Ouvrir dans une nouvelle fen�tre TRIBUNE : La Corse aux abonn�s absents
Sep 8, 2003

Quel paradoxe que cette �le de Corse ! Combien d��lus ont fait savoir en priv� combien il avait peu go�t� les discours paternalistes ou mena�ants de Nicolas Sarkozy. � Qu�est-ce qu�il veut exactement ? disaient-ils. Il pr�tend vouloir nous mener � l�autonomie et ne cesse pas de nous conseiller. � Sages paroles que le ministre de l�int�rieur aurait peut-�tre d� �couter en venant moins et en faisant plus confiance � ces �lus qui devaient bien un jour ou l�autre mener le peuple corse vers sa terre promise.

L��t� aurait pu �tre l�occasion r�v�e de montrer la responsabilit� de nos �lus, ceux-l� m�me qui s��brouaient avec humeur devant les efforts d�sesp�r�s du ministre. Ils auraient pu tirer des le�ons du r�f�rendum rat�. Ils auraient pu encore faire entendre leur voix lors de la campagne d�mente de plasticages lanc�e par les clandestins. Ils auraient pu enfin, non ils auraient d� �tre sur le terrain, alors qu�une partie de la Corse flambait.

Au lieu de cela, la plupart de nos grands hommes ont jou� les hommes invisibles. Citons-les dans un ordre non hi�rarchique. Jos� Rossi, le pr�sident de l�Assembl�e, aurait d� �tre aux c�t�s du pr�fet dans la lutte contre les incendies. Il aurait d� �tre pr�sent l� o� les Corses souffraient. Il aurait d� trouver avec lui le pr�sident de l�ex�cutif Jean Baggioni. Tout comme auraient d� �tre pr�sents les deux pr�sidents des Conseils g�n�raux � commencer par Paul Giaccobi qui a, par le pass�, montrer qu�en th�orie tout au moins la lutte contre le feu n�avait pas de secret pour lui.

Offrons un joker au vieux No�l Sarrola. Mais son jumeau en politique, l�intransigeant s�nateur Nicolas Alfonsi eut �t� bien intentionn� d��tre pr�sent lors des d�sastreux incendies de la Gravona. �tre �lu ne devrait pas seulement consister en des bavardages certes brillant mais � combien inutiles lorsque les flammes d�truisent des vies, des habitations et la nature.

Nous �voquions tout � l�heure les plasticages. � quel moment avons-nous entendu les �lus de l��le pousser un cri d�alarme et signaler que les plastiqueurs poussent la Corse dans le mur. Nous savons tous que les nationalistes veulent avant tout �tre reconnus par une classe politique que, pourtant, ils d�nigrent. Nous savons aussi qu�� chaque fois que les Corses ont dit : � Ca suffit � les explosions ont cess� car les nationalistes ont besoin d�un certain assentiment populaire.

Le silence des �lus passe sur le continent pour un silence complice. C�est faux au sens subjectif du terme. Mais �a finit par l��tre d�une fa�on objective. Il arrive un moment o� la l�chet� ou, plus simplement, la lassitude ne peut plus correspondre avec l�id�e qu�on se fait d�un homme politique. Messieurs, si vous en avez assez, il faut laisser la place plut�t que d�occuper le terrain de votre inconsistance d�sastreuse.

Les Corses en ont assez de ces �lus qui sortent de leur habitacle molletonn� une ou deux semaines avant les p�riodes d��lection afin que d��tre reconduit dans des fonctions o� l�une de leurs grandes activit�s va �tre de chercher des projets jamais aboutis et plus encore de pratiquer l�art de l��quilibrisme en vue des nouvelles �ch�ances.

Jos� Rossi et �mile Zuccarelli avaient raison de demander des projets. Mais ces projets doivent �tre des projets d�envergure qui permettent aux Corses et notamment aux plus jeunes d�esp�rer autre chose qu�un petit emploi de fonctionnaire dans une voie de garage dont la porte arri�re s�ouvrira sur un d�part � la retraite puis sur le cimeti�re.

La Corse cr�ve surtout de se mentir � elle-m�me. Elle se r�ve comme elle n�a jamais �t� : libre de tout, capable de voler de ses propres ailes alors que tout dans le quotidien plaide contre de tels mythes. Et pourquoi la Corse serait-elle mieux lotie que les grandes nations europ�ennes ? Il n�existe pas de pays dont l��conomie puisse se pr�valoir de ne pas d�pendre des autres. La France et son d�ficit de 4 % sont l� pour le d�montrer.

Les enjeux �conomiques sont d�sormais des enjeux supra-nationaux. Continuer de parler en terme d�ind�pendance qu�elle soit �conomique, �nerg�tique ou simplement culturelle est une �nerie qui m�ne � des catastrophes et, vraisemblablement � toujours plus de d�pendance.

Nous parlions de projets. Mais quels peuvent-ils �tre ceux des nationalistes qui parlent en des termes vieux de 40 ans. M�me le concept de colonialisme a une g�n�ration de retard. Il ne s�agit pas de � d�coloniser � la Corse mais de se d�coloniser l�esprit. Comment juger des nationalistes qui d�un c�t� pr�nent l�ind�pendance et de l�autre n�ont de cesse de demander toujours plus de subventions, toujours plus de postes de fonctionnaires ?

Que penser de ses �lus qui n�ont de cesse d�appeler toujours plus de cr�dits et d�oublier que ceux-ci doivent n�cessairement r�pondre � ces fameux projets introuvables.

On nous parle de haute technologie, de c�ble � haut d�bit mais nous sommes incapables de stabiliser notre d�bit d��lectricit� au point que la Corse d�tient le record d�ustensiles �lectriques grill�s � cause des sautes d�intensit�. Dans un tel contexte, le haut d�bit sur toute l��le devient une chim�re que l�on poursuit pour mieux vilipender un �tat fran�ais qui n�en a cure.

Et les sources d��nergie, parlons-en. Nous avons en Corse un syst�me d��lectricit� qui rappelle celui des pays de l�Est. Notre �lectricit� est fournie � grands renforts de pollution par des centrales aliment�es au fuel. Il est vrai que le fuel est une denr�e essentielle en Corse : �lectricit�, explosifs. Que ferions-nous sans lui ? La CGT et le PC ont milit� ardemment pour cette �lectricit�-l� qui nous revient deux fois plus cher que son co�t de production. Et nous appelons cela l�ind�pendance �nerg�tique alors qu�il nous suffirait de nous brancher sur le c�ble de la sarbo-carde pour ponctionner de l��lectricit� au prix continental. Mais nous sommes fiers. Nous pr�f�rons nous polluer et co�ter cher � la France plut�t que de ne pas poss�der notre propre �lectricit�.

Toujours � cause des pressions syndicales, nous allons construire de nouveaux barrages alors que ce type de production �lectrique est en r�gression partout dans le monde si ce n�est en Chine. Qu�importe : avec notre culture d��tat m�l�e � notre culture anti-�tatiste, nous voulons et nous aurons nos barrages. Nous parlions de pollution produite par les centrales � fuel lourd.

En Corse nous avons trouv� un moyen de r�soudre le probl�me. Nous avons obtenu gr�ce � la CGT une d�rogation afin que nous soyons la seule r�gion � ne pas mesurer le taux de pollution. Et l��tat a accept� trop content d��viter de nouveaux probl�mes corses.

Nous n�avons plus besoin de fonctionnaires. Nous ne savons plus quoi en faire. Mais nous aurions besoin de formation vers des m�tiers d�avenir. Notre universit� continue de produire des g�n�ralistes qui viennent grossir les rangs d�une jeunesse aigrie avant l��ge dont quelques centaines ont v�g�t� dans les emplois jeunes esp�rant �tre recrut�s par la bande dans la Fonction publique.

Nos jeunes cap�tiens sont des h�ros des temps modernes. Ils ont pass� un concours dont ils savaient qu�ils risquaient de partir pour le continent. C�est le r�glement inscrit pour tous les cap�siens de France. Un certain nombre d�entre eux, re�us, a aussit�t lev� la banni�re de la lutte contre l�exil. N�ayons pas peur des mots. Ils ont failli employer celui de d�portation mais ils n�ont pas tout de m�me pas os�. Et ils ont obtenu gain de cause, nos petits gar�ons et nos petites filles trop vite grandies. Ils vont travailler � l�ombre des ailes maternelles. Ils ne conna�tront pas grand-chose du vaste monde. Mais ils sont heureux ainsi dans le cercle de vingt kilom�tres qui entourent le village de leurs parents. Et vive l�esprit pionnier dont nos grands parents se targuaient pour partir � l�assaut de l�empire colonial. Aujourd�hui le voyage vers la sup�rette de la grande ville tient de l��pop�e m�di�vale.

Fort heureusement, plus de 50 % des jeunes bacheliers choisissent de partir suivre des �tudes sup�rieures sur le continent. Fort heureusement� Quelle piti� d�employer un pareil vocabulaire alors que nombre d�entre nous s�est battue qui ici, qui � Nice pour gagner le droit d��tudier en Corse. Mais l�universit� n�a pas r�ussi � changer la soci�t� corse. Elle s�est mise au contraire � lui ressembler �trangement dans un m�lange de m�diocrit�, de jalousie et d�aigreur.

On ne sait pas exactement combien d��tudiants, de vrais y �tudient. Tant mieux, chaque inscrit, qu�il soit r�el ou suppos�, rapporte des points selon un syst�me de comptabilit� appel� San Remo. Combien de re�us aux examens ? Ne soyons pas grossiers. Et quel est le niveau de cette vieille dame ? On n�en sait rien car il n�existe plus de rapports d��valuation depuis des lustres. Trop dangereux. Beaucoup d�ennuis � l�horizon. L��tat pr�f�re s�acheter une tranquillit� plut�t que d�affronter la r�alit�. D�ailleurs le ministre de l�int�rieur l�a montr� en s��rigeant en arbitre incons�quent et en pla�ant hors norme l�universit� de Corte sans la moindre �valuation. On ne sait pas ce qu�en pensent les petites universit�s continentales qui calculent toutes leurs d�penses jusqu�au plus d�risoires.

Le probl�me n�est pas qu�� coups de petits arrangements, de menaces ou de sourires nous obtenions toujours plus de cr�dits. Pourquoi pas ? Apr�s nous, notre syst�me client�laire vaut bien celui des syndicats toutes tendances confondues. Non, le v�ritable probl�me est que nous crevons de tous ces petits arrangements avec notre propre r�alit�.

Nous continuons de vivre comme si l��tat fran�ais pouvait pallier tous nos manquements alors qu�il se d�sengage de la plupart de ses anciens chantiers.

Nous sommes vieux dans notre t�te alors qu�il faudrait que nous soyons plus que jamais des battants acceptant enfin l�id�e de talent plut�t que celle de piston, l�id�e de comp�tition plut�t que de magouilles. Je ne veux pas dire ici que tout en Corse n�est que cela. Mais trop de choses sont �labor�es sur cette double exigence : avoir l��tat tout en le d�nigrant, avoir la violence tout en feignant de la combattre, avoir tout et son contraire, d�noncer le jacobinisme et voter non au r�f�rendum.

Alors nos �lus qui sont absents des champs de bataille� Pourquoi pas ? Ils ne font qu��tre tr�s corses. Ils ressemblent � notre mani�re de fonctionner ou de ne pas fonctionner. Le navire avancera de cette force d�inertie qui peu le pousser encore quelques d�cennies. Mais n�allons pas nous plaindre si d�autres plus dynamiques prennent la place qui devrait nous �tre due. La nature a horreur du vide et parfois la Corse semble si vide.

Jean Pietri

TOUT LE DOSSIER CORSE

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