Nicolas Sarkozy avait les maxillaires serr�s lorsqu�il a annonc� qu�il d�mant�lerait le r�seau de solidarit� qui aurait accompagn� Yvan Colonna. Il prend ce faisant un risque �norme en risquant de r�activer le r�flexe de solidarit� des Corses.
Ce dimanche, mis � part quelques centaines de nationalistes, la Corse enti�re se r�jouissait de l�arrestation d�Yvan Colonna. � De cette fa�on, disait-on dans les rues de Bastia et d�Ajaccio, on va cesser de croire que tous les Corses ont particip� � l�assassinat du pr�fet �. Or s�il est une valeur culturelle essentielle en Corse c�est la compassion envers les r�prouv�s. Autant l�assassinat du pr�fet a �t� unanimement condamn�, autant aider un fugitif appara�t ici comme une attitude digne. Il faut se rappeler que l�opinion publique corse avait bascul� en 1998 apr�s les exc�s des policiers de la DNAT, exc�s dont le pr�fet Bonnet avait support� les cons�quences. Ce sont ces exc�s qui avaient provoqu� le score important des nationalistes. Nicolas Sarkozy avait fait une erreur en annon�ant l�arrestation de l� � assassin du pr�fet � alors qu�il n�est que le pr�sum� assassin. Les nationalistes l�ont compris qui ont tout de suite mis en avant la pr�somption d�innocence. Une r�pression sans nuances qui mettraient en prison des hommes et des femmes qui n�ont fait qu�accueillir Yvan Colonna serait, ici tr�s mal pris. D�autant que le � r�seau � peut n��tre compos� que d�anonymes qui ont simplement eu l�impression de faire leur devoir d�hommes.
Nicolas Sarkozy a annonc� samedi que "d'autres �v�nements se produiront dans les jours qui viennent", en allusion � une "structure" de soutien dont il aurait b�n�fici�. Il risque fort de s�y br�ler les doigs.
Fr�d�ric Paoli, le propri�taire de la bergerie, a �t� arr�t� samedi matin. Selon certaines informations il aurait �t� li� dans le temps � Jean-Fran�ois Ramoin-Lucciani, dirigeant de Corsica viva et aujourd�hui emprisonn� pour le double attentat de l�URSAFF et de la DDE � Ajaccio. Mais il se peut aussi qu�Yvan Colonna ait b�n�fici� de cet abri sans que le propri�taire soit au courant de qui il abritait.
L�habilet� du ministre de l�int�rieur se jugera aux r�sultats sur le long terme et non � la seule arrestation d�Yvan Colonna. Les difficult�s sont devant lui tant il est vrai que la Corse a montr� qu�elle pouvait prendre ombrage de faits consid�r�s comme mineurs sur le continent.
Nous publions ci-dessous un extrait d�un ouvrage �crit par Gabriel-Xavier Culioli, �crivain dont le nom a d�j� �t� souvent cit� dans ces colonnes. Malgr� les r�serves que nous avons d�j� signal�es vis-�-vis de ce compagnon de route du nationalisme, il nous semble que ce texte refl�te pour le meilleur et pour le pire le sentiment d�un grand nombre de Corses vis-�-vis de la d�nonciation. L�ouvrage cit� est � Pour Don Trajan � publi� aux �ditons DCL
� Il me reste maintenant � �noncer l'aspect le plus d�licat de ma d�monstration, mon propre sentiment vis-�-vis des assassins du pr�fet, et plus particuli�rement envers Yvan Cotonna, le meurtrier pr�sum� du pr�fet Erignac, fuyard traqu� par la police et la gendarmerie fran�aises. Avant toute autre chose, qu'il me soit permis d'exprimer quelques mots sur Claude Erignac. Je n'ai jamais rencontr� de pr�fet. A priori, je n'avais gu�re d'estime particuli�re pour les grands commis de l'�tat qui servirent en Corse. Ils se pli�rent � toutes les politiques sans �tats d'�me. Je ne sais pas si Claude Erignac fut diff�rent de ses pr�d�cesseurs et cela n'a plus gu�re d'importance. Mon unique certitude est que Claude Erignac aurait du vivre longtemps et profiter de sa famille, de sa retraite et de la vie. J'ai �prouv� une peine v�ritable pour les siens, un de ces chagrins que seuls ceux qui ont souffert d'un pareil malheur peuvent conna�tre. Claude Erignac �tait protestant comme mes parents. N'ayant jamais �t� baptis�, je n'appartiens � aucune communaut� religieuse. Mais je suis profond�ment croyant et je sais que l'assassinat d'un homme est toujours un �chec, bien que je pense qu'en certaines circonstances il puisse �tre justifi�. Je fais allusion � des situations particuli�res comme celles de dictatures, ce qui n'est �videmment pas le cas de la Corse.
Il y a quelques ann�es, je visitai le mus�e du D�sert situ� dans un mas c�venol. Symbole de la r�sistance protestante au catholicisme de Louis XIV, il est un lieu t�moin du martyre de cette communaut� r�tive � l'abjuration de sa foi. Je me promenais parmi les vitrines contenant des objets simples qui appartinrent aux camisards quand je fus saisi d'une �motion soudaine. Je percevais presque charnellement la souffrance de ces hommes et de ces femmes, leur in�branlable conviction dans leur propre religion. Je dus m'arr�ter et m'abriter dans un angle de la pi�ce pour respirer profond�ment. Ces lieux �taient encore hant�s par l'�me de ces hommes et de ces femmes dont beaucoup pr�f�r�rent les gal�res ou la mort � une d�faite morale.
Le jour o� Claude Erignac fut enterr� dans sa terre de Loz�re, je ressentis une �motion semblable, peut-�tre parce que lui aussi �tait protestant. J'ai souvent pens� � madame Erignac, � sa peine, � l'absence de l'�tre aim�. J'ai pens� � ses enfants, � l'insupportable absence de leur p�re. J'ai voulu leur �crire ma compassion puis j'ai renonc�, jugeant que ma lettre pouvait �tre mal interpr�t�e.
Je n'ai jamais eu de pr�dilection pour la d�lation et encore moins pour la chasse. Je n'ai jamais aim� la traque d'�tres vivants. J'ai �galement eu des pens�es pour les parents de ce gar�on qui, vraisemblablement, avait dans le pass� commis de ces actes de violence que j'avais d�nonc�s. J'�prouvais � son �gard une infinie compassion et plus pour les siens, condamn�s � vivre dans la tristesse, tout comme la famille Erignac. Le meurtre du pr�fet m'�tait odieux, mais Yvan Colonna �tait mon fr�re en �me comme l'�tait le pr�fet. Jur� aux assises, je l'aurais condamn�; homme, j'aurais voulu l'aider.
Une nuit, j'ai r�v� une sc�ne qui a fort peu de chances de se produire. Un soir, je me trouvais chez moi en famille lorsqu'on frappa � ma porte. J'allais ouvrir et je vis Yvan Colonna qui me demanda le g�te et le couvert. La loi aurait voulu que je le chasse et que je t�l�phone aussit�t � la gendarmerie. Elle aurait m�me peut-�tre pr�f�r� que je le nourrisse, que je lui offre un lit et que je fasse venir les gendarmes durant son sommeil. Une telle attitude m'�tait interdite par ma propre morale.
Je demandai � ma femme de quitter la salle � manger sans plus lui donner d'explications. Je priai Yvan Colonna de s'asseoir � table et je lui pr�parai � manger ce que je pouvais trouver de meilleur. Je ne parlai pas aussi longtemps que dura le repas. Lorsqu'il eut termin�, je lui fis part de mon sentiment sur le meurtre du pr�fet et lui conseillai de se rendre � la gendarmerie pour son bien et celui des siens. Enfin, je le priai de demander pardon � la famille Erignac. Je terminai en pr�cisant qu'il pouvait dormir chez moi et qu'il repartirait � son gr�.
Ma seule demande �tait qu'il r�fl�chisse � mes paroles. La justice pouvait m'inculper pour non-d�nonciation de malfaiteur, je m'en moquais. J'avais eu l'impression d'agir comme aucun juge ou policier ne pouvait le faire, en m'adressant directement � l'�me d'un homme puis en lui laissant la totale libert� de ses d�cisions. Voici les conclusions auxquelles je suis parvenu apr�s une longue r�flexion. Elles ne constituent certainement pas une r�gle � suivre et moins encore un conseil pour tout autre que moi. Elles sont l'expression de ma personnalit�, de mon �volution et de ma voie personnelle. �
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