�J'ai fait mon m�tier�
Christine Clerc raconte dans son journal Le Figaro les r�actions � l'agression qu�elle a subie a suscit�es au village

LE FIGARO. � Comment vous sentez-vous apr�s cette tentative d'intimidation ?
Christine CLERC. � Calme, et profond�ment triste pour la Corse dont les chances extraordinaires de d�veloppement sont en train d'�tre compromises, g�ch�es. Je suis aussi franchement inqui�te et d�sol�e pour mes amis, natifs de Tolla o� se trouve leur maison familiale, et qui sont aujourd'hui menac�s par ma faute parce que je passais mes vacances chez eux.

Pourquoi cet acte ?
De toute �vidence, l'article du 1er septembre consacr� � un policier, originaire du continent et oblig� de quitter l'�le parce que sa voiture avait explos�, est l'�l�ment d�clencheur. Ce texte a bless� les gens du village, ulc�r�s de lire qu'on remettait en cause leur sens de l'hospitalit�. Mais peut-�tre n'�tait-ce l� qu'un pr�texte, une nouvelle occasion de rassembler un village contre les habitants du continent.

Quel est votre pressentiment concernant les auteurs de l'attentat ? Dans un climat aussi troubl�, n'importe qui peut �tre tent� de faire sauter une voiture, par vengeance ou par jalousie. J'ai �galement pens� � de jeunes excit�s, mus par le romantisme de la r�sistance. Je remarque cependant que des professions sont tout particuli�rement vis�es: des policiers, des journalistes, des repr�sentants de l'�tat. Et ce geste violent ressemble beaucoup au jeu men� par les nationalistes, qui consiste � dresser les habitants de l'�le contre le continent, pour mieux les isoler et obliger l'�tat � une r�pression. Ici, la vue d'un gendarme irrite et peut conduire des habitants au nationalisme. Il arrive m�me que des Corses, habitant le continent et de retour dans l'�le, soient aujourd'hui trait�s de harkis! Le dessein poursuivi par les auteurs du mitraillage de ma voiture pourrait �tre celui-l�, alors que des �lections r�gionales sont pr�vues en 2004.

Quelles ont �t� les r�actions des habitants de Tolla � l'attentat ? Je crois qu'ils sont tr�s partag�s. Je ressens autour de cet �v�nement un m�lange curieux de peur et d'hostilit�. Un exemple: ce matin, des voisins se sont rassembl�s autour de ma voiture ab�m�e. Une femme a d�clar� qu'elle �tait pour �la R�publique� et �contre la violence� mais �contre l'article du Figaro�. Dans cette conception des choses, la victime est consid�r�e comme responsable. Il est aussi vrai que peu de gens osent exprimer leur conviction profonde. Comme me l'a confirm� ce matin un membre de Reporters sans fronti�res, de nombreux journalistes travaillant sur l'�le subissent r�guli�rement des pressions et des menaces. L'intimidation, ici, fait partie du quotidien. Je souhaite d'ailleurs rendre hommage aux gendarmes, d'une finesse et d'un calme remarquables devant la situation.

Qu'allez-vous faire maintenant ? Je vais rentrer. Pour ne pas alimenter les ranc�urs mais sans renoncer � ma libert� d'expression. En racontant l'histoire de ce policier, en r�agissant � ce que j'avais vu et entendu, j'ai fait mon m�tier comme je l'aurais fait n'importe o� ailleurs. Aurais-je d� me taire parce que c'�tait la Corse? Apr�s ce geste violent, dirig� contre moi, je pense toujours que j'ai bien fait. Propos recueillis par Delphine Chayet

�2003 L'investigateur - tous droits r�serv�s