Ouvrir dans une nouvelle fen�tre Luri ou l��tat aux orties
Sep 13, 2003

Luri ou l��tat aux orties

L�attentat contre la gendarmerie n�est Luri n��tait certainement pas un acte grave en regard de ce qui arrive en Corse � habituellement �. Deux cocktails molotov avaient endommag� deux v�hicules appartenant � des gendarmes.

Mais le symbole �tait l�, un symbole fort puisque c��tait encore la gendarmerie qui �tait frapp�e. Il se disait dans la r�gion que les coupables �taient une bande de jeunes gens qui s��chauffaient facilement pour la cause nationaliste. Cela demandait donc du doigt� et certainement pas l�auto-saisine de la section anti-terroriste du parquet de Paris. Mais il fallait r�agir avec fermet� faute de quoi l��tat perdait la face.

H�las ! Chacun s�est obstin� � multiplier les � erreurs �. Depuis qu�ils ont compris que leur intransigeance pouvait faire capoter les efforts du ministre de l�int�rieur en direction des nationalistes les juges anti-terroristes mettent les bouch�es double. Le bruit a donc couru que les quatre derniers inculp�s de Luri allaient �tre transf�r�s � Paris et pr�sent�s devant un juge anti-terroriste.

Du coup, les familles se sont mobilis�es, une quarantaine de personnes au plus. Mais parmi elles, on comptait des nationalistes connus. Elles ont aussi fait savoir aux organisations qu�elles n�entendaient pas rester seules dans ce combat. Et les dirigeants nationalistes ont tout de suite compris tout l�avantage qu�il pouvait tirer de cette mobilisation non cagoul�e.

Quatre militants nationalistes sur les sept personnes qui avaient �t� interpell�es jeudi matin � Luri, dans le Cap Corse, se trouvaient toujours en garde � vue le vendredi, � la caserne de Montesoro, pr�s de Bastia.
Or parmi les interpell�s, se trouvent les deux fils de Jean-Pierre Susini, un militant historique de la cause nationaliste d�ailleurs pr�sents devant la gendarmerie. Ce dernier est connu dans la Corse enti�re. Il a longuement t�moign� sur son pass� de clandestins dans plusieurs reportages t�l�visuels. Il a �t� l�un des fondateurs du FPCL le groupe clandestin ant�rieur au FLNC qui plastiqua en 1975, l�un des b�timents de la Montedison, une soci�t� italienne qui polluait les eaux corses avec des d�chets au mercure.

On le retrouve ensuite parmi les contestataires de l�Action pour la Renaissance de la Corse des fr�res Simeoni lors du congr�s de Corte dit Corte II. L�, il est tout proche des �tudiants de la Cunsulta di Studienti Corsi (autonomiste) qui pousse Edmond Simeoni � radicaliser son discours et son action. En ao�t 1975, peu apr�s cette r�union, le docteur Simeoni occupe la cave Delpeille � Aleria. Parmi les occupants, un homme a amen� une mitrailleuse. Il s�agit de Jean-Pierre Susini.

Il se cachera de longs mois dans la r�gion de Luri apr�s sa sortie arm�e de la cave devant laquelle deux gendarmes avaient �t� abattus. Aux c�t�s de Susini, se trouvait Marcel Lorenzoni un autre dur de la clandestinit�.

Jean-Pierre Susini a r�cemment t�moign� sur la mani�re dont les villageois du Cap l�avaient aid� durant sa cavale. Il a �lev� son fils dans le culte de l�ind�pendance.

Hier soir, alors que des rumeurs de transfert � Paris,circulaient, un juge de la 14 �me section du parquet �tant saisi de l'affaire, une centaine de personnes s��taient rassembl�es devant la brigade de Luri et avaient cadenass� la porte d'entr�e, pour exiger la remise en libert� des personnes appr�hend�es.

Alors que la tension montait, le procureur de la R�publique, Patrick Beau, s'est rendu sur place. Il a alors rencontr� Jean-Guy Talamoni, conseiller territorial et leader de Corsica Nazione, Edmond Simeoni, dont le fils Marc vient tout juste d��tre arr�t� pour avoir aid� Yvan Colonna. � leurs c�t�s se trouvait Jean-Pierre Susini. Apr�s une discussion et des apaisements du repr�sentant de la justice, indiquant qu'il n'�tait pas question de transfert � Paris, le mouvement a �t� suspendu. Or, le procureur d�ment aujourd�hui toute n�gociation.

Il affirme avoir demand� des garanties, notamment celle de pouvoir entrer et sortir librement aux manifestants. Il serait alors mont� seul � Luri. Selon le quotidien Le Monde, il aurait rencontr� Jean-Guy Talamoni et Edmond Simeoni dans la mairie de Luri, vers 21 heures et leur aurait expliqu� la proc�dure, une enqu�te en flagrance simple pr�cisant qu�elle n�est "pas de ma responsabilit� mais de celle du parquet de Paris". Une fa�on de se d�fausser et qui rappelle les l�chet�s de 1996 de la magistrature insulaire sur ordre du ministre Toubon. Quant � expliquer la proc�dure � l�avocat Talamoni, on n�en voit pas tr�s bien la raison si ce n�est pour affirmer que les magistrats corses ne sont pour rien dans cette op�ration et, ce faisant, de d�signer les coll�gues de l�anti-terrorisme. Belle image d�un �tat uni.

Il aurait ensuite expliqu� pour rassurer, que les familles seraient re�ues pendant les gardes � vue et aurait demand� � voir les gendarmes. Les manifestants l�auraient alors laiss� entrer. "Contrairement � ce que certains ont dit, je n'ai rien promis, assure le procureur. Cette situation est pour le moins inhabituelle, mais je consid�re que c'est une activit� qui participe de la politique de dialogue que j'ai men�e depuis quatre ans ici".

Ce qui est s�r c�est que le message du procureur a �t� suffisamment ambigu pour que les manifestants y trouvent leur compte et acceptent d�ouvrir les grilles de la gendarmerie. Puis ils quitteront les lieux, en promettant de reprendre leur action si les quatre personnes encore en garde � vue n'�taient pas "toutes" remises en libert�, preuve que les propos du procureur contenaient des zones d�ombre.

Des fuites en direction de la presse laissaient entendre que les auteurs pr�sum�s de l'attentat "n'ont pas agi pour des motifs politiques". Tous les suspects sont pourtant proches des mouvements nationalistes sans parler du fils de Jean-Pierre Susini. Ils avaient en outre laiss� des slogans tels que � I Francesi fora � (les Fran�ais dehors) ou � Libert� per i patriotti � (Libert� pour les patriotes) ce qui n�est pas exactement l��quivalent du Nique ta m�re apolitique que l�on peut trouver dans les cit�s.

La source auteur de la fuite nuan�ait le message en faisant savoir que les auteurs pr�sum�s auraient agi pour "imiter les clandestins � ce qui n�est pas une excuse valable.

� La saisine de la 14�me section est disproportionn�e, des incidents similaires surviennent chaque jour en France, notamment dans les banlieues, et on n'envoie pas pour autant les services antiterroristes", estimait jeudi soir, devant la gendarmerie de Luri, Edmond Simeoni, figure historique du nationaliste insulaire. "S'il y a eu d�lit, il doit �tre sanctionn� mais pas avec des moyens disproportionn�s", ajoute-il avec une certaine raison.

La gendarmerie a tr�s mal pris les ordres de mod�ration lanc�s par la pr�fecture et l�action du procureur de la justice qui pr�juge des d�cisions de la XIV�me section. La "libert� d'action" des gendarmes en Corse ne sera pas "entrav�e", a assur� tr�s fermement vendredi le commandant de la L�gion de gendarmerie de la Corse.

"Je ne saurai accepter que la libert� d'action des gendarmes dans leurs brigades soit entrav�e, elle sera garantie", a d�clar� � Ajaccio le colonel Roland Gilles, un homme qui a la r�putation d��tre intelligent mais intransigeant lorsqu�il s�agit de l�image de marque de la gendarmerie.

"On me parle d'enfantillages mais on ne doit pas minimiser ce genre d'acte", s'indigne le colonel Gilles. "Depuis le d�but de l'ann�e, 16 attentats ou tentatives ont vis� la gendarmerie en Corse, 50 durant les deux derni�res ann�es et, dans les casernes, vivent nos gendarmes mais aussi leurs conjoints et leurs enfants", conclut-il.

Que se passerait-il si la gendarmerie �tait de nouveau bloqu�e ? "Nous verrons comment se pr�senteront les choses", s'est content� de r�pondre le colonel Gilles interrog� sur les mesures qui seront prises dans ce cas.

Il a toutefois rappel� que la manifestation de la veille s'est d�roul�e dans le calme et en "toute s�r�nit�" c�t� manifestants et que le "cadenassage" n'�tait que symbolique puisque, selon lui, les gendarmes et leurs familles pouvaient entrer et sortir sans difficult� de la brigade.

Le pr�sident du Front National, Jean-Marie Le Pen, a d�nonc� vendredi "une capitulation de l'�tat" apr�s le cadenassage jeudi soir des grilles de la gendarmerie de Luri.

Selon un communiqu� du pr�sident du parti d'extr�me-droite "il est donc possible de cadenasser une gendarmerie sans que cela provoque d'autre r�action qu'une capitulation de l'�tat et de la Justice face aux exigences de bandits politiques corses".

"Nicolas Sarkozy peut faire des moulinets avec ses bras et du bruit avec sa bouche, il donne un exemple de plus que le gouvernement Raffarin est en perdition dans tous les domaines", conclut-il.

Vendredi en fin d�apr�s midi, le directeur g�n�ral de la gendarmerie, Pierre Mutz, jugeait "inadmissible" que des manifestants se soient attaqu�s jeudi aux gendarmes et � leurs familles en cadenassant la grille de la gendarmerie de Luri .

"Je trouve inadmissible, voire un peu scandaleux" que l'on puisse s'attaquer aux gendarmes et � leurs familles dans leurs appartements, a-t-il d�clar� sur RTL, insistant sur "l'�tat de peur" dans lequel ils ont v�cu.

Pierre Mutz a estim� qu'"en Corse, les gendarmes n'ont pas une partie facile � jouer". Selon lui, "depuis deux ans, 50 faits de gravit� diff�rente ont �t� commis � l'�gard des gendarmes" dans l'�le.

"Je souhaiterais, a-t-il conclu, qu'on laisse travailler les gendarmes (en Corse) comme ils travaillent sur le continent".

Cet incident appara�t aussi aux yeux de certains responsables mais aussi de tr�s nombreux Corses comme une nouvelle "claque � l'autorit� de l'Etat".

Que dire apr�s ces petits arrangements sinon que l��tat est coinc�, comme nous l�avions �crit d�s hier, entre la n�cessit� d�avoir une image de marque intacte et le d�sir de pr�server la paix publique � tout prix.

De telles actions, qui, ne sont pas le fait des clandestins mais de familles sont difficiles � r�primer si on ne veut pas un regain de tension avec la clandestinit�. Or c�est bien ce qui semble se jouer aujourd�hui : faire tomber � tout prix la tension fut-ce au prix d�acoquinages qui, dans le temps ont fait tellement de mal � la Corse.

Il serait bon qu�un jour les nationalistes prennent leurs responsabilit�s : celui qui lance une bombe sait � quoi s�en tenir s�il est pris. Il n�a alors pas � crier � l�injustice mais � se mordre les doigts d�avoir �t� aussi maladroit. Qunt au procureur Beau, il a montr� les limites de son courage � moins qu�il n�ait ob�i sur ordre. Mais cette justice qui tremble sur ses pieds � la moindre menace est une plaie pour la d�mocratie. En tous les cas le signe a �t� fort : les ma�tres de la Corse sont ces hommes qui tranquillement, sans m�me menacer mettent des gendarmes en prison et obligent un procureur � d�noncer les siens.

� la d�charge de l��tat, il faut avouer que ce type de situation n�est pas simple. Mais lorsqu�on ne sait pas gouverner il ne faut pas �tre au gouvernement. C�est aussi simple que cela. On raconte que dans la r�gion de Luri le philosophe S�n�que, fondateur du sto�cisme, avait �t� fouett� � coups d�ortie par des femmes qui lui reprochaient son caract�re trop fougueux. L��tat fran�ais vient de recevoir sa fess�e et va devoir m�diter d�une fa�on sto�que sur les difficult�s de s�imposer en Corse.

Au bout du compte ce tintamare produit par les familles pourrait se retourner contre les personnes interpell�es car on voit mal maintenant l�Etat faire une nouvelle marche arri�re. Il risque au contraire de durcir sa position pour ne pas m�contenter plus la gendarmerie et pour ne pas donner l�impression d��tre une serpill�re sur qui chacun s�essuye les pieds.

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