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Al�gre : dix questions pour mieux comprendre
Jun 24, 2003
Auteur: L'investigateur

La D�p�che du Midi a publi� lundi 23 juin un article destin� � � recentrer � l�enqu�te relative � Patrice Al�gre. Et ce alors que la magistrature en charge de l�affaire s�appr�te � faire de m�me. Nous publions cet excellent article qui ne peut qu�aider les lecteurs � faire le point sur ce feuilleton sans fin.

Al�gre, mur� dans son silence le temps que les m�decins d�couvrent le mal qui le ronge, la � deuxi�me � affaire li�e au pass� du tueur en s�rie devrait pourtant conna�tre une nouvelle orientation cette semaine. Cette pr�diction, exprim�e devant plusieurs journalistes vendredi par un magistrat, passe par une � r�analyse � et un � recadrage � en cours. Pour les gendarmes, impatients de progresser, il s'agit de d�gager des axes de travail. Et de d�finir une strat�gie claire. Les v�rifications men�es maintenant depuis plus de deux mois �taient certes indispensables. Et la prudence de r�gle, comme l'illustre l'�pisode Djamel. Mais � un moment dans une enqu�te, pour avancer, il faut aussi pouvoir questionner les suspects, au moins ceux dont les noms reviennent au d�tour de nombreuses pi�ces du dossier.

� Recadrer �, c'est aussi �liminer le superflu. Plac� en garde � vue puis auditionn�e par le juge Thierry Perriquet au sujet de son r�le trouble aupr�s du travesti mythomane, Patrica serait revenue sur une partie de ses d�clarations. Sur une partie seulement. Le dossier pour viols, viols par personne d�tenteur d'une autorit�, prox�n�tisme aggrav�, actes de tortures et de barbarie aurait donc du plomb dans l'aile. Un magistrat �voque d�j� une possible requalification, des faits prescrits, des crimes devenant des d�lits� � C'est curieux. Dans ce dossier, il me semble difficile de passer de tout � rien �, s'�tonne d�j� Me Georges Catala, avocat de Fanny.

D'autres accusatrices

Dans le m�me temps, deux anciennes prostitu�es viennent de se constituer partie civile dans cette affaire. Isabelle et Nadia ont, elles aussi, �t� retrouv�es par les enqu�teurs de la cellule Homicides 31. Leurs accusations recoupent certaines d�clarations de Fanny et Patricia. Notamment sur le r�le d'un policier alors attach� � la brigade des m�urs et de Lakhdar Messaoudene, le � mac � copain de Patrice Al�gre qu'il jure pourtant� ne pas conna�tre. Pr�sent� tr�s rapidement vendredi au juge Serge Lemoine, Lakhdar patiente derri�re les barreaux de la maison d'arr�t de Montauban. Il reviendra pour un interrogatoire beaucoup plus complet mais sans doute pas avant le d�but du mois de juillet. Ses confidences pourraient d�bloquer les deux dossiers de meurtres avou�s par Patrice Al�gre : les ex�cutions de Line Galbardi et de Claude Martinez. Des affaires lourdes de sens puisque selon les ex-prostitu�es, la premi�re a �t� �limin�e parce qu'elle voulait parler ; le deuxi�me parce qu'il filmait ses clients c�l�bres et les parties � noires �. D'ici l�, peut-�tre que la justice se sera d�cid�e � questionner les suspects, m�me s'ils sont magistrat, policier ou notable...

Jean COHADON.


Quel est le contexte criminel du dossier Al�gre ?


Condamn� en f�vrier 2002 � la r�clusion criminelle � perp�tuit� pour cinq meurtres et six viols, Patrice Al�gre est � nouveau mis en examen pour un nombre similaire de dossiers criminels. Apr�s les r�v�lations de deux ex-prostitu�es, et apr�s avoir ni� les accusations des jeunes femmes, il a reconnu le 30 mai dernier devant le juge Serge Lemoine avoir tu� Line Galbardi en janvier 1992 dans une chambre de l'h�tel de l'Europe puis un travesti, Claude Martinez, �gorg� un mois plus tard. Al�gre a expliqu� qu'il s'agissait alors de r�cup�rer des vid�os compromettantes pour certaines personnalit�s, comme l'ont affirm� les ex-prostitu�es. Des personnalit�s que le travesti aurait voulu faire chanter. Aujourd'hui, le tueur en s�rie et ses anciennes prot�g�es maintiennent leurs d�clarations sur l'existence d'un milieu sadomasochiste impliquant des policiers, des magistrats et des notables toulousains.


Al�gre a-t-il b�n�fici� d'un r�seau de protection ?


Contrairement � ce que les services de police, voire la justice, ont laiss� entendre au moment de son proc�s, Patrice Al�gre n'�tait pas un inconnu sur les trottoirs du quartier Matabiau o� il �voluait en compagnie de Lakhdar Messaoud�ne, un mac local qui s'est rendu mercredi � la justice apr�s dix ans d'exil en Alg�rie. Cambriolages, vols de voitures, trafic de coca�ne� Al�gre, fils de policier employ� un temps � la buvette du commissariat central, m�langeait les genres et les contacts entre le monde de la nuit et des cercles plus hupp�s. Les ex-prostitu�es affirment qu'il �tait prot�g� par certains policiers qui � touchaient des enveloppes �. Al�gre, qui a connu dans son enfance les foyers de placements et la prison en 1994 pour une histoire de � coups et blessures �, a confirm� conna�tre un ex-substitut du procureur, Marc Bourragu�, dont le nom revient souvent dans la bouche des ex-prostitu�es. Une constatation : pendant toutes ces ann�es, le tueur en s�rie a prosp�r� sans vraiment �tre inqui�t�.


Pourquoi la justice a-t-elle failli dans autant de dossiers criminels ?


Sur l'ensemble des meurtres attribu�s pour l'instant au tueur en s�rie, dix au total, deux au moins ont �t� class�s � suicide �. Celui de Val�rie Tarriote en 1989 puis celui de Martine Matias en 1997. Les quatre meurtres commis en 1992, essentiellement dans le milieu de la prostitution, n'avaient pas �t� �lucid�s � l'�poque. Commes tous les autres. Les policiers de la s�ret� urbaine ou ceux de la police judiciaire concern�s par ces affaires protestent aujourd'hui de leur bonne foi en renvoyant la balle dans le camp des magistrats, v�ritables patrons des enqu�tes judiciaires. Tout a-t-il �t� fait pour �lucider ces crimes, notamment le meurtre de Line Galbardi ? C'est la question que se posent les gendarmes. Au mieux, si les protections d'Al�gre ne sont pas prouv�es, ces dysfonctionnements de la justice font ressortir l'incomp�tence individuelle ou collective des services d'enqu�te qui n'ont pas fait montre d'une grande opini�tret�.


Quelle cr�dibilit� accorder aux r�cits des ex-prostitu�es ?


Fanny et Patricia, les deux ex-prostitu�es qui ont d�voil� les nouveaux contours de l'affaire Al�gre au d�but de l'ann�e, avaient toutes les deux fui la r�gion toulousaine apr�s le meurtre de Line Galbardi. Retrouv�es par les gendarmes des ann�es plus tard, ce sont elles les premi�res qui ont accus� Patrice Al�gre de cette ex�cution � laquelle elles disent avoir assist� avec Lakhdar Messaoud�ne. Ces �l�ments ont �t� confirm�s par les aveux du tueur en s�rie le 30 mai. Selon Patricia, Line serait morte pour avoir � parl� � aux policiers d'un meurtre pr�c�dent, celui d'une autre prostitu�e dont le corps aurait �t� jet� un lac � No�. Faut-il ensuite les croire quand elles �voquent les noms de personnalit�s, magistrats, policiers, li�s � des soir�es tr�s sp�ciales ? Certains d�tails du dossier ne peuvent avoir �t� invent�s. Certaines personnes reconnues sur photos num�rot�es non plus. Mais il y a aussi les exag�rations et les manipulations suppos�es de Patricia, mise en examen jeudi dans le dossier Djamel�


Pourquoi les personnes mises en cause n'ont-elles pas �t� entendues ?


Les accusations de Fanny et Patricia et de deux autres prostitu�es t�moins dans le dossier mettent en cause au moins trois policiers, cinq magistrats et trois hommes politiques. Avant m�me que leurs noms ne soient cit�s dans les m�dias, Marc Bourragu�, ex-substitut du procureur, Dominique Baudis, l'ancien maire de Toulouse, Jean Volff, le procureur g�n�ral, d�missionn� depuis, ont d�cid� de prendre les devants. Malgr� sa demande de mise en examen � pour avoir acc�s au dossier �, le pr�sident du CSA n'a pas �t� entendu, pas plus que les policiers et les magistrats mis en cause. Visiblement, les gendarmes et les magistrats, g�n�s dans leurs investigations par la m�diatisation de l'affaire, choisie par ses principaux acteurs, veulent r�unir et corroborer un maximum d'�l�ments du dossier avant de proc�der aux auditions. Ce d�calage judiciaire n'est pas vrai pour tous. Le veilleur de nuit de l'h�tel de l'Europe, Gilbert Cartayrade, est actuellement d�tenu, depuis d�j� la mi-f�vrier, sur la foi des m�mes accusatrices.


L'enqu�te des gendarmes avance-t-elle ?


La cellule Homicides 31 charg�e des meurtres non �lucid�s imputables � Patrice Al�gre a ind�niablement marqu� des points. Mis sur la piste de l'h�tel de l'Europe par le tueur en s�rie lui-m�me, l'adjudant Michel Roussel et les gendarmes ont identifi�, apr�s des ann�es de recherches, les prostitu�es Fanny et Patricia, les ont interrog�es � de multiples reprises avant de les convaincre de dire ce qu'elles savaient. Le 30 mai, Patrice Al�gre a confirm� leurs d�positions sur les meurtres de Line Galbardi et Claude Martinez pour lesquels il �tait mis en examen. Reste le volet tentaculaire des viols et tortures d�nonc�s par les ex-prostitu�es dans les parties sadomasochistes qu'Al�gre a �galement confirm�es. Les enqu�teurs tentent en particulier de r�unir des indices concrets, notamment des photos et des vid�os cens�es �tablir l'existence de ces soir�es, de retrouver des lieux et d'identifier les participants dont certains mineurs. Les recherches de ces documents se sont jusqu'� pr�sent r�v�l�es infructueuses.


Comment sont arriv�es les fausses pistes m�diatiques ?


Ch�teau d'Arbas, maison du lac de No�, Djamel� La fr�n�sie m�diatique qui s'est empar�e de l'affaire a aussi multipli� les fantasmes et les approximations. Ces fausses pistes ont culmin� avec le cas Djamel, jeune travesti aujourd'hui �crou� pour d�nonciation imaginaire de crimes, apr�s avoir expliqu� devant les cam�ras de t�l�vision qu'il avait tout vu de certaines soir�es sadomasochistes, notamment au ch�teau d'Arbas, un lieu que n'ont �voqu� ni Patricia, ni Fanny, ni Al�gre, lors de leurs auditions. Patricia, soup�onn�e d'avoir crois� la route de Djamel et de l'avoir manipul�, a-t-elle voulu trop en faire? Elle, dit que c'est une �quipe de TV qui a organis� la rencontre... Quant aux crochets qui auraient �t� d�couverts dans la maison du lac avec des moquettes tach�es de sang, le procureur a formellement d�menti. Volont� de certains d'en rajouter ou de brouiller les pistes en jetant le doute sur les t�moignages plus cr�dibles ? La question est pos�e.


Pourquoi Baudis est-il apparu dans ce dossier ?


En participant, au soir du dimanche 18 mai, au journal de 20 heures de TF1 pour � affronter la calomnie et la rumeur en face �, l'ancien maire de Toulouse surprend beaucoup de monde. Le pr�sident du CSA r�v�le que son nom figure au dossier et invoque l'attaque d'un � lobby pornographique �. Ces explications pour le moins pr�matur�es cherchaient-elles � pr�venir la publication de son nom dans la presse comme il le supposait � tort, ou � pr�cipiter le tourbillon m�diatique qui a suivi ? Dominique Baudis, qui avait promis de ne plus s'exprimer, va r�cidiver pourtant, en demandant sa mise en examen au lendemain des aveux du tueur en s�rie. � un moment o�, l� encore, son nom n'�tait pas encore apparu publiquement. Son avocat invoque ensuite le complot de syndicalistes, que le pr�sident du CSA impute finalement � "La D�p�che du Midi" relay� par son propre successeur � la mairie Philippe Douste-Blazy� Des explications oiseuses qui n'ont pas fait long feu.


L'affaire peut-elle �tre entrav�e, �touff�e ou d�pays�e ?


Au regard des graves accusations, les craintes d'enlisement de l'affaire ou de manipulations sont pr�sentes depuis le d�but. Les atermoiements de la justice, les annonces de r�organisation de la cellule d'enqu�te Homicides 31 n'ont rien arrang�. M�me si la m�diatisation peut appara�tre comme une garantie. Aujourd'hui, tant du c�t� de la gendarmerie que du Palais de justice, on affirme avoir les moyens de travailler. Le procureur g�n�ral de la cour d'appel parti, son successeur, Michel Barrau, a �t� charg� par le ministre Dominique Perben de regarder l'affaire avec un � �il neuf �, avant de se prononcer sur un d�paysement. Compte tenu de la pr�sence de policiers, d'�lus, ou d'hommes de loi au rang des personnes d�sign�es par les prostitu�es, le syndicat de la magistrature, notamment, s'est prononc� pour un d�paysement synonyme de plus grande s�r�nit�. Mais les avocats des diff�rentes parties craignent, eux, une perte de temps et d'efficacit� et plaident pour conserver la proc�dure � Toulouse.


Quelles r�ponses la justice pourra-t-elle apporter ?


Sauf coup d'�clat ou retournement de situation, les instructions des deux volets de l'affaire Al�gre seront �videmment tr�s longues. Mais outre les investigations des gendarmes sur les homicides, c'est bien l'enqu�te sur les actes de torture et de barbarie et les viols d�nonc�s dans les soir�es sadomasochistes qui demandera sans doute le plus de v�rifications et de temps. Au-del� de la possible incrimination de policiers, magistrats ou notabilit�s toulousaines, les gendarmes devront r�pondre � la seule mais vaste question qui se pose aujourd'hui : Patrice Al�gre �tait-il un tueur solitaire ou un homme de main instrumentalis� qui a tu� sur ordre au c�ur d'un r�seau de prostitution alimentant en filles mineures ou non des ballets noirs ? La r�ponse � cette interrogation peut durablement plonger la ville dans un ab�me. Si cette face cach�e de la cit� a bien exist�, l'exhumation du pass� promet d'�tre terrible.


Gilles-R. SOUILLES

�2003 L'investigateur - tous droits r�serv�s