Ouvrir dans une nouvelle fen�tre Luri : d�dramatiser la situation
Sep 18, 2003

Luri : d�dramatiser la situation

Les habitants de Luri semblent avoir compris que l�image qui a �t� donn�e d�eux dans la presse a aggrav� leurs probl�mes plut�t que de les apaiser. Ils ont tenu une conf�rence de presse devant la mairie mercredi matin afin d'apaiser l'opinion publique sur les incidents tr�s m�diatis�s qui se sont d�roul�s devant la brigade de gendarmerie du village la semaine pass�e.

"Nous voulons faire un certain nombre de mises au point sur ce qui s'est pass�. Mon sentiment est un sentiment de formidable g�chis par rapport � des �v�nements qui �taient vraiment minimes et qui ont pris une ampleur extraordinaire", a expliqu� Antoinette di Marco, maire du village de sensibilit� nationaliste mod�r�e.

"Nous n'avons jamais demand� le d�part de la gendarmerie. Nous avons demand� le renouvellement de la brigade qui nous semblait de nature � aplanir et apaiser la situation", a-t-elle ajout�.

"Je crois qu'il ne faut pas exag�rer les choses, que le fait de lancer une bouteille d'essence dans une gendarmerie ne rel�ve pas de la 14�me section (du parquet antiterroriste). Il faut revenir � de justes proportions", a avanc� Laurent Croce dirigeant du PS de Haute-Corse.

"Il faut retrouver le chemin de la raison. Il faut que le maire et le chef de gendarmerie se rencontrent, dialoguent, que les jeunes rentrent chez eux parce qu'ils ne sont ni des voyous, ni des terroristes", a-t-il soulign� en s�avan�ant sur les d�cisions de Justice.

Fabienne Giovanetti, membre du Partitu di a Nazione Corsa (PNC) a �voqu� quant � elle le retour � une certaine "corsophobie". "Nous appelons � davantage de mesure et de sens de discernement. La Corse a besoin d'apaisement et non pas de climat de tension", a-t-elle dit.

"Il y a une esp�ce de corsophobie qui revient � toutes jambes. Les administrations sont sous pression, la population �galement: cela ne peut conduire qu'� l'impasse. Il faut retrouver les chemins du dialogue et trouver les voies d'une solution politique au probl�me corse", a-t-elle conclu.

Peu � peu les �v�nements se d�cantent. Il appara�t d�une part que les jeunes n�ont pas ob�i � des motifs d�ordre politique mais ont jou� sur l�atmosph�re d�alors conditionn�e par les attentats contre les gendarmeries. Leur affaire aurait donc d� �tre trait� par la justice insulaire avec s�v�rit� mais sans outrance ;

Des nationalistes ont jou� avec le feu en montant de Bastia et en jouant sur l�exasp�ration d�une minorit� du village : 100 � 200 personnes sur 750 habitants. Ces nationalistes se sont calm�s apr�s des contacts t�l�phoniques tr�s fermes pass�s entre notamment Jean-Guy Talamoni, Edmond Simeoni et le directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy qui, selon nos informations, aurait averti que les � �meutes � devaient cesser faute de quoi tout devrait incontr�lable. Or, r�p�tons-le, ce qui se joue c�est l�ouverture du d�bat institutionnel si toutefois les nationalistes font un bon score.

Il convenait donc de ne pas mettre Nicolas Sarkozy qui a en charge la s�curit� des citoyens dans une situation impossible.

N�anmoins, deux hommes sont recherch�s pour avoir dirig� le lancer de cocktails molotov contre la gendarmerie. L�op�ration pourrait donc �tre moins innocente qu�il y para�t. Et �a n�est pas parce que les jeunes auraient �t� manipul�s qu�ils peuvent �tre exempt�s de toute responsabilit�. Lancer un engin explosif contre une gendarmerie, alors m�me que des organisations clandestines font exploser des � paquets � de 100 kilos ne rel�ve pas d�une � gaminerie � comme l�affirme Monsieur Talamoni.

Nous publions ci-dessous une enqu�te du Monde (18 sept 2003) sur les �v�nements de Luri qui nous paraissent relativement exacts.


Luri et sa gendarmerie, symboles du foss� entre Corse et continent


Pendant trois jours, ce village de Haute-Corse a affront� les gendarmes pour protester contre l'arrestation de plusieurs jeunes. "Le Monde" revient sur cet �pisode spectaculaire qui survient dans un contexte de tension aggrav� par les progr�s de l'enqu�te sur la cavale d'Yvan Colonna.

Luri de notre envoy�e sp�ciale

Les 750 habitants de Luri n'en reviennent pas encore. En quelques jours, ce petit village recul� du Cap corse, � six kilom�tres de la mer, s'est fait conna�tre de la France enti�re. Sur fond d'attentats � r�p�tition et tandis que se poursuivent les interpellations dans l'enqu�te sur le r�seau d'aide � Yvan Colonna, le "cadenassage" de sa gendarmerie et les r�actions qu'il a provoqu�es symbolisent le foss� d'incompr�hension qui s�pare l'�le et le continent.

Luri a r�ussi � faire sortir de son silence le ministre de l'int�rieur, Nicolas Sarkozy, qui, depuis l'�chec du "oui" au r�f�rendum, le 6 juillet, avait choisi sa strat�gie : agir et se taire. Mieux : p�tri de haines antiques, comme tous les villages, Luri a r�ussi � s'unir contre les gendarmes. "C'est Ast�rix, r�sume un villageois. Les bagarres se sont arr�t�es entre nous, le temps d'aller t�ter du romain. On a r�sist� � l'envahisseur." Et sit�t le calme revenu, on a recommenc� � se disputer.

Depuis quelques mois, la petite brigade de gendarmerie et les jeunes du village, qui se retrouvent en face, au Tonybar, se cherchent. Jean-Mathieu, qui tient le comptoir le matin, est le fils a�n� de Jean-Pierre Susini, la b�te noire des gendarmes : un des fondateurs du FLNC, trois cavales � son actif, jamais un jour de prison mais une gueule grande comme ses �paules. Les pieds de nez se multiplient. Un jeune homme est verbalis� pour non-port de casque ? Le revoil� bient�t, casqu� mais tout nu sur sa mobylette, qui nargue les gendarmes. Pendant l'�t�, Anthony Mota, 21 ans, qui travaille avec son ami, Laurent Adjaeff, boucher au supermarch� de Luri, est interpell� en plein magasin et menott�, assure son oncle : il a �t� aper�u en train de conduire une voiture sans permis.

EXP�DITION PUNITIVE

Une exp�dition punitive est d�cid�e contre le gendarme Oget. Le jardin potager du chef de brigade est arros� de d�sherbant. Puis, dans la nuit du 3 au 4 septembre, des bouteilles d'essence sont lanc�es dans la cour de la petite brigade, qui compte huit hommes. Deux voitures prennent feu. Sur le mur de l'entr�e, une inscription, "IFF" (I Francesi fora, les Fran�ais dehors). Sur celui qui jouxte l'�cole, un "FLNC" et un "Liberta per i patriotti".

Cette fois, c'est trop. Le contexte est grave : des charges tr�s lourdes, dont toutes n'ont pas explos�, ont vis� durant l'�t� les militaires de l'�le. Or, pour les gendarmes, Luri est un nid de nationalistes en sommeil ou en puissance. Le chef de brigade dresse un rapport accablant. Le parquet de Paris se saisit imm�diatement. L'unit� de recherches de la gendarmerie de Bastia est charg�e de l'enqu�te. Tr�s vite, sept jeunes sont cern�s, dont deux filles. Parmi eux, les deux fils de Jean-Pierre Susini. Jeudi 11 septembre, au petit matin, plus de 60 gendarmes les interpellent. Des chiens les accompagnent, pour renifler les explosifs. Chez les Susini, on entre dans la chambre de "Jean-Batti", 16 ans, "en pointant une arme", raconte sa s�ur a�n�e. Le sang de Jean-Pierre Susini bout. D�s le d�part des gendarmes, il appelle Jean-Guy Talamoni, avocat et voisin � Santa Severa. Edmond Simeoni, son ami de toujours, dont le fils Marc est depuis pr�s d'un mois en prison, est pr�venu, et, avec eux deux, tout le petit monde nationaliste.

Dans la voiture qui le ram�ne du commissariat de Bastia, o� ses deux fils sont en garde � vue, le vieux militant au cuir �pais a une id�e : il faut mettre les gendarmes de Luri en prison. Il apporte des cha�nes et des cadenas. Les pose puis fait bisquer la brigade � l'interphone : "Mais non, je vous assure que ce n'est pas ouvert ! Je ne peux pas entrer !". Les parents des jeunes gens veulent qu'on leur promette que leurs enfants ne seront pas transf�r�s devant la " 14e section", comme on continue � appeler ici la section antiterroriste du parquet de Paris. Le chef de brigade, vaguement inquiet, appelle le procureur de la R�publique de Bastia, Patrick Beau. Qui surprend son monde en arrivant, seul, par le "haut" de Luri, et non pas par la route du Cap, et r�pond dans la mairie aux questions des familles. M. Beau s'isole un quart d'heure et t�l�phone au parquet de Paris. A son retour, il assure qu'il n'y aura pas de transfert, dans la nuit. "Il ne promet rien", confirme Jean-Guy Talamoni, qui assiste � la rencontre avec Edmond Simeoni. Sur les images, devant les cha�nes, ces deux-l� donnent l'impression d'avoir "pris" la Corse. A minuit, M. Susini "l�ve les �crous" des gendarmes, avec promesse de recommencer si les enfants du village ne sont pas "rendus". Vu du petit �cran, la gendarmerie est d�j� ridiculis�e.

Vendredi, la maire de Luri et son conseil municipal demandent "dans un souci d'apaisement, le renouvellement de la brigade de gendarmerie". Pendant ce temps, � Bastia, les fils Susini, dont l'a�n� a gard� sur lui, pour la garde � vue, un tee-shirt "On a tous aid� Yvan Colonna", nient, s'amusent, et, � minuit, remontent au village, avec les autres. Sauf Anthony Mota et son ami Laurent Adjaeff - chez lequel on a retrouv� des bouteilles, des cagoules et une bombe de peinture - qui ont avou� leur participation aux incidents du 4 septembre (Le Monde du 15 septembre). Motta a allum� le cocktail molotov, Adjaeff a tenu le briquet.

Le village entier sait que les deux jeunes gens, baskets dernier cri, cheveux peign�s au gel, sont tout sauf des militants nationalistes. "Mon fils, la politique ? Il ne conna�t que les Guignols !", confie la m�re d'Anthony. "Il n'a pas vot� au r�f�rendum, il ne comprenait pas la question", explique-t-elle au bar devant le grand-p�re d'Anthony, un pilier de la petite section socialiste de Luri. Pour leur avocat, Me S�bastien Bono, ce sont deux personnes, actuellement en fuite, qui ont "laiss� le mat�riel chez eux".

Le village comprend que "Anthony et Laurent" ont �t� transf�r�s � Paris. Et se retrouve plong� dans le noir. Une dizaine de personnes, capuches sur les oreilles et bandanas sur le nez, m�nent la danse. Derrri�re, une foule aux trois quarts nationalistes. Un cocktail Molotov enflamme une voiture devant la gendarmerie. Les flammes en gagnent une autre. Toute la jeunesse du village vise avec application le panneau "gendarmerie" avec sa pierre. Des vitres �clatent. "A la t�l�, on aurait dit Beyrouth", convient l'oncle d'Anthony. Les femmes et les enfants des gendarmes, � l'int�rieur, sont terroris�es.

Les nationalistes n'ont pas trop envie qu'on prenne ces deux f�tards qui leur ont permis quelques belles images t�l� pour leurs nouveaux h�ros : "Les "terroristes "sont en prison, le potager veng�", cl�t Jean-Guy Talomoni dans le Ribombu du 18 septembre. La mairie, elle, ne comptait plus, mardi, les coups de fil d'insulte adress�s par les maires d'autres villes de France. Quant aux huit gendarmes de Luri, leurs femmes et leurs enfants sont partis, mais leur mutation a �t� refus�e. Derri�re le bar, qu'il tient tous les apr�s-midis, Jean-Pierre Susini continue � rigoler : "Ils ne resteront pas, je vous dis".

A.C.

TOUT LE DOSSIER CORSE

�2003 L'investigateur - tous droits r�serv�s