La Corse h�site au lendemain du r�f�rendum qui a donn� une tr�s courte victoire au oui. Elle h�site en tous sens et de mani�re d�sordonn�e.
Le ministre de l�int�rieur attend et observe. Il avait promis au soir des r�sultats le r�tablissement de l��tat de droit et la fin de l�impunit� comme si, jusqu�alors lui-m�me s��tait attach�, � faire perdurer un �tat de non-droit et � pr�server l�impunit� pour ceux qui violent la loi.
En d�finitive, ces martiennes d�clarations n�ont pas chang� grand-chose, sinon que Nicolas Sarkozy a d��u dans une �le habitu�e � ce que tout vienne en permanence de l��tat : les sous et les id�es sans oublier le p�trole.
Les glorieux � nonistes � dirig�s par �mile Zuccarelli, ami de Jean-Pierre Chev�nement, d�put�-maire de Bastia, et Nicolas Alfonsi d�put� radical de gauche, avaient promis une refondation sur les d�combres du � oui �. Il ne s�est rien pass� de particulier sinon un timide appel � projet qui faisait �cho � celui lanc� par le patron de l�UMP Jos� Rossi. Si on voulait r�sumer trivialement la situation nous �cririons que tout le monde a les deux pieds dans la merde et que tout le monde patauge joyeusement.
� une exception pr�s tout de m�me et qui m�rite d��tre signal�e. Les nationalistes d�Indipendenza apr�s un coup de bambou particuli�rement soign� se sont secou�s et ont repris la main.
Leur situation n��tait en effet pas particuli�rement brillante. Sur le plan l�gal, ils avaient appel� � voter � oui � et se retrouvaient a priori sans solution de rechange. Le verdict du proc�s des assassins du pr�fet Erignac ne pr�disposait pas nombre de militants � faire des concessions.
Sur le plan clandestin, le FLNC Bis ou 3 contestait la primaut� de l�Union des combattants et s��tait prononc� pour le refus de la r�forme. Des noyaux entiers de l�Union des Combattants penchaient vers cette nouvelle force notamment celle qui montrait des signes de pr�dilection pour l�action du commando Erignac.
Or les nationalistes d�Indipendenza ont ind�niablement r�ussi leurs journ�es internationales r�unissant derri�re leur seule banni�re 1500 personnes pour un meeting de combat.
Ils ont ensuite r�ussi � s�imposer comme la locomotive d�une politique d�unit� que, bien entendu, ils ne con�oivent qu�align�e sur leur propre politique. Les nationalistes mod�r�s, re�us par Nicolas Sarkozy, (au risque de le faire para�tre comme une roue de secours qui n�en aurait pas les moyens) n�ont aucune solution. La direction du Parti national corse (mod�r�s) ne veut plus r�it�rer l�exp�rience de 1992 quand Corsica nazione avait fait le lit d�un FLNC Canal historique agressif. Cette union allait d�une certaine mani�re favoriser l�explosion du conflit sanglant entre nationalistes m�me si les pr�mices de cette guerre (la catastrophe de Furiani) n��taient qu�indirectement li�es � la formation de Corsica nazione.
Si rien ne vient entraver la r�sistible ascension des ind�pendantistes, ceux-ci devraient naviguer entre les 25 et 30% des votants. Cela devrait faire d�eux la premi�re force organis�e de l��le.
La situation se pr�te � une telle marche victorieuse. Paul Giacobbi, l�h�ritier du clan radical de gauche, s�est impos� comme l�homme de l�avenir insulaire. Il poss�de ce qui a fait la force de Jos� Rossi : une intelligence dont les ambitions d�passent les fronti�res �troites de la Corse. D�s la mort de son p�re, qui l�a indubitablement d�livr�, il s�est permis des audaces politiques en direction de Toussaint Luciani (avec qui il avait d�j� travaill�), avec les nationalistes (qui pourtant l�avaient copieusement insult� dans le Ribombu) ou avec la gauche la plus ouverte. Il a montr� qu�il r�gnait sur son petit monde du centre de l��le avec pragmatisme et souplesse. Il a compos� avec son propre clan tout en l�utilisant au mieux durant la bataille pour la r�forme.
Enfin, au prix d�un r�el endettement de son d�partement, il a r�ussi � induire une dynamique �conomique qui manque terriblement � la Corse-du-Sud. Que manque-t-il alors � Paul Giacobbi pour devenir le nouveau roi de la Corse ? Il est prisonnier du parti radical de gauche et plus g�n�ralement d�une gauche qui, dans l��le, a syst�matiquement rat� les rendez-vous de l�histoire depuis l�aube des temps.
Au XIX�me si�cle, sit�t apr�s la d�faite de Sedan, la 3�me r�publique se monte avec l�aide de r�publicains authentiques et de monarchistes modernistes. Un homme s�impose en Corse : c�est un radical ami de Gambetta : Emmanuel Ar�ne. L�homme est n� � Ajaccio. Il a tous les talents. Il est l�ami des grands de Paris. Il est pour la s�paration de l��glise et de l��tat. C�est aussi et surtout un dreyfusard qui s�oppose � une droite cl�ricale, antis�mite et particuli�rement r�trograde. Il est le seul � pouvoir faire avancer la Corse.
Or il va s�obstiner � jouer sur les plus d�testables rouages de l��le. Il redore le blason du clan jusqu�alors minoritaire et pratique une politique client�laire qui va jeter dans le maquis des dizaines d�hommes. Clemenceau, homme de gauche, devient ministre de l�int�rieur. Jeune d�put�, il avait fait preuve d�un �tat d�esprit ouvertement anti-corse. Ministre de l�int�rieur tout puissant, il est � l�origine d�un rapport qui d�crit la mis�re de l��le. R�sultat politique ? Rien.
Le pr�sident Millerrand vient en Corse dans les ann�es 20 et promet l�autonomie. Rien ne se passera. Le Front populaire passe. En Corse c�est toujours le n�ant. la Corse se soul�ve contre la division SS Das Reich en septembre 1943, il a exactement 60 ans. La gauche domin�e par le parti communiste est dominante dans les rapports de force. Que fait-elle ? Pour contrer Paul Giacobbi (le grand-p�re de l�actuel d�put�), gaulliste d�clar�, elle fait alliance avec Camille de Rocca Serra (le grand-p�re de l�actuel d�put�) qui avait collabor� et avait �t� d�chu de ses droits civiques. Communistes et r�actionnaires prennent ainsi le pouvoir. Bilan : le n�ant.
De d�cennie en d�cennie, on constate donc une incapacit� de la gauche � prendre des mesures positives. Dans le meilleur des cas, elle se bat contre des projets pour que rien n�avance. Dans le pire des cas, elle fait alliance avec les ailes les plus radicales de la droite afin de bloquer toute �volution. C�est ainsi que le Parti communiste, des socialistes et les radicaux de gauche ont tent� de couler les r�formes de 1982, 1991 et plus r�cemment, celle de Sarkozy. Une telle attitude pourrait �tre justifi�e si quelque chose �tait propos�. Mais les seules v�ritables propositions de ce front h�t�roclite du refus ont �t� que rien ne change, exigeant une r�pression impossible.
Paul Giacobbi est donc le produit atypique d�une culture familiale et d�une ambition personnelle. Tous ceux qui ont connu comme nous le vieux Fran�ois connaissent ses coups de gueule, son amour contrari� pour son �le, son intelligence des situations et sa d�testation des fascismes. Paul Giacobbi vit partager entre Venaco qu�il rejoint tous les soirs quand il est pr�sent et Asni�res o� vivent sa femme d�origine indienne et leurs enfants. Cet homme, multiculturel, au bon sens du terme, trouve ainsi l��nergie de transcender les probl�mes insulaires, qui, v�cus de l�int�rieur, finissent par �tre insolubles.
Paul Giacobbi va devoir encore faire preuve de courage en acceptant de rompre avec les radicaux de gauche insulaires tout � la botte des derniers staliniens fran�ais. Il a d�j� commenc� en cr�ant son groupe de r�flexion � La Corse en marche �. Il doit composer avec les archa�smes de ses propres partisans et les trahisons pr�visibles . Mais il est le seul � pouvoir avancer sur ce difficile chemin.
La gauche se cherche. Elle sait que les �lections territoriales de 2004 vont �tre d�terminantes. Elle joue son avenir. Pour l�instant, tout comme la droite, elle para�t revenir � un sc�nario classique. Chacun part avec sa famille d�origine pour ensuite, une fois �lus, se regrouper dans l�assembl�e selon les affinit�s.
Cependant en Corse, o� les ambitions personnelles jouent un r�le tellement grand, un tel sc�nario, parfait sur le papier, risque fort d��tre contrari�. Simon Renucci, le d�put� maire d�Ajaccio, est en train de rater son pari : celui d�am�liorer les affaires de la ville dont il oublie parfois qu�il est le maire. Il a d�j� �t� l�ch� par les chev�nementistes et doit faire face aux app�tits pantagru�liques de son premier adjoint, le communiste Paul Antoine Lucciani qui se verrait � la t�te de la ville imp�riale.
Il renouerait ainsi avec la Lib�ration de la Corse qui pla�a � la t�te d�Ajaccio un communiste afin de � punir � les bonapartistes qui avaient collabor� sauvagement avec les autorit�s fascistes italiennes. Mais il a contre lui le prince Napol�on qui tente de se faire une place difficile dans cette ville qu�il n�a que tr�s r�cemment connu, apr�s des �tudes suisses, des affaires parisiennes et une arriv�e discr�te dans l��le.
On pr�te � Simon Renucci l�ambition de devenir pr�sident de l�assembl�e territoriale � la place de Jos� Rossi. Mais cela sous-entend des accords souterrains avec le groupe de ceux qui ont appel� � voter � non � au r�f�rendum. On pr�tend que Simon Renucci est suffisamment tortueux pour s�y �tre pr�t� tout en mettant bien entendu son �nergie dans la campagne pour le � oui �.
Le parti communiste, de son c�t�, joue tout simplement sa survie. Condamn� par l�histoire, il s�accroche � ses guenilles comme un malheureux. Il d�tient des bastions dans la fonction publique sous le paravent de la CGT mais partout il est contest� par le STC un syndicat nationaliste, qui, souvent, use des m�mes arguments populistes.
M�me � l�EDF, de nombreux militants de la CGT sont pass�s au nationalisme apr�s que la justice ait le fait la v�rit� sur un commando cagoul� qui y semait la terreur. Nombre de ses membres �taient en fait des militants de la CGT. Pourtant la conf�d�ration les avait proprement l�ch�s apr�s qu�ils aient �t� mis en examen. La plupart avaient rejoint le STC. Quant au plus dur des C�g�stistes, le ch�v�nementiste Fran�ois Filloni, il a rejoint (allez savoir pourquoi) FO apr�s cette affaire.
Gauche en lambeaux mais droite en piteux �tat. Jos� Rossi, partisan du � oui � tente d�en resserrer les boulons. Pourtant, il n�est un myst�re pour personne qu�� Bastia, la droite a fait campagne, pour sa majorit�, en faveur du � non �. Le point d�orgue a �t� le meeting d�sastreux de Sarkozy et de Raffarin � l�a�roport de Bastia. Non seulement les troupes de droite n��taient pas l�. Mais une consigne �tait pass�e dans les rangs de la droite de ne pas y aller.
Jos� Rossi, le promoteur de toutes les r�formes, n�en finit pas de payer son esprit r�formiste. Sa famille d�origine, le bonapartisme, a fait voter lors des derni�res �lections municipales, pour le social-d�mocrate Simon Renucci, afin de le punir. Il est aujourd�hui sans grand avenir. � moins que� les nationalistes ne fassent un gros score. Il redeviendrait alors, tout comme, Paul Giacobbi, l�homme indispensable pour un � compromis historique �. Le meilleur tripl� serait pour lui : nationalistes, UMP, gauche.
La fin de l��t� va �tre marqu�e par une accentuation de la crise �conomique et, vraisemblablement une relance des mouvements sociaux. Le rassemblement impressionnant du Larzac est un signe avant-coureur de la crise qui arrive. Sur le continent, les grands b�n�ficiaires de la crise seront vraisemblablement l�extr�me-gauche et peut-�tre le Front national. En Corse, le vote protestataire ira massivement vers les nationalistes s�ils savent �viter le pi�ge du tout-violence. Mais jusqu�� maintenant, ils ont montr� une grande habilet� � g�rer une situation o� pr�dominent les ruses de berger plut�t que la grande politique. On imagine le s�isme d�un nationalisme pro-violence en tant que premi�re force politique de l��le.
Alors que la Corse s�appr�te � comm�morer le soixanti�me anniversaire de la Lib�ration de l��le, les territoriales vont devenir un enjeu national.
Le gouvernement va devoir la jouer fine en �vitant les surench�res caus�es par des pol�miques continentales. Difficile par les temps qui courent. La Corse entre deux-vins h�site entre ses formes d�ivresse. Or les vendanges sont en avance. Un pas � droite, un pas � gauche, un pas sur le c�t� nationaliste. Une marche encore h�sitante vers l�avenir.
TOUT LE DOSSIER CORSE
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