'y orienter, cela aurait peut-�tre pu aider � faire l'�conomie de blessures, de meurtrissures qui p�sent et p�seront encore sur le seuil de nos c�urs, le seuil de nos consciences ?
Autre regret : r�entendre trop souvent ces propos qui pourraient s'additionner � votre indignation, ces propos tremp�s de d�go�t et de fatalit�, dress�s comme une supplique, un d�fi � l'Etat de droit, � la d�mocratie, dans la bouche d'un trop grand nombre de m�res, de femmes, d'�pouses de Corse : "... la justice ce n'est pas pour nous ; la mort de nos enfants disparus ne sera jamais pour l'Etat une cause sacr�e..."
Enfin, me reviennent au c�ur, comme l'�cho d'une sentence, un verdict, ces mots abrupts que la rue vous confie quelquefois, accabl�e qu'elle semble d'impuissance, ces v�rit�s sans fard dont on ne sait trop s'il faut les n�gliger, les r�futer ou bien alors les entendre plus que jamais. Aux lendemains qui ont suivi cette trag�die, j'ai entendu dire ici : "... inadmissible, inexcusable, mais... tristement pr�visible..."
L� sont mes regrets, l� est aussi mon autre tourment, et si je ne veux les verser � aucune sorte de d�monstration, je souhaite simplement en conscience et au titre de "douloureux indices", les voir inscrits un jour au n�cessaire chapitre qui pourrait illustrer "l'arch�ologie des fautes", la "tra�abilit� du sc�nario" qui nous m�nent l� o� nous en sommes.
En tout cela, je sais combien d'hommes et de femmes cherchent encore la confiance et la force qui seront n�cessaires pour d�faire l'�tau d'invivables alternatives qui brisent les r�ves, les enthousiasmes, les talents, les vies, sans pr�server quiconque des rechutes de la d�sesp�rance ni de leurs cons�quences.
Combien de bras seront de nouveau demain disponibles � ces intol�rables gestes ?
Combien de vies seront-elles demain les sacrifi�es, les autres suicid�es de cette soci�t� ?
Comment tarir la source o� va s'abreuver le go�t des "solutions finales"?
Comment des hommes ordinaires deviennent-ils capables de cela ?
Autant de questions, autant de peurs dont je supplie chacun d'admettre qu'elles sont ici comme une terrible crainte, un "�tat d'urgence" ; autant de questions qui me viennent � l'�me sans r�pit, sans repos.
Qu'est-ce qui tue en Corse ?
Comment s'est organis� l'envers sombre des choses, le processus de m�diocrisation du destin de cette �le ?
Tout a-t-il �t� fait pour r�colter une paix ?
Si l'indice de dangerosit� d'une soci�t� augmente chaque jour et de fa�on cyclique, les politiques men�es y sont-elles pour quelque chose ?
Tout cela est-il un hasard, une fatalit� ou un fruit ?
D'o� ces choses-l� peuvent-elles surgir ? D'autres diront laconiquement : "C'est simple... de nulle part... tout �tait l� depuis toujours... la violence... la x�nophobie... la paresse... la barbarie... les clans... la hantise de la justice, l'ingratitude... c'est la Corse..."
Continuant � exploiter et confondre "le malheur des hommes" avec "le mal qui les d�vore", quelques cyniques persisteront ainsi � soigner leur innocence, leur conscience, par des conclusions aux effets d�vastateurs.
Le discours sur la Corse a, il est vrai, et de toutes parts, ses non-dits, ses tabous. Il y r�gne une sorte de "loi d'ignorance" qui se compla�t avec d'autres r�gles du silence jusqu'� ce qu'inexorablement l'histoire se fasse entendre.
Le d�bat, les mots devraient aider � d�masquer l'erreur, le mensonge et la d�livrer du pire ? Le plus souvent, ils sont engloutis et pi�g�s sous une pyramide de poncifs qui n'est plus inoffensive.
A ce titre, la Corse n'est pas une exception : tout ce qui fait taire le mal finit toujours par le favoriser, le propager.
Parfois, je me dis qu'ici comme souvent, chacun a peut-�tre comme un profond d�sir de ne pas conna�tre la v�rit� ; est-ce parce qu'elle n'�pargnerait personne ? Est-ce parce que sa qu�te pourrait nous amener � reconna�tre toutes ces choses que nous ne voudrions pas voir, comprendre, ou bien alors, est-ce parce que, finalement et � tout jamais, l'�chec, la violence et la mort vont si bien aux enfants de cette terre ?
Au regard de tout point du monde o� l'on mise sur la d�pendance, le client�lisme, l'assistance, le conflit identitaire, alors que l'harmonie, les partenariats, l'�mancipation sont � port�e de main, est-il si ardu de convenir que l'on n'obtient jamais de la sorte ni citoyennet�, ni �galit�, ni responsabilit� et, finalement, ni paix, ni v�ritable d�mocratie ?
Ch�re madame Erignac, aurai-je le droit d'�tre de ces deux tourments � la fois ?
Pour l'heure, ce sont les mots qu'aupr�s de vous et vos enfants je voulais d�poser ; en mon �me et conscience j'esp�re les avoir �crits dans la langue de la dignit�.
Mon tout premier souhait est qu'en aucune mani�re ils ne soient pour vous un poids, une blessure, une offense suppl�mentaire ; moins encore que vous y trouviez le go�t d�plac� d'une mal-intention.
Dans quelques semaines, � la minute m�me o� la justice se sera prononc�e, � l'instant m�me o� quelque chose sera rendu aux hommes, je voudrais tant que naisse une promesse, une promesse de nous, de nous tous.
A l'instant m�me o� le ciel sera lourd, o� tombera l'illusion d'un rideau sur l'irr�parable, sur la digne m�moire d'un homme, sur chaque c�ur en peine, � ce moment o� des hommes, des familles seront accabl�s par le poids, la responsabilit� d'un acte, � cet instant o� apr�s le sacrifice d'un homme, d'autres le seront � leur tour d'une autre mani�re, quand toutes les souffrances restantes iront se blottir au c�ur de nos vies humaines, je serai plus que jamais de ceux qui prennent leur part.
Je voudrais tant que naisse alors la promesse de transformer le jugement prononc� en un serment d'esp�rance. Le serment d'en �viter � tout jamais le retour. Le serment d'un autre commencement, celui d'une paix positive, la le�on retenue de drames d'o� chacun aurait � c�ur l'id�e d'un autre possible.
Je voudrais tant que commence l� le chemin qui aide � surmonter le pire et plus encore le go�t, la m�moire du pire.
L�, nous essaierons de marcher, parce que nul ne peut vouloir ni la haine, ni l'injustice, ni la violence � vie.
C'est, il est vrai, une t�che qui pourrait �tre celle des hommes de bonne volont�, mais aussi celle d'une soci�t� enti�re. Le projet d'une soci�t� avide de pr�server une justice, une paix sans oubli�s, sans exclus, sans d�ni de la moindre part d'une responsabilit� qui incombe � chacun.
Ch�re madame Erignac, je vous �cris de Corse jusqu'au c�ur de votre insoutenable peine, mais je ne sais pas inventer la moindre des consolations � toutes ces col�res qui traversent les mers, les terres, les chairs.
Je sais cependant que la Corse souffre et fait souffrir, tue et se meurt d'�tre ce champ de bataille pour quelque chose de juste que depuis trop longtemps, on ne veut pas entendre.
En cons�quence, la Corse n'est pas en paix ; l'homme n'y est pas en paix.
Sans cette paix int�rieure, celle entre les citoyens eux-m�mes, celle entre les citoyens et l'Etat, la paix ext�rieure y perd toujours, et in�vitablement, quelques-unes de ses chances, et ce champ de bataille est � l'�vidence suffisant, efficace, pour conduire des hommes � ab�mer la vie, � s'ab�mer aussi.
C'est une am�re, une triste d�faite, d'o� je veux croire un chemin possible.
C'est � ce chemin-l� qu'il faut ramener tout un chacun. C'est ce chemin-l� qu'il faut chercher avec une patience inusable. C'est � nous tous qu'il appartiendra de prouver chaque jour que ce n'est pas le sang qui fait l'histoire. S'il est un destin des hommes, il ne peut �tre que celui-l�.
Aujourd'hui, j'imagine deux montagnes, et entre elles, un gouffre.
J'imagine des hommes et des femmes ayant le courage de cet infranchissable-l�, qui s'en iraient d�fier les ab�mes, n'ayant pour ma�tre que leur conscience ; des hommes et des femmes qui ne cesseraient de grandir et feraient reculer le pire, � l'int�rieur de soi, autour de soi.
J'ai beau regarder les choses dans tous les sens, dans ce que les hommes font de leur soci�t�, dans ce que la soci�t� fait de ses enfants, je m'en remets humblement � la seule question qui veille, la seule question qui vaille : serons-nous capables de porter ensemble le fardeau et la promesse ?
Pour esp�rer cela, il faut sans doute, je le crois, faire na�tre d'abord un d�sir de gu�rison. La sauvegarde de nos terres humaines n'est nulle part ailleurs que dans le c�ur humain, la pens�e, l'humilit�, la responsabilit� humaines et cela commence toujours et partout par " la parole du c�ur", f�t-elle difficile � dire, f�t-elle difficile � entendre.
Ch�re madame Erignac, parce que le bruit des peuples ne suffit pas toujours comme preuve, pour tous les soleils que nous laissons s'�teindre et mourir, pour tous les hommes qui s'�loignent les uns des autres, je suis et demeure de ces humains qui inlassablement r�vent de faire aimer, comprendre et reconna�tre quelque chose de digne que nous portons tous sur la peau infiniment.
Pour autant, aujourd'hui, je n'ai pas �crit le dernier mot de cette lettre.
De toute mon �me, je souhaite qu'il vous revienne, � tout jamais.
Je vous adresse, ainsi qu'� tous les v�tres, mes plus respectueux hommages.
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