Les hebdomadaires ne savent plus o� donner de la t�te pour rendre compte de la capture d�Yvan Colonna. Le premier journal � en rendre compte a �t� Le Monde, un quotidien. Le r�cit �tait celui de ce bon Tonton Lambert qui narrait devant la journaliste esbaudie la chanson de gestes de la police fran�aise.
Puis le Nouvel Obs (avec cependant une nuance ironique dont nous avons rendu compte) et maintenant l�Express, le Point et surtout Paris-Match. Ce glorieux hebdo (le poids des mots le choc des photos) d�tient la palme de la pens�e polici�re unique. C�est encore et toujours Tonton Lambert qui souffle les mots chocs � la journaliste. Mais en plus le minist�re de l�int�rieur (pardon on allait �crire de la police) a offert le choc des photos et quelles photos. C�est un chant hom�rique au g�nie de Nicolas Sarkozy. Pas tr�s digne du maire de Neuilly. On le voit montrer � ses collaborateurs la photo de Colonna. Et il sourit, et il rit et il �clate de rire. Un v�ritable gamin qui tient son joujou. Inutile de dire les d�g�ts que ce type de propagande fait dans l��le de Beaut� aujourd�hui cern�e par les nuages noirs. Le titre du reportage est modestement � L�heure de gloire de Sarkozy �.
Nous reproduisons l�interview qu�il donne � une Laurence Masurel dont on ne peut pas dire qu�elle donne dans l�insolence. Les seuls �l�ments int�ressants sont ceux relatifs � l�enqu�te qui contredisent ce qui avait �t� �crit pr�c�demment. Ainsi apprend-on que la longue traque qui a permis de capturer Colonna a en fait commenc� le 29 juin. Que la fameuse photo qui a permis d�identifier le fuyard a �t� prise le 1er juillet. Qu�il a fallu encore un ou deux jours pour reconna�tre Colonna.
Saluons l�enqu�te de Paris-Match dont on se demande par instant si elle n�est pas celle de journalistes oblig�es d��crire ces pages mais soucieux d�y glisser d�irr�sistibles peaux de banane. Ainsi l�interview et l�enqu�te se contredisent sur la date de prise de la photo. Tr�s r�guli�rement, les moyens consid�rables mis en �uvre par le ministre sont minutieusement d�crits pour en conclure avec tout autant de r�gularit� que c�est le fait de ne rien d�couvrir qui a fait avancer l�enqu�te. On apprendra avec une curiosit� excit�e que les services secrets espagnols et anglais ont �t� consult�s �tant donn� leur grande exp�rience de lutte contre l�Ira et l�Eta. Mis � part le fait qu�on ne voit pas tr�s bien la relation entre la lutte anti-terroriste et le fait de rechercher un fugitif, on se permet de douter quant � la fiabilit� de ce scoop.
Nos Rouletabille glorieux ne se posent pas beaucoup de questions. Pour nous qui sommes all�s sur place, nous r�it�rons nos propos, les descriptions faites par les policiers sont de pures gal�jades. Il est impossible de planquer autour de la bergerie. Yvan Colonna y a �t� amen� par voiture. On ne voit pas tr�s bien ce qu�il a fait quand il est parti pour revenir quelques heures plus tard. Enfin � qui veut-on faire croire que m�me dans le doute, les policiers n�auraient pas fonc� sur un suspect quitte � s�excuser. La sc�ne d�un Colonna racontant sa mis�re de fuyard ne serait pas imaginable m�me dans un nanar de s�rie Z. Sarkozy en a r�v�, nos journalistes l�ont fait. Mais une l�gende est n�e de l�imagination fertile de Tonton Lambert. Et les journalistes tout heureux d�avoir des mots � moudre lui ont donn� corps.
Quelques personnes auront tout de m�me �t� bless�es au passage. Seul Squarcini est cit� par Sarkozy. Merci pour son sup�rieur direct, Yves Bertrand dont le nom n�est m�me pas �voqu�. La justice anti-terroriste est trait�e comme une serpilli�re. Puisqu�au passage on note que pour �viter les fuites, le juge Brugui�re a �t� tenu � l��cart. Au passage cela corrobore nos informations donn�es dans les pr�c�dentes �ditions.
Paris Match est devenu un vecteur de communication pour un Sarkozy irrit� des rumeurs concernant un arrangement. Nous ne sommes pas s�rs qu�avec de telles balivernes cela puisse arranger sa th�se, m�me si elle est juste. Et puis au fait, le travail de journalisme ne consiste-t-il pas � d�ranger plut�t qu�� arranger, � d�couvrir plut�t qu�� couvrir. Mais peut-�tre est-ce moins vendeur ?
Interview de Laurence Masurel
Paris Match. Avez-vous �t� d��u du r�sultat de "votre" r�f�rendum en Corse? Y voyez-vous un �chec personnel?
Nicolas Sarkozy. Oui, j'ai �t� d��u pour la Corse car il y avait une opportunit� de conjuguer fermet� r�publicaine - l'arrestation d'Yvan Colonna en a �t� l'illustration - et ouverture vers l'avenir, gr�ce au nouveau statut qui aurait permis de renouveler la classe politique insulaire avec l'arriv�e des femmes. C'est ainsi. Pour le reste, c'est mon caract�re qui me porte � assumer les difficult�s sans louvoyer. Nous �chouons de moins de 1 %, mais nous �chouons.
P.M. Quelle est votre analyse?
N. S. Vingt-huit ann�es d'immobilisme, de peurs, de violences, de d�ceptions accumulent sur l'�le beaucoup de ranc�urs qui rendent plus ais�es les coalitions pour dire "non" que la mobilisation pour dire "oui".
P.M. Cela ne risque-t-il pas de pousser les nationalistes � se rebeller encore plus?
N. S. C'est une crainte que je ne suis pas seul � ressentir. Nous y ferons face.
P.M. Croyez-vous que l'arrestation de Colonna a influenc� le score du r�f�rendum?
N. S. L'arrestation d'Yvan Colonna �tait une priorit� nationale. Nous l'avons arr�t� d�s que nous l'avons pu. Je n'ai pas � me pr�occuper des cons�quences, que par ailleurs j'ignore.
P.M. Lorsque vous �tes entr� au minist�re de l'int�rieur, que repr�sentait pour vous, justement, l'affaire Colonna?
N. S. Une priorit� r�publicaine. Un pr�fet assassin� de dos, de trois balles dans la t�te, c'�tait une v�ritable atteinte � l'id�e que nous devons nous faire de la R�publique. Les Fran�ais ont droit � la v�rit� et le poids de la culpabilit� pour les Corses �tait extr�mement lourd tant qu'il n'�tait pas arr�t�. Je pensais qu'il fallait lever ce poids. Les
Corses ont le droit de ne plus vivre avec la peur au ventre. L'�tat a le devoir de les prot�ger.
P.M. � votre arriv�e Place Beauvau, qu'avez-vous constat�?
N. S. Les trois premiers mois, j'ai �t� �tonn� de d�couvrir que l'enqu�te ne progressait dans aucun domaine. J'�tais aussi exasp�r� par la rivalit� qui existait entre les diff�rents services. J'�tais scandalis� parce que je lisais dans la presse. Il y avait une tr�s forte porosit� entre les enqu�tes et les informations qu�on pouvait y lire.
P.M. Qu'avez-vous donc d�cid� � ce moment-l� ?
N. S. De mettre sur l'affaire les meilleurs services et nos technologies les plus pointues. Tous les jours, nos �quipes rendaient compte de leur progression. Chaque semaine, Claude Gu�ant, le directeur de mon cabinet, les r�unissait pour assurer le suivi des enqu�tes. Moi-m�me, j'�tais r�guli�rement tenu au courant du travail de nos �quipes.
P.M. Quelle strat�gie avez-vous mis en place?
N.S. Nous avons d�cid� de fermer au fur et � mesure les fausses pistes pour aboutir enfin � la bonne. On a ainsi envoy� deux hommes � Madagascar, d'autres en Sardaigne, en Colombie, au Venezuela, mais aussi des �quipes � La Ciotat et m�me dans le Val-de-Marne. On a tout v�rifi�.
P.M. M�me l�hypoth�se selon laquelle Colonna aurait �t� exp�di� au fond de la mer, une pierre au cou?
N.S. Cela m'a �t� beaucoup dit. Mais nous n'y avons jamais cru.
P.M. Comment avez-vous motiv� vos hommes qui, depuis quatre ans, ne trouvaient rien?
N.S. Christian Lambert, le patron du Raid, Bernard Squarcini, le n�2 du Renseignement, et Michel Gaudin, patron de la D.g.p.n. (Direction g�n�rale de la police nationale), sont de si grands professionnels qu'ils n'ont nul besoin d'�tre mobilis�s. Ils le sont par nature.
P.M. Et � Mme Erignac et � ses deux enfants? Que leur disiez-vous quand vous les rencontriez?
N.S. Ils �taient tous les trois d'une dignit� que je salue. Je les ai re�us chaque mois. En tout, douze fois. C'�tait toujours tr�s �mouvant. Je me suis attach� � instaurer entre nous un climat de confiance. Ainsi, je ne leur ai jamais menti. Quand nous n'avions rien, je disais � Mme Erignac que nous n'avions toujours rien. Onze fois de suite, je le lui ai dit. Et c'�tait dur. � notre douzi�me rencontre, je lui ai dit, pour la premi�re fois, que nous avions quelque chose, une piste plus s�rieuse. Quand je lui ai parl� pour la treizi�me fois, au t�l�phone, c'�tait, cette fois-ci, pour lui dire que nous avions arr�t� Colonna.
P.M. Jacques Chirac et Jean-Pierre Raffarin vous ont-ils encourag� tout au long de cette ann�e?
N.S. Le pr�sident �tait tr�s attach� � ce que nous retrouvions Yvan Colonna. Je l'ai tenu au courant, ainsi que le Premier ministre, des grandes �tapes de l'enqu�te.
P.M. Sur le terrain, comment celle-ci s'est-elle d�roul�e?
N.S. Cent personnes �taient mobilis�es en permanence. Et aux moments les plus forts, c'est-�-dire � la fin, la derni�re semaine, 28 hommes d'�lite du Raid se sont rendus en Corse pour se pr�parer � intervenir.
P.M. Vous dites avoir mis aussi les meilleurs moyens technologiques � la disposition de l'enqu�te. Cela veut dire quoi?
N.S. Nous avons �tudi� le trafic de millions d'�changes t�l�phoniques pendant des mois. C'est une premi�re. Jamais en France cela ne s'�tait fait � cette �chelle. Nous avons aussi pass� des mois � contr�ler les mouvements financiers. C'est de cette fa�on que nous avons acquis la certitude que Colonna �tait toujours en Corse, parce que nos investigations t�l�phoniques ou financi�res ne donnaient rien.
P.M. Tout s'est acc�l�r� dimanche 29 juin. Qu'avez-vous alors d�cid�?
N.S. Lorsque nous avons eu la photo, deux jours apr�s ce dimanche (donc le 1er juillet NDRL), d'un homme pouvant �tre Colonna dans la bergerie, nous avons aussit�t demand� � Lambert de partir en Corse avec ses hommes du Raid. D�s lors, le contact avait lieu plusieurs fois par jour par l'interm�diaire de Claude Gu�ant. Il a fallu v�rifier toutes les donn�es, �tudier le terrain pendant tout le d�but de la semaine pour mettre au point l'arrestation et, surtout, la r�ussir.
P.M. Certains ont dit que vous aviez fait expr�s d'attendre vendredi, � la veille du referendum pour lancer l'op�ration.
N.S. La bassesse de tels arguments me r�veur. L'incomp�tence de ceux qui les prof�rent me stup�fie. Qui peut imaginer que nous avons gard� pendant plusieurs semaines Yvan Colonna l'homme le plus recherch� de France, dar
seul but de faciliter la consultation? Vous pensez bien que si Jospin avait eu l'opportunit� d'attraper Colonna la veille de l'�lection pr�sidentielle, il ne se serait pas g�n� pour le faire arr�ter!
Lier la consultation � l'arrestation de Colonna n�a aucun sens. Il nous a simplement fallu prendre le temps pour �tre s�r de r�ussir son arrestation. Il a �t� vu - et c'�tait la premi�re fois depuis quatre ans - le matin. Il �tait interpell� le soir. Ceux qui critiquent aujourd'hui auraient mieux fait de l'arr�ter hier, comme cela il n'y aurait pas eu de pol�mique!
P.M. Lorsque votre pr�d�cesseur, Daniel Vaillant dit que vous avez fait "un coup politique", vous r�pondez quoi?
NS. Je ne lui en veux pas. Mettez-vous � sa place. Il doit se dire : pourquoi ont-ils r�ussi en un an ce que nous n'avons pas pu faire en trois? C'est humain.
P.M. Certains pr�tendent que Colonna �tait pr�t � discuter de son �ventuelle reddition. Est-ce exact?
N.S. C'est faux. Jamais il n'a voulu se rendre. J'aurais pr�f�r�, cela nous aurait �vit� de nous donner tant de mal pour le retrouver.
P.M. Y aura-t-il d'autres arrestations parmi les personnes qui ont aid� Colonna dans sa cavale.
N.S. Il y en aura d'autres. Il faut que les Fran�ais de l'�le sachent que, d�sormais, le temps de l�impunit� est r�volu. Nous le ferons dans le cadre de la justice et sans exc�s. Mais ce qui importe apr�s tout, c'est que nous le ferons! (sic).
Le r�cit d�une traque exemplaire
Depuis 48 heures, les deux seules femmes du Raid arpentent avec leurs faux �poux les sentiers de randonn�e. Leur mission � aller au plus pr�s � de la bergerie
de notre envoy�e sp�ciale Delphine Byrka
Enqu�te Fran�ois Labrouill�re, Ugo Ranki
Quatre ans, un mois, onze jours et quinze heures r�sum�s dans un soupir: � Une cavale.., c'est dur.� Encore abasourdi, l'homme tout juste neutralis� r�alise:� Maintenant je vais pouvoir revoir mon fils. � Il est 19 h 30, ce vendredi 4 juillet.
Il y a seulement trente-cinq minutes, il �tait encore l'ennemi public n�1. Le proscrit, qui, dans sa fuite, a sem� confusion, doute et d�couragement, s'offre en vaincu soulag� : � Oui, je suis Yvan. Pas de probl�me. C'est bien moi. On arr�te de jouer. Vous avez bien boss�.� Christian Lambert, le patron du Raid, peut rassurer Nicolas Sarkozy. �Monsieur le ministre, nous le tenons, il vient de reconna�tre son identit�.� Quelques minutes auparavant, � 18h55, deux hommes du Raid, v�tus comme de simples promeneurs mais munis de gilets pare-balles, ont surgi du maquis. � 10 m�tres devant eux, juste devant la barri�re ouverte qui cl�ture le terrain de la bergerie, accroch� � la colline rocheuse, l'homme a l�ch� son sac � dos. Il se d�bat, r�ussit � faire quelques pas sur la piste � d�couvert, qui m�ne au sommet de la colline, puis tr�buche. Les assaillants le ceinturent. � Police, vous �tes en �tat d'arrestation. � Aussit�t menott�, le fugitif, dans un dernier soubresaut de r�sistance, lance: � Qu'est-ce que vous me voulez? Il y a erreur, je suis un randonneur. � � la radio, Christian Lambert, qui supervise l'op�ration quelques centaines de m�tres plus bas, sur la D157, l�che un �J'arrive�. En communication avec Michel Gaudin, le directeur g�n�ral de la police nationale, le patron du Raid est bref: � �a y est, on l'a... mais il nie �tre Colonna... Je monte. � De son c�t�, Gaudin a sur son portable Nicolas Sarkozy, f�brile d le d�but de l'op�ration. � Monsieur le ministre, ils le tiennent mais il refuse de dire qu'il est Colonna. � En cinq minutes, Christian Lambert rejoint ses hommes. � Tu es bien Yvan Colonna ? � demande calmement le divisionnaire. Silence de l'interpell�, d�stabilis� par l'arriv�e du chef. � Allez, on t'a reconnu�, n�gocie Lambert. Colonna admet. Les 28 hommes du Raid jours en faction autour de la bergerie, peuvent s'extraire de leurs bosquets. Sur leur � pager � qui ne quitte jamais les membres du Raid, un message laconique s'affiche : � L'objectif est le bon �.
R�partis sur une zone concentrique de 3 kilom�tres autour de la bergerie, voil� trois jours que les membres du � G10 �, nom de code donn� au groupe �Corse � du Raid, verrouillent toutes les issues possibles du fugitif. Ils tiennent onze positions. Les policiers du Raid fonctionnent en bin�me: pendant que l'un d'eux � s'enterre� pour vingt-quatre heures � proximit� de l'objectif, planqu� sous un entrelacs de branchages et de filets de camouflage, son �quipier le couvre, � plusieurs kilom�tres de l�, en attendant de prendre la rel�ve. Des techniques de camouflage de haut niveau, calqu�es sur celle des Cos, les troupes d'�lite de l'arm�e, charg�es de travailler derri�re les lignes ennemies sans se faire rep�rer. Certains hommes sont positionn�s � quelques m�tres de la bergerie, ils doivent se contenter d'assister, immobiles et impassibles, aux all�es et venues d'Yvan Colonna. Pas question pour Christian Lambert et son bras droit Jean-Louis Fiamenghi, un Corse, ancien des R.G., surnomm� �Fiam� par ses hommes, de d�clencher l'interpellation si le fugitif a la moindre chance de pouvoir s'�chapper. Des heures durant, sous une chaleur accablante, le commando du Raid attendra le top d�part. Dans les starting-blocks depuis l'aurore, Lambert conna�t bien les habitudes de Colonna. Juste apr�s l'assassinat du pr�fet Erignac, le 6 f�vrier 1998, c'est lui qui a supervis� pendant quatre mois les surveillances du Raid sur Yvan et son fr�re St�phane: � On connaissait leurs habitudes, leurs comportements nous �taient familiers et leurs r�actions pr�visibles. � Alors, quand vendredi matin, � 4 h 30, un bruit de casserole a tint� dans la bergerie, Lambert a alert� ses hommes: � C'�tait l'heure o�, � l'�poque, il se levait. � Quelque dix minutes plus tard, une voix s'�l�ve. L'homme parle corse et s'adresse � ses ch�vres. Comme le faisait Yvan au petit matin, lorsqu'il entrait dans sa bergerie de Carg�se. Vers 5h30, le myst�rieux occupant, en short et tee-shirt blanc, sort quelques instants pour soigner les b�tes, puis il regagne la bergerie. Le patron du Raid et Fiamenghi ont l'intuition qu'ils tiennent leur proie. Ils d�cident de mettre en place un dispositif plus serr�. Ils appellent Bi�vre, le Q.g. du Raid, pour demander du renfort. Les derniers participants � l'op�ration prendront le vol de 12h40 � Orly pour rejoindre in extremis leurs camarades � Porto-Pollo.
Vers midi et demi, le berger, clo�tr� depuis le r�veil derri�re la porte vert amande de la cabane en pierre, ressort enfin. Il a chang� de v�tements. Treillis, chaussures de marche, tee-shirt noir et sac � dos, l'homme aux cheveux longs et � la barbe indisciplin�e est �quip� comme s'il partait en excursion. Il ressemble � s'y m�prendre � Yvan Colonna. Les yeux, le nez... Lambert en est persuad� : c'est lui.
Cinq agents attendent qu'il s'�loigne pour entrer et fouiller discr�tement la bergerie. Pas question de mettre la puce � l'oreille du �locataire� sur la pr�sence polici�re alentour. R�union de crise dans un Q.g. de fortune secret sur la commune d'Olmeto. De nouvelles instructions sont donn�es aux deux faux couples du groupe. Depuis quarante-huit heures, les deux seules femmes du Raid arpentent avec leur faux �poux le G.R. 20, le sentier de grande randonn�e passant � proximit� de la bergerie. (Le GR 20 n�est jamais pass� � proximit� de cet endroit. Il s�agit d�un Mar�� monti NDLR)
Elles ont �t� sp�cialement recrut�es, en f�vrier dernier, pour venir renforcer le travail de surveillance en civil du �G10�. Pr�par�es depuis des semaines � �aller au plus pr�s�, pr�cise leur patron, St�phanie et sa copine, recrut�e comme elle dans une Bac (Brigade anticriminalit�) de l'Ile-de-France, prennent connaissance du mode op�ratoire retenu pour les agents en civil... Un sc�nario �tudi� et minutieusement rod� � l'entra�nement. En fin d'apr�s-midi, l'angoisse commence � gagner le commando. Les heures passent. Yvan Colonna ne r�appara�t toujours pas... Et s'il s'�tait �vanoui � nouveau, �chappant aux policiers � ses trousses? Imperturbables malgr� la chaleur, chacun patiente en silence.
� 18 h 30, Claude Gu�ant, le directeur de cabinet de Sarkozy, vient aux nouvelles. � Toujours rien�, r�pond Gaudin. Sarkozy en d�placement dans le Vaucluse... commence � douter. � 18 h 55, enfin, Yvan Colonna est de retour. Il passe sur un petit sentier � d�couvert. Les deux hommes du Raid, cach�s � quelques m�tres, bondissent. Christian Lambert a beau affirmer � Paris que � c'est s�r � 125%, c'est lui�, Nicolas Sarkozy attendra que l'interpelle reconnaisse son identit� pour y croire.
Depuis son arriv�e Place Beauvau, des faux espoirs, le ministre de l'int�rieur en a eu plus d'un. � l'automne 2002, c'est un tuyau venu de Sardaigne qui met en alerte la � cellule Colonna �. La piste m�ne � La Ciotat. Des individus originaires du village natal de Pierrette Serreri, la compagne d'Yvan, ont quitt� ensemble l'�le italienne pour prendre leurs quartiers d'hiver dans la cit� portuaire du Var. Le profil de ces Sardes retient l'attention des policiers. La piste semble plausible. Mais apr�s plusieurs semaines de surveillance, rien ne bouge. Sans totalement abandonner ce � fil�, la section op�rationnelle des Renseignements g�n�raux se mobilise sur une autre information. Elle tombe juste avant le r�veillon de No�l. Il y aurait des all�es et venues suspectes au domicile d'un tenancier de caf� du Val-de-Marne, fich� par les services pour avoir accueilli... des membres du commando Erignac. L'homme poss�de une maison en face de la gendarmerie de Pietrosella, o� ont �t� d�rob�es les armes qui ont servi � l'assassinat du pr�fet. Il vient de reprendre un h�tel � Carg�se. Branle-bas de combat � la veille de No�l. Les policiers en vacances, affect�s au groupe op�rationnel � Corse � de la section antiterroriste des Renseignements g�n�raux, sont rappel�s d'urgence. Pendant la tr�ve des confiseurs, ils se relaieront 24 heures sur 24. Nouvelle d�ception. Deux mois plus tard, c'est de Madagascar que rena�t l'espoir. Claude Gu�ant, Fr�d�ric Veaux, le patron de la D.n.a.t. (Division nationale antiterroriste), qui coordonne la task force � interservices � constitu�e pour la traque de Colonna, et Bernard Squarcini, num�ro deux des R.g. et homme de confiance de Sarkozy sur le dossier corse, ne croient gu�re � une cavale de Colonna � l'�tranger.
Pourtant, ils s'attardent sur la d�position d'un habitant de la c�te basque. Ancien officier de marine, ce t�moin, � peine rentr� d'un voyage � Madagascar, affirme avoir reconnu par deux fois Yvan Colonna. Apr�s v�rification, la D.n.a.t. d�couvre qu'aux endroits o� ce t�moin pr�tend l'avoir reconnu sont install�s des Corses natifs de Piana, le village voisin de Carg�se. Autre �l�ment troublant, le trafic de communications t�l�phoniques entre cette �le de l'oc�an Indien et la Corse est � intense�. Fr�d�ric Veaux d�p�che des enqu�teurs sur place. Peine perdue. Une fois encore, une piste se ferme.
Ni Gu�ant ni Squarcini ne sont vraiment �tonn�s. Depuis l'installation de Sarkozy Place Beauvau, ils d�fendent une m�me hypoth�se: Yvan Colonna se cache dans le maquis corse. C'est en tout cas l'intime conviction du num�ro 2 des R.g. depuis ce lundi de juin 1999 o� est tomb� un t�lex du S.r.p.j. de Toulouse. Un ing�nieur en a�ronautique a reconnu Yvan Colonna d'apr�s la photo publi�e dans un journal. Une semaine auparavant, il �tait en vacances sur l'�le de Beaut�. Randonneur chevronn�, l'ing�nieur se trouvait au col de Vergio, au-dessus d'Evisa, quand il a crois� sur le sentier, en milieu de matin�e, un homme seul qu'il identifiera quelques jours apr�s comme le fugitif.
La description est suffisamment pr�cise pour que son t�moignage fasse foi. Bernard Squarcini est frapp� par sa description d�taill�e de l'�quipement du randonneur Colonna: elle est digne d'un professionnel de haute montagne. Sa conviction est faite: le fugitif a fait le choix de se cacher dans l'endroit qu'il conna�t le mieux, le massif montagneux corse. En mai 2002, quand, juste apr�s sa prise de fonction, Nicolas Sarkozy lui demandera, � leur premier rendez-vous, de livrer son analyse, Squarcini n'aura aucune h�sitation: Yvan Colonna est en Corse.
Quatre mois plus tard, le ministre nomme Christian Lambert � la t�te du Raid.
Avec un ordre bien pr�cis: � retrouver Colonna �. Le groupe � Corse�, appel� depuis le groupe J.r. parce que son responsable se pr�nomme Jean-Robert, est constitu� en septembre. Lambert a carte blanche pour le recrutement. Il ne choisira que des volontaires pr�ts � travailler deux semaines cons�cutives, sans repos, en Corse. Le divisionnaire est r�put� tr�s exigeant avec ses hommes. Il dort quatre heures par nuit. Toujours sur la br�che. Les candidatures sont soigneusement �tudi�es. Lambert s�lectionne, entre autres, deux policiers corses, dont un parle parfaitement la langue, et reprend l'enqu�te de z�ro. Le G.r.i., Groupe de recherche et d'information, le service de renseignement du Raid, centralise tous les indices, qu'ils soient r�colt�s par la D.s.t. ou les R.g. Lambert d�cide de reprendre la liste des deux cent vingt bergeries r�pertori�es en activit� sur l'�le.
Auparavant, � l'initiative de Ange Mancini, alors pr�fet de police de Corse et ami personnel de Squarcini, un recensement scrupuleux de toutes les bergeries � ayant une structure pouvant faire office de refuge � avait �t� ordonn�. Les bergeries en ruine sont exclues. Seules celles avec une chemin�e et un point d'eau sont retenues. Apr�s pointage sur le cadastre, des prises de vue a�riennes de chacune d'entre elles seront �tudi�es. Les C.r.s. de haute montagne et les �quipes de la Brec (Brigade r�gionale d'enqu�te et de coordination), bas�s en Corse, iront visiter les lieux pour v�rifier si elles peuvent faire office de g�te pour un fugitif. Fin septembre 2002, Lambert d�cide de faire � sonoriser� un certain nombre de bergeries le long du G.r. 20 et des lieux susceptibles d'int�resser Colonna (il faut savoir qu�en Corse la plupart des bergeries ne se trouvent pas le long du GR 20 NDLR). Les services anglais, forts de leur exp�rience avec l'Ira, et leurs homologues espagnols, � la pointe de la technologie dans la lutte contre l'E.t.a., seront sollicit�s. Une vingtaine de cam�ras vid�o pas plus grosses qu'une t�te d'�pingle sont install�es dans des bergeries consid�r�es comme des points de passage strat�giques. Un travail de titan. Lambert le sait: si ses policiers sont rep�r�s, des mois de planque n'auront servi � rien. M�me le transport des hommes et du mat�riel depuis le continent sera organis� dans la clandestinit� la plus totale. Pas question d'utiliser les Transall de l'arm�e pour acheminer mat�riel logistique, armes et voitures d'intervention. Aiguilleurs du ciel, employ�s des a�roports et de zones portuaires, et fonctionnaires de l'�quipement ont, par le pass�, jou� les informateurs aupr�s des nationalistes. Cette fois, les �quipes du Raid ont utilis� d'autres canaux. M�me pour se rendre sur l'�le.
Alors, lundi 30 juin, quand Colonna a �t� identifi� sur une photo prise au t�l�objectif la veille, le mot d'ordre est donn� par le directeur g�n�ral de la police de faire acheter discr�tement les billets d'avion dans plusieurs agences commerciales parisiennes et provinciales d'Air France pour les policiers du Raid envoy�s en renfort. Depuis d�but avril, seules trois personnes, en dehors du ministre - Claude Gu�ant, le directeur du cabinet, Michel Gaudin, le D.g.p.n, et Bernard Squarcini, le patron op�rationnel des R.g. -, sont mises dans la confidence d'une � piste s�rieuse � par le patron du Raid. Sarkozy refusera m�me d'avertir le juge antiterroriste Jean-Louis Brugui�re jusqu'� l'interpellation.
Au printemps dernier, le travail de �pastillage � de v�hicules soup�onn�s de pouvoir aider Yvan Colonna dans sa cavale porte pour la premi�re fois ses fruits. Comme il est impossible de faire la moindre incursion dans Carg�se, les policiers ont install� plusieurs cam�ras de surveillance. Pour certaines, le d�clenchement de l'enregistrement est programm� d'apr�s une liste pr�s�lectionn�e de plaques d'immatriculation. � plusieurs centaines de m�tres, install�s dans une camionnette ou un camping-car, des policiers surveillent par �crans vid�o interpos�s tous les mouvements suspects. Certaines voitures aux passagers suspects sont aussi cibl�es. Des mouchards vont y �tre install�s. Au fil des jours, les policiers se rendent compte que les conducteurs de ces v�hicules prennent un �luxe de pr�cautions tout � fait anormal � pour rejoindre Ajaccio. Comme pour �chapper � des filatures. Une fois arriv�s � leurs lieux de rendez-vol s. ils disparaissent Toujours dans des lieux ferm�s, suffisamment vastes pour que la police ne puisse pas d�terminer l'�tage, le sous-sol, l'appartement, l'entrep�t o� ils ont rendez-vous. Mais � chaque fois, peu de temps apr�s, d'autres individus partent, � la d�rob�e, montent dans un autre v�hile et filent. De nouvelles balises sont plac�es sur sur des voitures rep�r�es � Ajaccio.
Les techniciens du morphing avaient dessin� Colonna amaigri, veilli, barbu, moustachu. Bingo, une de leurs hypoth�ses �tait la bonne.
En mai, une premi�re filature � distance au part d'un lieu de �d�pose � en ville m�ne les eni�teurs � une bergerie, � 30 kilom�tres au nord Ajaccio. Bizarrement, les chauffeurs qui avalent mis un temps fou � atteindre le lieu ne s'arr�tent ie trois minutes et repartent. Des hommes du aid sont d�p�ch�s pour aller visiter l'endroit. Rien. Les surveillances reprennent. De Carg�se � Ajaccio. Et d'Ajaccio �, cette fois... un camping de petite station baln�aire de Porto-Pollo, dans le Valinco. � une encablure de Propriano et une bonne heure de route d'Ajaccio. Des all�es et venues suspectes entre le camping et une bergerie situ�e � 10 kilom�tres au-dessus du vieux village, presque au bout de la piste 157a, l� o� le G.r. 20 s'appelle le � Mare e Monte� (enfin NDLR), alertent les hommes du Raid. Une �quipe d'une vingtaine de policiers de ce corps d'�lite se met en place d�but juin. Ce n'est que le 29 juin qu'un membre du groupe J.r. r�ussit � prendre au t�l�objectif la photo d'un homme, torse nu, paraissant beaucoup plus costaud que Colonna (Nicolas Sarkozy affirme que la photo a �t� prise le 1er juillet NDLR). Il a des cheveux noirs, longs, une barbe. Impossible d'affirmer ou d'infirmer que c'est Yvan Colonna. Le clich� est achemin� � Paris. Il est compar� aux dizaines de portraits-robots informatiques sur lesquels un travail de � morphing � et de vieillissement ont �t� r�alis�s. Les techniciens, � Paris, ont imagin� Colonna amaigri, grossi, barbu, moustachu, cheveux longs, courts, teints, avec des lunettes, des rides... Bingo : la photo prise le 29 correspond parfaitement � l'une des physionomies retenues par les experts. Christian Lambert, le jeudi en d�couvrant une photo de St�phane, son fr�re, prise � l'audience du proc�s Erignac, est d�sormais s�r de tenir Yvan. Le nez, le profil, le front d�garni : pas de doute pour le patron du Raid, c'est bien lui. Trop beau pour �tre vrai... Jusqu'� son face-�-face avec Yvan Colonna ce vendredi � 19 heures, le divisionnaire a crois� les doigts. �Si une cavale.., c'est dur... une traque �a l'est aussi�, lui a r�pondu le patron du Raid.
Ce soir-l�, le soleil commence � tomber sur la bergerie du mont Barbatu. Lambert attend attend avec son prisonnier l'arriv�e imminente de Fr�d�ric Veaux. Yvan Colonna est calme, tr�s calme. Le divisionnaire fait l'inventaire de son sac � dos. Un chargeur, une grenade, un scanner (pour se brancher sur la fr�quence radio de la police), un talkie-walkie mais point de pistolet automatique. Il s'en �tonne du berger: � Tu l'as planqu� dans une de tes caches?� Yvan ne r�agit pas, absorb� par de ses pens�es. Puis il reprend la parole: �Vous savez je suis all� � Paris une fois pendant ma cavale.� Fr�d�ric Veaux arrive. Dans quelques minutes, Yvan Colonna sera transf�r� � la caserne d'Aspretto, � Ajaccio, dans l'attente de son rapatriement � Paris.
Il est 1h15, samedi matin, sur le parking l'a�roport de Campo dell'Oro. Six heures apr�sl'annonce officielle de l'arrestation de l'assassin pr�sum� du pr�fet Erignac, les militants nationalistes sont venus attendre avec la famille, les amis de toujours d'Yvan, le d�collage du Falcon minist�riel doit emmener Yvan Colonna � Paris. Au loin, la lumi�re crue de l'enseigne d'un loueur de voiture, un petit bout de femme fr�le, d'un geste naturel, prend par le cou un adolescent. C'est, Jean-Baptiste, le fils d'Yvan, et sa m�re, Pierrette.
Quatre ans, un mois, et presque douze, que l'enfant ador� du berger, aujourd'hui a 13 ans, est rest� �loign� de son p�re. � Une cavale.., c'est dur�: la confidence r�sonne en �cho dans la nuit noire.
La photo d�Yvan Colonna

La photo d�Yvan Colonna prise le 1er juillet dans la bergerie o� il a �t� captur� est d�une qualit� �pouvantable (voir ci contre). Elle a �t� prise avec un t�l�objectif. Yvan Colonna y est difficilement reconnaissable. Pr�tendre qu�elle a �t� pass�e � la moulinette de l�informatique est une plaisanterie. C�est impossible. Il n�y a que dans les films que l�on voit des photos floues devenir nettes. Les pixels inexistants ne peuvent pas �tre recr��s sinon par des calculs al�atoires qui donnent n�importe quoi. Paris Match titre que les techniciens du morphing l�avait dessin� amaigri, vieilli, barbu, moustachu. � Bingo �. Or Yvan Colonna appara�t plut�t grossi (� peine), tr�s peu barbu et moustachu (il n�avait pas du se raser depuis cinq jours). Tous ceux qui l�ont connu trouve au contraire que les cheveux longs l�ont rajeuni et ont cru reconna�tre l�Yvan Colonna d�il y a dix ans. C�est dire s�il y a un foss� entre la l�gende polici�re et la r�alit�. Enfin la photo montre un homme torse nu et v�tu d�un short ou d�un cale�on blanc. Elle est cens�e avoir �t� prise le 1er juillet soit trois jours avant la capture. Or le chef du Raid le d�crit le jour de sa capture encore v�tu d�un short blanc. Yvan Colonna devait poss�der une collection de short blanc pour pouvoir se changer dans une couleur aussi salissante. Autre hypoth�se iconoclaste : le berger ne se changeait jamais. Auquel cas il devait �tre sale comme un poux. Autre hypoth�se que nous osons � peine formuler. La photo a �t� prise le jour de la capture. Auquel cas cela changerait �videmment le r�cit de Tonton Lambert. � chacun d�imaginer son sc�nario.
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