Aux dires du commissaire Jean-Fran�ois Leli�vre, bras droit du commissaire Marion, les t�l�phones portables des assassins pr�sum�s du pr�fet Erignac auraient �t� les v�ritables mouchards de l'enqu�te..
Revenant mardi sur l'arrestation rat�e d'Yvan Colonna le commissaire Leli�vre a donc donn� une version diff�rente de celle de son ancien sup�rieur hi�rarchique Roger Marion.
Selon M. Leli�vre, "Yvan Colonna pr�sentait un int�r�t majeur" d�s les premi�res arrestations le vendredi 21 mai au matin. Interrog� pour savoir pourquoi Colonna n'avait pas �t� interpell� � ce moment-l�, il a r�pondu que "le choix des arrestations �tait d�termin� par le N�1 de la DNAT et le magistrat instructeur". On se rappelle que Roger Marion avait affirm� au d�but du proc�s qu'il n'avait "pas d'�l�ments contre Colonna" avant les aveux de certains co-accus�s.
Jean-Fran�ois Leli�vre est revenu sur l'examen scrupuleux de 3.600 coups de fils pass�s par portable depuis le centre d'Ajaccio entre 20h15 et 21h30 le soir du crime et qui a permis de confondre deux des assassins pr�sum�s: Alain Ferrandi et Didier Maranelli. Les deux hommes sont ensuite pass�s aux aveux. Nous voil� loin des chiffres extraordinaires donn�s en premier lieu par la DNAT pour expliquer pourquoi il avait fallu 18 mois pour �plucher les listings des op�rateurs de t�l�phone. On avait d�abord parl� de centaine de milliers de coups de fil donn�s ce jour-l� � l�heure de l�assassinat du pr�fet. Puis on est descendu � des milliers d�heures pour enfin tomber � 3600 ce qui constitue un chiffre particuli�rement d�risoire. Lors d�une r�cente affaire de hold-up en banlieue parisienne, ce sont pr�s de dix fois plus de coups de t�l�phone qui avaient �t� analys�s. � titre d�exemple, lors du premier attentat contre le World Trade Center de New-York, onze millions de coups de t�l�phone avaient �t� pass�s au crible en quelques semaines afin de retrouver des suspects.
Ou alors la France devrait recruter d�urgence de nouveaux techniciens t�l�phoniques.
Ce ne sont donc pas 3600 coups de t�l�phone qui peuvent expliquer les 18 mois d�enqu�te. D�autant que le fort peu curieux pr�sident Jacob aurait pu demander au commissaire Leli�vre s�il n�avait pas entendu parler d�Yvan Colonna auparavant. Quelques rappels salutaires : le pr�fet Bonnet avait cit� le nom de Colonna dans ses notes. Le pr�fet Bonnet avait donn� le nom de son informateur (ou pr�sum� tel) � Roger Marion qui pour l�emp�cher d�aller plus loin avait fait arr�ter la dite personne en novembre 1998. Les Renseignements g�n�raux poss�daient ce nom en janvier 1998. Enfin, le nom d�Yvan Colonna appara�t dans le listing des personnes qui conversent avec Alain Ferrandi. � C�est une affaire de brocciu � a m�me pr�cis� Alain Ferrandi.
Comme on dit en Corse, les agissements de la DNAT ressemblent eux � une � imbrucciata � c�est-�-dire � un sacr� pastis. Mais le lieutenant n�est pas plus coh�rent que le � patron �.
� �couter Leli�vre, les enqu�teurs avaient demand� � chacun des trois op�rateurs de t�l�phonie mobile de leur fournir la liste compl�te de tous les appels pass�s via les relais du centre d'Ajaccio, esp�rant que les assassins s'�taient parl�s par t�l�phone mobile.
Le fait que deux num�ros correspondent � l'�change de huit appels courts avait ainsi attir� leur attention. Les abonnements �taient au nom d'entreprises : le garage de location de voiture Herz que dirigeait Alain Ferrandi et l'h�tel restaurant � Le Grand Bleu � o� Didier Maranelli travaillait en tant que comptable. Ce restaurant avait �t� � contr�l� � par le secteur Sagone-Cargese du FLNC.
"Si Didier Maranelli n'avait pas reconnu qu'il utilisait le portable du Grand Bleu nous ne serions peut-�tre pas l� aujourd'hui", a confi� � la cour Roger Marion, marquant ainsi l'importance de ces �l�ments dans l'enqu�te.
Assertions qui ne correspondent absolument pas avec la r�alit� compte tenu de ce qui a �t� dit plus haut et des r�v�lations du pr�fet Bonnet.
Les policiers ont �galement �pluch� les factures d�taill�es des portables et des lignes fixes des accus�s.
Ils ont ainsi pu �tablir "des appels crois�s", selon l'expression des enqu�teurs : Vincent Andriuzzi qui appelle Alain Ferrandi et imm�diatement apr�s Jean Castela. Cela s'est produit "3 ou 4 fois", souligne le policier.
Au passage l'enqu�teur a expliqu� que Ferrandi est consid�r� comme le "lien" entre la "cellule du sud" qu'il coordonne et la "cellule du nord" � laquelle appartiendraient Andriuzzi et Castela. Le 19 ao�t 1998, Jean Castela et Vincent Andriuzzi se rendent chez la s�ur de Ferrandi � Ajaccio, au lotissement dit � A Mandarina �. Pour ce faire, ils accomplissent dix tours de l�endroit, coupent les portables, bref adoptent une attitude suspecte. Les policiers qui les suivent les voient s�engouffrer dans le b�timent J mais ne parviennent pas � savoir l�endroit exact o� ils se rendent. Peu apr�s le nom de � Ferrandi � ou plut�t celui de � Ferrendi � est cibl� par les enqu�teurs. C�est dire si d�j� � l��poque, l�enqu�te est proche du centre nerveux du complot. Mais Roger Marion et son bras droit s�enferrent dans la piste agricole. Le pr�fet Bonnet enrage. le 21 septembre le � groupe sans nom � diffuse un nouveau message mena�ant d�autres cibles. La taupe du pr�fet lui a racont� comment les policiers ont rat� leur cible dans le lotissement ajaccien. La seule r�ponse de la justice antiterroriste est alors de soup�onner le pr�fet de mener une double enqu�te. Elle n�glige totalement les informations qu�il am�ne. Le plus terrible est que les noms de Castela et celui de Ferrandi qui sont pourtant celui d�activistes bien connus n�ont pas fait tilt dans le cerveau des policiers. L�enqu�te tra�nera jusqu�au 18 novembre jour qui voit l�arrestation de Jean Castela, Jean-Christophe Antolini, Vincent Andriuzzi et Jean-Nicolas Antoniotti. Les policiers trouveront chez Castela des documents compromettants. N�anmoins, le pr�fet Bonnet fera conna�tre sa col�re devant ces arrestations qui brisent la piste de sa � taupe �.
Ce que d�claraient Maranelli, Alessandri et Ferrandi aux policiers
L'interrogatoire de Didier Maranelli commence le vendredi 21 mai � 14 heures. Il soutient qu'il �tait � la chasse et qu'il a t�l�phon� � Alain Ferrandi, chef d'agence chez Hertz, pour louer un fourgon. Le nombre d'appels s'explique, selon lui, par la mauvaise qualit� des relais. Le samedi 22 mai, � 17 heures, les listings t�l�phoniques sous les yeux et surtout les aveux de sa concubine, il d�clare :
�Devant les faits ind�niables que vous m'exposez, je reconnais que je n'�tais pas � la chasse le soir du 6 f�vrier, j'�tais en plein centre d'Ajaccio. je reconnais avoir particip� � l'assassinat de M. Claude �rignac. �
Apr�s quelques heures de repos, � 21 h40, il d�crit, devant des enqu�teurs de la DNAT qui n�en croient pas leurs oreilles, l'histoire du groupe et la pr�paration de l'op�ration, en d�signant les protagonistes par la lettre X assortie d'un chiffre pour chacun d'entre eux. � 2 heures du matin, le dimanche 23 mai. Didier Maranelli accepte de donner les noms.
�J'ai �t� charg� de m'installer devant la pr�fecture et de donner le top d�part. [...] � la sortie du pr�fet, dont je connaissais le visage par les m�dias locaux, au volant de son v�hicule � l'int�rieur duquel j'ai aper�u �galement son �pouse, j'ai aussit�t appel� Alain Ferrandi pour l'en informer [...]. Yvan Colonna �tait charg� d'abattre le pr�fet et Alessandri de prot�ger Yvan. �
Ces �l�ments sont autant d�arguments pour convaincre Pierre Alessandri de parler. � aucun moment, il n�est fait usage de violences par des enqu�teurs qui jusqu�aux aveux de Maranelli ne croyaient pas � cette piste. L�interrogatoire d�Alessandri commence le vendredi 21 mai, � 12h20. Il r�siste jusqu'au dimanche, 16 heures. Puis il craque :
�J'accepte de m'expliquer sur ma participation � l'assassinat du pr�fet de la r�gion Corse, dans le but de pr�ciser mon r�le afin qu'il ne p�se aucune charge sur mon �pouse.�
Il s�arr�te alors et murmure:
� Finalement je ne veux plus parler. �
Un policier lui demande la raison de ce retournement. �Parce que j'ai peur des cons�quences pour tout le monde�, explique-t-il.
Quatre heures plus tard, il reprend le fil de sa confession.
� C'est dans le courant du mois de janvier que nous avons eu connaissance qu'une manifestation artistique se d�roulerait le 6 f�vrier au th��tre Le Kalliste. Nous avons d�cid� de mettre en place un dispositif auquel j'appartenais visant � assassiner le pr�fet Erignac. Nous savions que le pr�fet sortait sans protection ni garde rapproch�e. Il serait une cible relativement vuln�rable. Nous n'avions aucune certitude que le pr�fet se rendrait effectivement ce soir-l� � ce spectacle. Nous avons d�cid� de tenter notre chance en mettant en place un dispositif meurtrier. Le commando �tait compos� de quatre personnes, � savoir Alain Ferrandi, Yvan Colonna, Didier Maranelli et moi-m�me. Il y avait aussi un chauffeur dont la mission �tait de r�cup�rer le commando. �
�En ce qui concerne le r�le d'Yvan Colonna, c'est lui personnellement qui avait la charge d'assassiner le pr�fet, au moyen de l'arme que nous avions d�rob�e lors de l'action contre la gendarmerie de Pietrosella. Mon r�le consistait � assurer la protection de celui d'entre nous charg� d'ex�cuter le pr�fet �rignac. � Il pr�cise aussi que c'est Alain Ferrandi qui a pr�venu de l'arriv�e de la voiture du pr�fet qui se gare un peu plus loin.
�Voyant cela, nous avons redescendu la rue d'Ornano, vu que Monsieur Erignac avait gar� sa voiture cours Napol�on face � la rue. Nous avons ensuite remont� � pied la rue d'Ornano et l� nous avons crois� le pr�fet. Le pr�fet remontait par le trottoir de droite. Nous descendions la rue, je sais que je me trouvais devant et Yvan Colonna derri�re moi. Presque imm�diatement apr�s avoir crois� le pr�fet, j'ai entendu des coups de feu sans pour autant dire combien il y en a eu. D�s que j'ai entendu cela, j'ai retourn� la t�te et j'ai vu le pr�fet qui �tait � terre. A ce moment-l�, je me trouvais � une quinzaine de m�tres du corps du pr�fet, je me trouvais juste � c�t� du restaurant Le Kalliste, j'avais mon arme � la main, un peu cach�e. �
Nous sommes le dimanche 23 mai. Roger Marion exulte. Gr�ce une gymnastique psychologique qu�il a d�j� ex�cut� lors de l�ex�cution de Khaled Kelkal, il est maintenant persuad� que c�est gr�ce � lui que le commando est en voie d��tre arr�t�. Il a oubli� que la justice antiterroriste craignant les accusations du pr�fet Bonnet alors en prison, a lanc� un coup de filet contre les cibles d�sign�s par le pr�fet mais sans y croire. Il reste maintenant � entendre Alain Ferrandi.
Les policiers utilisent le m�me stratag�me que celui employ� avec ses camarades. Il c�de �galement � la pression exerc�e sur son �pouse, pi�g�e par les portables.
�Afin, dit-il, de pr�server les destin�es de ma femme qui me reste fid�le en me d�fendant par ses propos, et de mon fils, et en tant que militant nationaliste, je conc�de de dire la v�rit� sur cette action politique. Il...] Je reconnais avoir �t� l'un des co-instigateurs du projet d'assassinat du pr�fet �rignac. �
Il pr�cisera plus tard :
�Mes d�positions sont un acte �go�ste, car elles ont �t� guid�es par un sentiment de faiblesse vis-�-vis des autres auteurs et complices de cette action. La moralit� de tout �a est que, lorsque l'on est soldat, on reste seul dans la vie et c�libataire. [...] Je pense �tre un mauvais soldat car quand on est soldat, on ne doit pas tenir compte de son entourage, dans la mesure o� on a fait un choix qui doit �tre assum�. �
�Les motivations de la cr�ation de ce groupe sans nom �tait d'ob�ir � un d�sir de faire acte de r�sistance face � l'�tat, de sortir des conflits entre les diff�rentes factions du nationalisme corse et de quitter d'autres groupes clandestins qui se sont d�voy�s dans la lutte arm�e et qui se sont d�tourn�s des objectifs initiaux de cette lutte arm�e. [...] Les membres qui le composent ont une id�ologie affirm�e, une sensibilit� r�volutionnaire anim�e d'un id�al d�mocratique et ne sont en aucune mani�re des soldats perdus. La cr�ation de ce groupe prend son nom d'origine dans la mascarade de Tralonca qui date de d�but janvier 1996, la compromission, plut�t m�me la prostitution, avec l'�tat fran�ais, en trompant les militants sinc�res, d�vou�s et, de plus, pour rien en �change. L'�tat a gangren� les mouvements clandestins et orchestr� cette ex�cution de Tralonca pour le r�sultat que l'on sait, c'est-�-dire rien, except� la prise d'int�r�t pour certains, devenus n�oclanistes. Le nationalisme s'est battu en permanence contre le clanisme et celui-ci s'est r�g�n�r� de l'int�rieur. Il faut d�sormais que les gens fassent leur mea culpa sinon �a ne sert � rien. On ne peut pas �tre optimiste sur le nationalisme corse except� de mener des jeunes en prison en leur faisant croire qu'ils se battent pour la Lutte de lib�ration nationale. Autant les pousser � faire des �tudes et devenir des gens comp�tents. �
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