BERTRAND STORY II
Un corbeau et les finances du R.P.R.
Avec la seconde cohabitation et le retour du R.P.R au pouvoir, Bertrand est � son aise, se sont les siens qui sont au pouvoir.
A son aise? Pas tout � fait. Contrairement � 1986 le R.P.R n'est plus uni. Au gouvernement, nous avons Balladur comme Premier Ministre et Pasqua, � nouveau Ministre de l'int�rieur. A la Mairie de Paris, Chirac et Jupp�.
Il faut choisir, exercice que d�teste le plus Yves Bertrand qui pr�f�re avoir des pions dans chaque camp� il n'est pas amateur de jeux de hasard.
A l'automne 1993, donc, il opte pour le clan Balladur Pasqua. A cela plusieurs raisons; Chirac baisse dans les sondages, Bertrand est tr�s bien plac� dans l'entourage de Charles Pasqua. Il est tr�s proche de Jean Charles Marchiani qu'il conna�t depuis ses �tudes de droit � Aix en Provence o� ils ont �t� condisciples et fr�quent� les m�mes milieux d'extr�me droit proches de l'Alg�rie Fran�aise. Il est �galement tr�s proche de Philippe Massoni, le Directeur de Cabinet de Charles Pasqua, futur pr�fet de police. Tr�s vite, gr�ce � son vieux complice Bernard Dalle, qu'il a plac� � la t�te de la sous Direction des courses et jeux il va nouer des contacts tr�s �troits avec le depuis tr�s c�l�bre Daniel L�andri l'homme de confiance de Charles Pasqua, l'homme des jeux de l'Afrique et du fric. Tr�s vite �galement il nouera des liens tr�s �troits avec Claude Gu�ant, le Directeur adjoint du cabinet (� ce titre il a la haute main sur tout ce qui concerne les jeux, autorisations, ouverture de casino, d'agr�ments de machines � sous etc�) fid�le des fid�les de Charles Pasqua qui l� emmen� dans ses bagages depuis les Hauts de Seine o� il �tait secr�taire g�n�ral du d�partement, poste strat�gique s'il en est, notamment dans le contr�le � post�riori des engagements financiers du conseil g�n�ral.
Le soucis principal du duo Balladur Pasqua � cette �poque, est le financement d'une futur compagne pr�sidentielle.
En effet, si les sondages leurs sont favorables, l'essentiel des finances est rest� entre les mains du duo Chirac Jupp�. Il s'agit, alors, mon seulement de trouver de nouvelles sources de financement de qui est difficile, mais �galement de d�courager les sponsors de Chirac Jupp� et de les attraire au b�n�fice de l'�quipe Pasqua Balladur.
Bertrand peut-�tre d'un grand secours pour cette derni�re man�uvre.
D�s cet automne 93, il poss�de d�j� de pr�cieux renseignements sur le financement du R.P.R par les entreprises de B.T.P.
Il doit ce " tr�sor " � sa collaboratrice le Commissaire Brigitte Henri alias B.H; qui va devenir c�l�bre gr�ce � un myst�rieux corbeau.
Nomm�e commissaire en ao�t 1982. Un mois apr�s son trenti�me anniversaire. Jupes droites, chemisiers clairs, socquettes blanches, cheveux courts, yeux clairs, Brigitte Henri a choisi les RG d�s sa sortie de l'�cole. Chez elle, ce doit �tre une vocation. Cette femme r�serv�e a le go�t du secret. N�e dans une famille de militaires, elle n'en a pas gard� l'amour des uniformes. Elle choisit les RG de la pr�fecture de police de Paris en 1984, o� elle est adjointe de la 5e section, celle de la presse, puis adjointe du chef de la section documentation g�n�rale en 1985. Deux ans plus tard, m�mes fonctions au service �tudes. En 1989, recommand�e aupr�s de Jacques Fournet, le patron des RG sous Mitterrand, elle rejoint la centrale. Fournet la nomme responsable de l'antenne de Nanterre. Un poste sensible, dans le fief de Pasqua et � deux pas de La D�fense. Sa mission officielle, conforme aux id�es de Fournet information et recherche sur les milieux �conomiques et financiers de La D�fense. Sa mission secr�te : les circuits financiers du RPR. La gauche est encore au pouvoir et les affaires de financements occultes du PS commencent � fleurir. Brigitte Henri, comme d'autres fonctionnaires en banlieue parisienne, a pour mission de rattraper le temps perdu, aux RG, sur la connaissance des financements occultes de la droite. Histoire d'allumer des contre-feux. Manifestement, elle a �t� parachut�e au bon endroit. Nanterre est � deux pas des principaux si�ges sociaux et elle peut fr�quemment rencontrer des cadres d'entreprises importantes. Le si�ge de la Lyonnaise des Eaux, pr�sid�e par l'ancien secr�taire g�n�ral du RPR J�r�me Monod, est � dix minutes en voiture de son bureau. La " nouvelle ", d'allure plut�t candide, apprend vite. En 1992, Bertrand, enfin � 1a t�te de la maison, la rappelle aupr�s de lui. Prudent. Inutile de laisser batifoler en libert� un poisson pilote qui en sait autant. Brigitte Henri est nomm�e " charg�e de mission " � la direction centrale des RG (DCRG), officieusement charg�e du financement occulte des partis. En clair, elle .d�pend exclusivement d'Yves Bertrand. Lui seul, avant m�me le ministre, est destinataire de ses rapports.
A partir de l�, toutes les dates sont importantes.
Lyon, 27 octobre 1993. Brigitte Henri descend du TGV. Sp�cialement venue de Paris, elle a rendez-vous avec Robert Bourachot, le patron d'une des filiales de la Lyonnaise des Eaux, Maillard et Duclos, une entreprise de BTP qui a du plomb dans l'aile. Apparemment, rien ne va plus entre Bourachot et la maison m�re. Le 15 juillet 1993, Maillard et Duclos a �t� plac� en redressement judiciaire. Quatre jours plus tard, un avocat de Dumez, filiale de la Lyonnaise, signale au procureur de la R�publique de Bourg-en-Bresse des " faits d�lictueux" qui ont conduit � la r�vocation de Robert Bourachot, jusquel� P-DG de l'entreprise. Le 2 septembre, les experts remettent un rapport dans lequel ils signalent des factures douteuses, pour un premier montant qu'ils estiment � 209 millions de francs. Une information judiciaire est ouverte, confi�e au juge d'instruction Philippe Assonion. Une affaire est enclench�e.
Plusieurs indices, d�j�, doivent placer les RG en alerte. D'abord, l'implication, m�me si elle se pr�sente comme la victime, de la Lyonnaise des Eaux, une entreprise au coeur de plusieurs scandales politiques, ne serait-ce que celui qui vaut � Alain Carignon, l'ex-maire RPR de Grenoble, un s�jour derri�re les barreaux. Second indice, la mise en cause aussi brutale d'un P-DG. Un homme, de par ses fonctions, susceptible d'en conna�tre un rayon et, s'il se sent l�ch�, de parler devant un juge d'instruction. En clair, tous les ingr�dients sont r�unis pour que l'affaire d�passe le cadre de la gazette du palais de Bourg-en-Bresse. C'est bien ce qui va se produire.
A l'automne 1993, Robert Bourachot est un homme inquiet. D'abord parce qu'effectivement, il en sait beaucoup sur les coulisses du BTP et de la politique. Ensuite parce qu'il s'attend � une mise en examen. Et m�me � un s�jour derri�re les barreaux. Par quel biais a-t-il eu ce rendez-vous avec Brigitte Henri ? Interrog�e deux ans plus tard par le juge Assonion, celle-ci affirmera sans rire que c'est par l'interm�diaire du directeur de la coordination de la Lyonnaise des Eaux pour la r�gion Rh�nesAlpes.
Dr�le d'interm�diaire alors que Bourachot est cens� �tre au plus mal avec son ancien employeur I Comment ce directeur est-il remont� jusqu'� Brigitte Henri? Premi�re zone d'ombre de l'affaire qui va en compter des dizaines. Toujours est-il que ce premier rendez-vous, qui sera suivi d'un second, le 10 novembre 1993, � Paris cette fois, dans les salons de l'h�tel George-V, ressemble fort � une manoeuvre de n�gociations. Que se passe-t-il ? Bourachot, qui flaire les ennuis, a des messages � faire passer. Il remet au commissaire Henri une liasse de documents, dont certains �crits de sa main. Il y indique l'existence d'une caisse noire au sein de Maillard et Duclos destin�e � alimenter le RPR, via la Suisse. Ce fameux document consigne aussi des noms, dont celui d'Alain Jupp�, alors ministre des Affaires �trang�res dans le gouvernement Balladur, patron du RPR et fid�le soutien de Chirac dans la course pr�sidentielle malgr� des sondages catastrophiques. En clair, des documents explosifs.
Le soir m�me, Brigitte Henri r�dige une note � l'attention dYves Bertrand. Elle y joint, les documents confi�s par Bourachot. Le directeur central a entre les mains de la dynamite. Que fait-il ? Il en fait un double, qu'il range soigneusement dans son coffre et file chez le ministre de l'Int�rieur. Il est vraisemblable que Charles Pasqua a eu entre les mains les documents de Bourachot quelques heures � peine apr�s que ce dernier les eut remis � Brigitte Henri.
Une semaine plus tard, le 18 novembre 1993, Robert Bourachot est mis en examen pour abus de biens sociaux et faux en �criture de commerce puis �crou� par le juge Assonion. Il va rester plusieurs mois en prison. Sa d�fense ? Le silence.
Pourquoi Bourachot se montre-t-il si peu bavard devant le juge alors qu'il a �t� si loquace devant le commissaire ? Il y a fort � parier qu'en confiant ses documents au fonctionnaire des RG, Bourachot esp�re na�vement que les politiques, via les RG, vont faire quelque chose pour le sortir des griffes du juge. C'est mal conna�tre le fonctionnement de la justice. C'est mal conna�tre aussi Charles Pasqua. Bourachot mettra plusieurs mois � se rendre compte que le pi�ge s'est referm� sur lui.
Le juge Assonion et, avec lui, les policiers de la PJ doivent donc se priver des confidences de l'homme d'affaires qui dorment pourtant dans les coffres de la place Beauvau. Gr�ce au travail de Brigitte Henri, les RG et l'Int�rieur vont disposer de plusieurs mois d'avance sur l'enqu�te du juge. Cela laisse du temps pour brouiller des pistes.
L'article 40 du code de proc�dure p�nale pr�voit que lorsqu'un fonctionnaire a connaissance de faits d�lictueux, il doit en informer le parquet. Quand un agent des imp�ts flaire un micmac, il �crit au procureur de la R�publique. La r�gle, manifestement, ne s'applique ni au patron des renseignements g�n�raux ni au ministre de l'Int�rieur.
Le juge Assonion ne conna�tra l'existence de Brigitte Henri que le 8 f�vrier 1995. Quinze mois apr�s qu'elle a obtenu les documents de Bourachot. Et encore, par hasard. Furieux d'avoir �t� l�ch�, Bourachot, finalement sorti de prison, parle devant les cam�ras de t�l�vision. Il exhibe des documents et affirme les avoir remis, avant son interpellation, " � une certaine Brigitte Henri, qui travaille aux RG, service politique [sic] ". Devant sa t�l�, le juge Assonion peut tomber de sa chaise.
Le 24 mars 1995, Brigitte Henri est convoqu�e � Bourg-en-Bresse dans le bureau du magistrat. Elle confirme ses rendez-vous, les documents, les informations explosives qu'ils contenaient, et sa note faite le jour m�me � Yves Bertrand. " Pourquoi ne m'avez-vous pas transmis ces �l�ments ? " s'�tonne, furieux, le juge Assonion. Elle r�pond du tac au tac : " Ce genre de d�cision ne rel�ve que du seul ministre. "
Philippe Assonion va d�cider de rattraper le temps perdu. Il r�clame sur-le-champ l'ensemble des notes et des blancs effectu�s par son interlocutrice sur son affaire. En pleine campagne pr�sidentielle, le combat fratricide Chirac-Balladur va jouer en sa faveur. Pour la premi�re fois, un juge qui instruit une affaire sensible va r�ussir � franchir le mur du secret des RG. Au moins en partie.
Le 31 mars, � deux mois de l'�lection, le minist�re de l'Int�rieur donne son feu vert. Brigitte Henri revient chez Assonion avec une cinquantaine de pages de documents, dont des notes manuscrites de Bourachot ainsi que des fausses factures. Le juge r�clame aussi les dizaines de notes blanches transmises par Brigitte Henri � Bertrand et Pasqua. Au minist�re de l'Int�rieur, c'est l'embarras qui domine. Faut-il donner les blancs au juge ? Pasqua flaire tout de m�me le risque qu'il y a de cr�er un pr�c�dent. Cependant il choisit la l�galit� r�publicaine. Peut-�tre le plaisir de glisser une peau de banane sous les pieds des chiraquiens a-t-il aussi jou� son r�le. Finalement, ce sera oui. Entre les deux tours de l'�lection, Assonion voit donc atterrir dans son cabinet deux cents feuillets, dont la note citant nomm�ment Jupp� dans " l'affaire ".
Trop tard.
Sous pr�texte que certains si�ges sociaux sont justement dans le quartier de La D�fense, la Chancellerie va alors distribuer avec un certain machiav�lisme des bouts d'affaire d'un tribunal � l'autre. Ainsi saucissonn�e, l'affaire du juge Assonion atterrira en partie chez un autre magistrat, le juge Desmure, � Nanterre. Egalement charg� d'enqu�ter sur les " revenus " de Louise-Yvonne Casetta, la banqui�re occulte du RPR, ce juge a op�r� � l'automne pr�c�dent une s�rie de perquisitions dans les services de l'h�tel-de-ville de Paris.
Les RG auraient pu faire gagner quinze mois au juge de Bourg-en-Bresse. Ils ont permis au RPR de gagner quinze mois sur l'affaire.
Mai 1995. Brigitte Henri est au z�nith. Chirac est � l'Elys�e, Jupp� � Matignon. Bertrand, lui, reste place Beauvau et survit parfaitement � l'alternance au sein du camp gaulliste. D�cid�ment cet homme si serviable en apparence dispose d'un talent rare : donner l'impression qu'il est indispensable.
Un corbeau bien myst�rieux, et extraordinairement bien inform�, va choisir ce moment pour rentrer dans l'ar�ne.
Deux mois plus tard, les premi�res lettres anonymes arrivent sur le bureau du juge, � Bourg-en-Bresse. Un m�me leitmotiv dans ces lettres : " Brigitte Henri vous enfume. " " Elle en sait beaucoup "... Dans la foul�e, le 4 ao�t 1995, le commissaire Henri, de retour d'une mission sur la C�te d'Azur, explose un pneu de sa R19 de service sur l'autoroute. Le garagiste remarque un coup de couteau. Quelques jours plus tard, la direction de sa voiture est fauss�e. Le 23 ao�t, arrive chez elle une lettre anonyme : " Ne vous croyez pas � l'abri. Demain, apr�sdemain, un jour, il faudra que vous parliez au juge. C'est votre survie qui est en jeu, car ceux qui vous suivent sont dangereux. " Le 29 ao�t 1995, Brigitte Henri est agress�e par deux inconnus � deux pas de la gare de Lyon. A la fin du mois, le juge Assonion re�oit une lettre
" Chronique d'une mort annonc�e. " Le corbeau commence ainsi : " D�p�chez-vous si vous voulez la faire parler. "
Le minist�re de l'Int�rieur d�cide de la placer sous protection permanente du RAID. Deux policiers se chargent de la s�curit� du commissaire. Mais les ennuis continuent. Les vitres de sa voiture sont bris�es %n octobre. Le 22 d�cembre, la direction de sa R19 est � nouveau fauss�e. En f�vrier 1996, Brigitte Henri se d�cide � d�poser deux plaintes, l'une � Nanterre, l'autre � Bourgen-Bresse, pour " menaces sous conditions ".
Il va se passer l� un �pisode peu chair. Brigitte Henri va s'embrouiller dans ses d�clarations � l'I.G.P.N, Inspection G�n�rale de la Police Nationale, ( qui l'entend (suite aux plaintes d�pos�es, notamment son l'agression dont elle aurait �t� victime.
Plus �trange, le Directeur de l'I.G.P.N de l'�poque Yves Marchand interdit au fonctionnaire chang� de l'enqu�te de proc�der � des s�ries d'identification concertant des machines � �crire du Ministre pour les comparer avec les frappes des lettres anonymes du Corbeau�Bizarre� Vous avez dit Bizarre�!
Entre-temps, le corbeau a d�cid� de " r�veiller " un autre magistrat anti-corruption, le juge Halphen. Eric Halphen, juge d'instruction � Cr�teil, est tomb� sur la mairie de Paris sans le savoir. Parti du dossier fiscal d'une entreprise du Val-de-Marne, le juge, alors inconnu du public, est devenu la b�te noire du RPR le jour o� il a mis en d�tention Francis Poullain, un ancien gardien de la paix devenu entrepreneur de peinture. Sans le savoir, ce matin-l�, � l'automne 1994, Eric Halphen a donn� un s�rieux coup de pied dans la fourmili�re. Depuis cette date, son enqu�te occupe r�guli�rement la une des journaux.
Halphen a d�couvert les financements secrets de l'office HLM de Paris. C'est lui, au d�part, qui a mis au jour l'existence de Louise-Yvonne Casetta, la " banqui�re du RPR ". C'est lui qui est retomb� sur Schuller et les HLM des Hauts-de-Seine. Devenu dangereux, il a eu droit, via son beau-p�re, le Dr Mar�chal, � une tentative de d�stabilisation en bonne et due forme. Le conseiller g�n�ral RPR des Hauts-de-Seine, Didier Schuller, un proche de Charles Pasqua, a pr�tendu que le beau-p�re du juge Halphen lui avait r�clam� un " biscuit " d'un million de francs pour calmer son gendre. Arroseur arros�, Schuller, auteur de la manipulation, a pr�f�r� partir en cavale � l'�tranger. Eric Halphen conserva son dossier gr�ce � l'intervention de Mitterrand qui, en saisissant le Conseil sup�rieur de la magistrature, emp�cha son dessaisissement.
Halphen accrocha ensuite Michel Roussin, ministre de la Coop�ration sous Balladur, l'obligeant � d�missionner. C'est lui qui est all� perquisitionner en Corr�ze, dans le fief de Chirac, d�couvrant que des permanents locaux �taient pay�s par la mairie deTaris. En perquisitionnant chez Tiberi, c'est encore lui qui est tomb� sur le rapport de 36 pages pay� � Xavi�re, l'�pouse du maire de Paris, 200 000 francs, par le conseil g�n�ral RPR de l'Essonne. C'est encore Halphen qui a d�couvert l'appartement HLM de Dominique Tiberi, le fils du maire de Paris. Une partie de ces d�couvertes a �t� class�e. Une autre a �t� " saucissonn�e " et confi�e � d'autres juges. Halphen, contre vents et mar�es, continue d'avancer. Comme toujours dans les affaires de financements occultes, le juge a bien compris comment partait l'argent - depuis des march�s publics - mais il bute sur l'autre volet : comment l'argent revient-il dans la poche des �lus et du parti ?
Le 4 octobre 1995, en ouvrant son courrier, le juge Halphen tombe l�-dessus
" Monsieur le juge, " La lecture de certains articles est d�cid�ment tr�s instructive. On y parle de Bourachot et d'un certain commissaire des RG. On y parle aussi d'un certain compte en Suisse AJF 331 044 Cleo. Quelques pr�cisions : le commissaire en question s'appelle Mme Henri et le compte AJF ne lui est pas du tout inconnu, loin de l�. Depuis plus d'un an qu'elle sait qu'il existe, elle en a appris pas mal. Elle pourrait vous dire � quoi il sert et surtout � qui, et qui tire les ficelles. Comme d'autres comptes. Mais elle n'est pas tr�s bavarde et on fait tout pour la faire taire. Pourquoi la prot�ge-t-on � votre avis ? Parce qu'elle sait beaucoup de choses. Elle pourrait vous donner les morceaux du puzzle qui vous manquent. Elle a demand� � Bourachot de ne pas parler d'un certain bordereau. Pourquoi � votre avis ? [...] Quand on sait par qui il est sign�, on comprend pourquoi, surtout quand on sait que le nom ne vous est pas �tranger. [...] Elle ne parlera que sous la pression. Tant qu'elle se sait prot�g�e, elle se taira. Le jour o� elle sera gard�e � vue, o� elle pensera aller au trou, elle craquera et vous gagnerez un temps pr�cieux. Mais vous laissera-t-on faire ?
" Un flic qui d�tient des informations capitales Pt qui refuse de les donner au juge, on appelle �a comment? "
Le corbeau laisse Eric Halphen deviner ce qui se passe. Manifestement, le juge de Cr�teil, qui re�oit d�j� des wagons de lettres anonymes sur le RPR, d�cide de voir venir.
Le 3 novembre, nouvelle lettre du corbeau
" Monsieur le juge,
" Vous devriez vous pencher sur les relations du commissaire Henri depuis 1990. " Le corbeau l�che une vol�e de noms de soci�t�s en cheville avec l'office HLM de la ville de Paris, et conclut : " Elle sait depuis longtemps qui a empoch� les commissions des uns et des autres et par quelles fili�res... Alors ? "
Alors Eric Halphen n'h�site plus. Il convoque Brigitte Henri le 16 novembre 1995. La veille, le 15 novembre, le juge a re�u une troisi�me lettre.
Le lendemain, Brigitte Henri est donc dans son bureau. Elle est entendue comme t�moin.
" Je suis commissaire de police depuis quatorze ans aux renseignements g�n�raux. Depuis trois ans, j'occupe la fonction de charg�e de mission aupr�s du directeur central des renseignements g�n�raux, Yves Bertrand.
" Depuis trois ans, je m'occupe d'obtenir des renseignements sur les affaires financi�res ayant une incidence m�diatique, ou pouvant en avoir une. Je m'occupe d'obtenir des renseignements � propos du dossier que vous instruisez depuis le tout d�but de l'ann�e 1994, soit avant m�me que vous ne soyez saisi du dossier. "
On ne saurait �tre plus clair. Brigitte Henri, comme dans l'affaire Maillard et Duclos, reconna�t elle-m�me avoir une bonne longueur d'avance. " C'est ainsi, poursuit-elle, que j'ai rencontr� plusieurs chefs d'entreprise qui m'ont parl� des pratiques de M�ry [un des faux facturiers du RPR via l'office HLM de la ville de Paris]. Ils m'ont dit que celui-ci �tait un passage oblig� pour avoir des march�s de l'OPAC [Office public d'am�nagement et de construction mis en cause dans les affaires actuelles de la ville de Paris] et que, si on voulait avoir des march�s, il fallait passer par lui. Les entreprises, d'une part, payaient des factures fictives � jean-Claude M�ry et, d'autre part, lui versaient des commissions occultes en esp�ces. Ces chefs d'entreprise m'ont pr�cis� qu'ils arrivaient eux-m�mes dans les bureaux de Jean-Claude M�ry avec des mallettes remplies d'esp�ces qu'ils lui remettaient. Ces commissions occultes �taient d'un montant qui variait de 3 � 5 % du montant des march�s. "
Toute l'affaire instruite par le juge Halphen est r�sum�e dans ces lignes. Des chefs d'entreprise qui, pour avoir des march�s, versent des commissions en liquide � un interm�diaire, Jean-Claude M�ry, avant de se r�cup�rer sur le montant des travaux. L'argent, via la Suisse (Brigitte Henri reconna�tra plus loin avoir appris l'existence d'un compte � l'Arab Bank), atterrissant t�t ou tard dans la poche de certains �lus, mais aussi du RPR.
C'est ce dernier �tage de la fus�e qui manque � Halphen. Quui, au final - abrit� derri�re une cascade de comptes � l'�tranger -, touche l'argent? Le juge, comme tous les autres magistrats qui enqu�tent sur les affaires de corruption � grande �chelle, est vite parvenu � comprendre comment l'argent part. Les circuits financiers bidons sont les premiers � tomber parce que pour sortir de l'argent des caisses, il faut toujours des factures. Le juge Halphen a identifi� le premier r�seau de fausses factures qui permet de sortir l'argent. Il suit sa trace jusqu'� la fronti�re. Mais apr�s ?
" Qui est le mandant de ces comptes suisses ? " interroge Halphen. " Je refuse de r�pondre ", r�plique s�chement le commissaire. Pour le reste, elle refuse de donner ses sources.
Le 18 d�cembre, le corbeau, encore une fois bien renseign�, revient � la charge chez le juge de Cr�teil
" Les nouvelles vont vite. Il para�t que vous avez mis sur le gril Mme Henri. Son audition a d� en int�resser plus d'un. Elle fait peur parce qu'elle a les clefs que vous cherchez sur la Suisse. " Avec la lettre, le juge re�oit une note blanche, attribu�e � Brigitte Henri, du ler f�vrier 1995. Cette note d�taille des march�s pass�s par l'OPAC et des commissions occultes. Elle �voque aussi le nom d'un ancien ministre et, longuement, celui de Louise Yvonne Casetta. Le juge Halphen re�oit d'autres lettres, en janvier, puis en f�vrier, avec, cette fois encore, un blanc attribu� par le corbeau � Brigitte Henri. Intitul� du document : " Activit�s pr�sum�es de Mme Louise-Yvonne Casetta au sein du RPR. " Ce blanc est dat� du 8 novembre 1994. Les informations qu'il contient ne seront donc connues du juge Halphen que bien des mois plus tard. Le 20 f�vrier 1996, nouvelle lettre du corbeau qui contient un autre blanc du commissaire Henri, " Les march�s de l'OPAC de Paris et les relations de Mme Casetta ", dat� du 7 d�cembre 1993.
Ce m�me 20 f�vrier, le commissaire est de nouveau dans le bureau du juge de Cr�teil. Entendue comme t�moin, cette fois, elle parle avec difficult�. Les blancs ? Elle les reconna�t � peine. Bien s�r, elle accorde au juge que l'immense majorit� des informations que ceux-ci contiennent ne lui �taient pas �trang�res, mais elle refuse d'authentifier les documents. Quoi de plus facile, puisque, justement, par d�finition, les blancs sont faits pour n'�tre pas identifiables ?
" Avez-,vous une m�moire s�lective ?interroge le juge Halphen.
- Je me souviens de certaines choses, mais pas de tout ", r�plique le t�moin.
Cette fois-ci, le commissaire a d�cid� de faire de l'obstruction. Manifestement sur ordre. Ses r�ponses se limitent � " oui ", " non ", " je ne sais pas ", ou " je ne m'en rappelle pas ", ou " je n'en ai pas le souvenir ".
Pour Halphen, le message est clair : il faudra qu'il se d�brouille tout seul. En f�vrier, au lendemain de cette seconde audition de Brigitte Henri, le si�ge des RG est transform� en blockhaus anti-HalpheN , les plantons doivent m�moriser le visage du magistrat et ont pour instruction de ne pas le laisser monter, sans autorisation expresse de la hi�rarchie qui doit �tre instantan�ment pr�venue.
Eric Halphen est habitu� aux bras de fer avec la police. Le suivant aura lieu le 27 juin 1996, le jour de la perquisition chez Jean Tiberi.
La suite...BERTRAND STORY III
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