Ouvrir dans une nouvelle fen�tre Corse : des nuits qui se ressemblent
Aug 22, 2003

Deux nouveaux attentats � l'explosif ont �t� perp�tr�s en Corse-du-Sud contre une r�sidence secondaire et un commerce. La premi�re explosion a totalement d�truit � 0h40 la r�sidence secondaire d'un continental dont l'identit� n'a pas �t� pr�cis�e � Sainte-Lucie de Porto-Vecchio dans l'extr�me-sud de l'�le. Une charge de tr�s forte puissance mais de nature encore ind�termin�e a totalement souffl�e la maison inoccup�e au moment des faits. Une heure plus tard, une charge de faible puissance explosait devant un commerce de Carg�se � une quarantaine de kilom�tres au nord d'Ajaccio. Les d�g�ts sont peu importants.

Ces deux attentats qui n'ont pas �t� sign�s n'ont pas fait de bless�. La Corse s�enfonce dans une situation qui augure mal de la rentr�e. Deux camps irr�ductibles se retrouveront alors face � face : d�un c�t� une population active en majeure partie compos�e de fonctionnaires et visc�ralement anti-nationaliste.

C�est elle qui a anim� les manifestations contre la r�forme des retraites et c�est elle qui a form� les gros bataillons du � non � au r�f�rendum. De l�autre se dresse dans un combat qu�elle d�signe comme une r�sistance, la masse des nationalistes pris en �tau entre le d�sir de � gouverner � et son incapacit� � abandonner des m�thodes violentes qui tournent le dos � la d�mocratie.

M�me s�il est vrai que la violence a d�j� connu des pics plus importants, jamais la fracture n�a �t� aussi grande entre ces deux Corses. Or la Corse nationaliste, toutes tendances confondues, pourrait bien s�av�rer �tre la famille politique la plus nombreuse de l��le.

Il est m�me � peu pr�s certain que si les ind�pendantistes proclamaient un moratoire de la violence, ils provoqueraient alors une synergie unitaire qui deviendrait un raz-de-mar�e �lectorale.

Au lieu de cela, c�est la division qui pr�vaut dans les rangs nationalistes depuis les ann�es 90. Le mal nationaliste a plusieurs origines. La premi�re est sa sous-politisation et son absence de cadres r�els. Les chefs sont des chefs de guerre, responsables de secteurs du FLNC. Exception notable : Jean-Guy Talamoni qui est devenu le porte-parole incontournable des soldats de l�Union des Combattants. Charles Pieri poss�dait vraisemblablement les qualit�s n�cessaires � une carri�re locale. Mais son go�t du lucre, du stupre et son absence de charisme l�a cantonn� � son r�le de seigneur de guerre bastiais malgr� un poste de secr�taire national au c�t� du d�funt Fran�ois Santoni.

En 1996, lorsque les deux hommes, tous deux responsables du FLNC Canal historique, deviennent secr�taires nationaux � �galit�, il s�agit bien d�une prise en main de la structure l�gale par le pouvoir clandestin.

Mais cette bic�phalit� a aussi une autre fonction : �viter tout conflit de territoire � l�int�rieur m�me de la � structure � clandestine, la � structure � comme disent d�ailleurs les militants eux-m�mes.

Le Nord et le Sud sont � part �gale. Le secteur de Carg�se-Sagone s�est th�oriquement mis en sommeil au moins pour ce qui concerne ses relations avec la direction du FLNC.

Car Fran�ois Santoni �crira avoir eu des renseignements sur une op�ration de police par le truchement d�Alain Ferrandi et d�Yvan Colonna. Ce jour-l�, craignant d��tre arr�t�, il ne s�armera pas et tombera dans un guet-apens dans lequel son garde-du-corps St�phane Gallo trouvera la mort.

La v�rit� est plus simple. Resistanza et le FLNC Canal habituel avaient d�cid� de tuer Fran�ois Santoni et l�avait attendu en un lieu o� il se rendait souvent : le domicile ajaccien de ses parents. Par la faute d�une � mauvaise � mise en place, l�un des responsables du Canal habituel, Alain O� recevra m�me une balle de son propre camp et Fran�ois Santoni s�en sortira indemne.

Il se dit m�me qu�Yvan Colonna ayant appris la nouvelle se proposera pour venir garder Fran�ois Santoni � l�h�pital. Mais ce dernier n�avait jamais r�ussi � avaler le fait que le secteur Carg�se-Sagone ait refus� sa � tutelle �. Le groupe de Cargese-Sagone prendre une autonomie tr�s proche de l�ind�pendance et finira par tuer le pr�fet Erignac.

Aujourd�hui la r�alit� est diff�rente. Le secteur de Corte est extr�mement relativis� apr�s des querelles internes qui ont men� � la s�cession une partie des militants. Le dirigeant de ce secteur, r�put� pour son int�grit�, ne r�ve que de devenir un �lu � l�assembl�e territoriale. Et cela d�autant que sa place est menac�e par le proc�s des assassins de son fr�re, des nationalistes de l�ex Canal habituel.

Or ce responsable militaire s�est port�e partie civile, accordant � la � justice fran�aise � un r�le qui lui est fortement reproch� par les amis des assassins mais aussi dans les rangs m�me de l�Union des combattants o� la jalousie fait de grands ravages.

Et c�est l� une des plaies de la Corse que l�on retrouve jusque dans les moindres strates de la clandestinit� : une jalousie qui provoque plus de d�g�ts que toutes les r�pressions. Bizarrement, l�une des reconnaissances qui provoque ce pi�tre sentiment est celle de la France. Celui qui est choisi pour � parlementer � avec les repr�sentants du gouvernement est aussit�t par� d�une aur�ole qui provoque tout aussit�t l�envie de ceux qui n�ont pas �t� �lus.

Le m�me processus agit avec la presse. Il suffit que le nom d�un militant ou d�un dirigeant soit cit� dans un article pour le jeu de massacre commence. Cela d�bute par de petites rumeurs en g�n�ral bas�e sur un d�tail vrai. Puis chacun commence � extrapoler jusqu�� ce que le malheureux qui, le lundi, s��tait r�joui de voir son nom dans la presse, se promette de ne plus jamais parler aux journalistes.

C�est ainsi que beaucoup plus que l�omert� d�crite par la presse continentale, c�est une esp�ce d�auto-censure qui celle les l�vres. Il ne faut surtout pas appara�tre sur le devant de la sc�ne si on veut �viter les ennuis. � noter que ce nivellement par le bas op�re dans toute la soci�t� corse cr�ant un r�gne de la m�diocratie qui interdit tout envol de la soci�t�.

En pareille situation, la violence est la parole de ceux qui n�osent pas parler comme l�anonymat des journalistes de L�investigateur est le seul moyen d�expression trouv� pour prot�ger la vingtaine de correspondants qui acceptent d��crire dans ces colonnes.

En quoi la situation actuelle est-elle dangereuse ? Elle l�est car aujourd�hui toutes les issues sont bouch�es. Les partisans du � non � ne proposent rien de novateur et ceux qui ont vot� pour le � oui � ne savent plus comment ouvrir la porte de discussions permettant une avanc�e institutionnelle.

Or, dans la clandestinit� les deux FLNC p�se aujourd�hui d�un poids � peu pr�s identique. Par contre la couverture �lectorale de l�Union des Combattants est incomparablement plus vaste que celle du FLNC 3 pour la simple et bonne raison que celui-ci n�a pas d�expression l�gale.

Les auteurs de l�interview parue dans Corsica qui militent sur la r�gion bastiaise ne sont que des � voix � sans pouvoir. Ils militent dans la mouvance d�attaque et professent des opinions de gauche qui ne sont rien d�autre qu�un habillage id�ologique sans cons�quence pour les � plastiqueurs � qui, seuls comptent dans le FLNC 3.

Ce qui se joue actuellement c�est la pr�pond�rance sur la clandestinit�, ce monde en partie r�el en partie imaginaire qui malheureusement dicte sa loi � la Corse. Or pour garder ce pouvoir, l�Union des Combattants, malgr� toutes ses promesses n�h�sitera pas � employer la violence. Elle ne peut rien faire d�autre � moins d�accepter sa propre disparition.

Or un constat s�impose : la tendance Canal historique est la seule qui, dans la clandestinit� a r�ussi � survivre. Le Canal habituel s�est auto dissous, tout comme Resistanza. Par contre, un autre constat s�impose. Le Canal historique (aujourd�hui Union des Combattants) n�a jamais r�ussi � imposer son monolithisme dans la clandestinit�. Il s�est toujours trouv� d�autres militants pour contester son pouvoir.

Pourtant l�histoire est dure pour les perdants. Le Canal habituel a perdu beaucoup de militants. Armata Corsa a disparu. Resistanza s�est d�sagr�g�e. Mais les challengers sont toujours l� esp�rant qu�enfin leur tour est arriv�.

L��quilibre des forces est dangereux car il donne des esp�rances aux plus faibles et rend m�chant les plus forts. Nous en sommes aujourd�hui l�. Le jeu de piste qui s�est ouvert ressemble aux cadavres exquis italiens. Ils d�signent le sens d�une dynamique radicale. Il semblerait que les deux FLNC arrivent pour l�instant � dominer leurs situations respectives. Mais l�assassinat du pr�fet Erignac d�montre qu�en Corse le pire est toujours � craindre.

Beaucoup de militants clandestins pr�f�reront de nouveau pratiquer l�assassinat d�un repr�sentant de l��tat ou plus vraisemblablement de la classe politique insulaire plut�t que de laisser � nouveau le mouvement nationaliste s�enfermer dans une guerre fratricide d�o� il sortirait exsangue et moribond. Car il ne lui serait pas pardonn� de r�p�ter deux fois de telles erreurs.

Or � l�automne le mouvement clandestin va devoir s�affirmer en face d�un mouvement social qui lui est profond�ment hostile. � chaque que le mouvement social s�est exprim� le mouvement clandestin est entr� en crise. En 1989, la grande gr�ve des fonctionnaires a pr�cipit� par ricochet la premi�re scission du mouvement nationaliste puis la grande crise de 1990.

En 2003, le mouvement social a d�autant plus pes� sur le mouvement nationaliste que l�implantation r�elle du syndicat nationaliste le STC, le pousse � prendre des positions de plus en plus r�formistes et donc de moins en moins radicales. En cons�quence, il s�op�re une c�sure entre les � militants � sociaux nationalistes pour qui la violence devient un frein et les militants � clandestins � pour qui la revendication sociale encha�ne chaque jour un peu plus � l��tat fran�ais.

L�automne risque donc d��tre l��preuve du feu. Seule espoir : le Conseil d��tat doit rendre en octobre son verdict quant aux fraudes qui auraient entach�es le r�sultat du r�f�rendum. En cas de r�ponse positive, Nicolas Sarkozy ou son successeur pourrait tr�s d�mocratiquement relancer la machine institutionnelle. La Corse alors pourrait enfin souffler.

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