Natale Luciani, ancien militant nationaliste corse, fondateur du groupe folklorique Canta u Populu Corsu, est mort dimanche � l'�ge de 54 ans dans un accident de la route en Corse-du-Sud.
Seule en cause dans cet accident, la voiture qu'il conduisait est tomb�e dans un ravin, une vingtaine de m�tres en contrebas de la route reliant Bocognano � Ajaccio, o� elle a �t� retrouv�e en fin d'apr�s-midi, selon la m�me source.
C'est sa famille, inqui�te de ne pas le voir arriver, qui avait donn� l'alerte � la mi-journ�e, a-t-on pr�cis�.
Natale Luciani avait �t� pr�sent� par le commissaire Robert Broussard, pr�fet d�l�gu� pour la police en Corse, comme "un personnage relativement haut plac� dans la hi�rarchie du FLNC", lorsqu'il avait �t� arr�t� en avril 1984 pour d�tention d'explosifs. Cette affaire lui avait valu d'�tre condamn� � sept ans de prison en mai 1985 par le tribunal de grande instance d'Ajaccio.
Peu apr�s son arrestation, en juin 1984, un commando avait tent� de le lib�rer, en m�me temps qu'un second militant, Paul Ceccaldi, en s'introduisant dans la prison d'Ajaccio. Lors de cette tentative, qui avait �chou�, le commando avait en revanche men� � bien une autre mission: ex�cuter dans leurs cellules Jean-Marc Leccia et Salvatore Contini, deux hommes consid�r�s comme le commanditaire et l'ex�cuteur du militant nationaliste Guy Orsoni, l'ann�e pr�c�dente.
Apr�s sa lib�ration, le chanteur de Canta u Populu Corsu, groupe tr�s engag� en faveur des nationalistes dans les ann�es 80, s'�tait consacr� � une �cole de chant pour les enfants, qu'il avait fond�e.
Originaire de Tavera et d�Albitreccia, il va �tre enterr� dans une ferveur particuli�re. D�abord parce que la puret� de son engagement lui avait valu un respect unanime jusqu�� celui de ses ennemis politiques. Ensuite il a �t� l�un des p�res du riacquistu, la r�acquisition culturelle men�e par les nationalistes corses. Sans jamais sacrifi� l�aspect culturel il s�est engag� pleinement dans le militantisme clandestin et a v�cu la prison.
L� il a assum� l�incarc�ration avec une force qui provoque l�admiration. Les gardiens de la centrale de Saint Maur se souviennent encore du r�le qu�il joua avec Pierre Albertini pour emp�cher l�ex�cution d�otages lors d�une r�volte.
Nous reproduisons ci-dessous les articles que Corse-Matin lui a consacr�s sous la signature d�Isabelle Luccioni qui le connaissait personnellement et de Mario Grazi.
Canta U Populu corsu dans 1��me
S'il est un nom que l'on ne peut dissocier de celui de Natale Luciani, c'est bien celui de Canta U Populu Corsu. Musicien, chanteur, po�te, Natale - comme le nommaient famili�rement tous ceux qui le c�toyaient - a �t� d�s l'origine un militant convaincu du riaquistu.
Canta U Populu Corsu lui doit une bonne partie de ses succ�s ind�modables tels que Compagnero ou Allegria. Des chansons qui sont aujourd'hui reprises par des groupes de jeunes chanteurs qui n'�taient pas encore n�s � l'�poque o� elles ont �t� compos�es.
Presque timide dans la vie de ses musiques et se m�tamorphosait lorsqu'il montait sur sc�ne. Militant sur le terrain artistique comme � la ville, il faisait passer ses messages au travers de ses textes. Clairement r�volutionnaires, ses chansons des ann�es 70 et 80 ont parfois �t� consid�r�es comme des appels � l'insurrection.
Ses derniers textes dans l'album Rinvivisce dont il signe ou cosigne la quasi-totalit� des titres sont emprunts d'une r�flexion sur les d�g�ts des affrontements entre nationalistes mais d'espoir dans et pour une jeunesse qui repr�sente l'avenir.
Devoir de transmission
Car un autre volet de la personnalit� de Natale Luciani demeure sa tr�s grande proximit� avec les jeunes g�n�rations et le plaisir de transmettre.
� son retour en Corse au d�but des ann�es 90, il cr�e � a scola di cantu � pour former de jeunes chanteurs et musiciens. Il anime des ateliers de musique et de chant dont sortiront les voix montantes du chant corse de ces derni�res ann�es.
Certains �l�ves ont mont� leurs propres groupes mais une importante partie d'entre eux revient r�guli�rement chanter dans Canta U Populu Corsu.
Aujourd'hui c'est le monde de musique insulaire qui est en deuil. On cherchera longtemps encore sur les sc�nes ce guitariste exceptionnel qui jouait � en droit � parce qu'�tant gaucher, avait appris seul en regardant jouer les autres lorsqu'il �tait enfant. On attendra vainement les nouveaux rythmes et les nouveaux textes sortis de cet esprit perp�tuellement cr�ateur.
Et l'on regrette d�j� cet artiste qui r�pugnait � parler de lui-m�me aux antipodes de toute forme de � star system �, mais qui r�pondait pr�sent chaque fois qu'on lui demandait de chanter une messe ou d'animer une veghja.
Une seule chose peut �tre assur�e aujourd'hui, ses chansons, elles, ne sont pas pr�tes de s'�teindre et seront jou�es et prises pendant des g�n�rations encore�
(Isabelle LUCCIONI)
� Un homme de c�ur et de passion �
Ses proches, ses compagnons de route �taient sous le choc hier soir. D�s qu'ils ont appris la terrible nouvelle, ils se sont rendus sur les lieux du drame. C�c� Butteau et Dum� Gallet ne pouvaient retenir leurs larmes. La gorge serr�e par l'�motion, ils rendaient hommage � celui qui a marqu� � jamais � la revendication culturelle et politique�.
� Son engagement de la premi�re heure, t�moignent-ils, a toujours �te frapp� du sceau de la foi de la passion et de l'amour pour sa terre et surtout du d�sint�ressement. Malheureusement nous ne r�alisons pas encore que nous venons de perdre un ami, un fr�re. Nous avons une pens�e particuli�re pour son �pouse et ses deux jeunes enfants que le destin cruel a laiss� orphelins� �
Au nom de l'association A Rinascita di u Vechju Corti, qui avait organis� les 20 ans de Canta en 1993 � Corte, Jean-Marie Ghionga s'est dit �mu de cette disparition : �Je me souviens que Natale Luciani, avec le soutien de la Rinascita et de la DRAC, avait organis� la premi�re exposition du mus�e d'arts et traditions populaires de Paris en 1980 et qui s'intitulait � Vita pastureccia in Corsica �.
Elle pr�figurait la cr�ation du Mus�e de la Corse, plusieurs ann�es avant sa cr�ation effective. Il avait beaucoup milit� pour que cette implantation ait lieu au C�ur de la Corse, � Corte. Natale Luciani avait �galement particip� au premier disque chant� en langue Corse par des enfants, � E Cardelline �.
Dum� Gambini avait lui aussi une pens�e �mue pour � cet homme d'une droiture exceptionnelle qui est toujours all� au bout de ses convictions. L'int�r�t collectif �tait son seul objectif, sa seule raison de vivre. C'�tait un homme de cour, d'une bont� extraordinaire. Sa disparition nous prive d�un homme de c�ur, d'une bont� extraordinaire. Elle laisse aujourd'hui un vide immense qu'il sera difficile de combler� �
Toni Casalonga, ancien pr�sident du conseil �conomique, social et culturel de la Corse, a salu� la m�moire d'un artiste engag�, fid�le � ses convictions : �Comment ne pas se souvenir, dans ces temps incertains, qu'il y a eu des �tres pour qui les choix �taient clairs, les exigences affirm�es, les principes inflexibles et que Natale Luciani �tait l'un de ceux-l�. Parmi les fondateurs de Canta u populu corsu, il incarnait la rigueur et son refus de la marchandisation est demeur� jusqu'au bout sans la moindre ambigu�t�, Sa voix s'est tragiquement �teinte, mais nous aurons besoin de conserver la m�moire du juste chemin qu'il a trac�, et vers lequel il a orient� tant de jeunes talents�.
(Propos recueillis par Mario GRAZI)
Un homme qui ne savait pas transiger
Ancien militant du FL NC, Natale Luciani a pass� plusieurs ann�es en prison, les divisions l'avaient profond�ment affect�, mais il demeurait nationaliste.
Comme pour la plupart des hommes de sa g�n�ration, le militantisme de Natale Luciani remonte � l'�poque des �tudes en facult� sur le continent. �tudiant militant, il rejoint le FLNC pratiquement d�s sa cr�ation.
Au d�but des ann�es 1980, Il m�ne de front son travail dans l'�ducation nationale, ses activit�s artistiques au sein de Canta U Populu Corsu et sa vie de militant clandestin.
Il est interpell� dans un garage situ� pr�s de l'ANPE d'Ajaccio au mois d'avril 1984 apr�s une s�rie d'attentats contre des continentaux. Le commissaire Robert Broussard parle alors de lui comme d'un � personnage relativement haut plac� dans la hi�rarchie du FLNC �.
En d�tention provisoire � la maison d'arr�t d'Ajaccio en compagnie de Paul Ceccaldi, il est pr�sent lorsque la prison est investie par le commando qui vient ex�cuter Jean-Marc Leccia et Salvatore Contini pr�sum�s responsables de l'assassinat de Guy Orsoni. Lib�r� par le commando, il est interpell� avec lui par les forces de l'ordre et transf�r� � Paris le 14 juin.
Le 25 mai 1985, il est jug� par le tribunal de grande instance d'Ajaccio pour la s�rie d'attentats de l'ann�e 1984. Il revendique alors son appartenance au FLNC et est condamn� � sept ans de prison.
En juillet de la m�me ann�e, il compara�t devant la cour d'assises de Lyon pour l'affaire de la prison d'Ajaccio et est acquitt�.
Quelques ann�es plus tard, en 1988, emprisonn� � la centrale de Saint-Maur dans un quartier de haute s�curit� en compagnie de Pierre Albertini, ils auront tous les deux un r�le d�terminant en �vitant qu'une mutinerie des d�tenus ne d�g�n�re et en prot�geant le directeur de la prison.
Il est lib�r� en 1989 � la faveur de la loi d'amnistie et revient � Ajaccio. Il ne r�int�gre pas l'�ducation nationale ma�s la direction r�gionale des affaires culturelles o� il travaillait encore jusqu'� ces derniers jours.
Les scissions puis les affrontements sanglants entre les diff�rents mouvements nationalistes atterrent ce militant sinc�re et id�aliste qui s'est toujours tenu �cart� des luttes de pouvoir. Le g�chis des ann�es 1990 l'�carte des structures. Il n'en restera pas moins un nationaliste convaincu, exprimant sa solidarit� lors des soir�es de soutien aux prisonniers notamment. Mais il limitait d�sormais son action au militantisme culturel et � la transmission de la culture corse aux jeunes g�n�rations.
I. L.
" Canta " incanta in u so innu � a Corsica
C� u so discu " Rinvivisce ", u gruppu " Canta u Populu Corsu " esce da un silenziu sudiosu per affirm� a so vulunt� di vive malgradu e tragedie, � celebr� � traversu melodie suntuose, a lingua, a cultura, a terra. Un discu esciutu da e viscere di a passione.
Antone Leonardi h� un omu cumpiitu. Un perfeziunistu suddisfattu di u travagliu fattu dipoi parechji anni per d� � a canzona, � � i cantatori corsi a piazza ch'elli meritanu. In vinti sette anni di faccende, h� permessu a nascita di talenti, � h� datu � un gruppu i mezi di mettesi in valore. Tuttu h� principiatu un ghjornu di u 1975 c� u famosu " Riacquistu ", sta vulunt� di riscopre e radiche di l'anima corsa, � � traversu ste radiche a riapprupriazione d'una cultura autentica, ma minacciata. " Eri, Oghje � Dumani " f� u primu discu d'un cambiamentu, quellu di a cunfirmazione d'un gruppu ch� avia da reabilit� a vucazione originale di u cantu. U tempu h� scorsu, i disci din�, �, � traversu i drami d'un'isula, l'omi di u gruppu " canta " s� ingrandati, � s� diventati pi� maturi, lasciendu � piazza � i giovani trasmettenduli l'amore di l'isula � a filosufia d'un populu, di a so cultura. A melodia h� sempre incantevule, e puesie, d'una grande purezza, pruvucheghjanu l'emuzione. H� ricunfurtante di vede ch� " Canta ", resta fidu � a so filosufia testimuniendu di e periode difficile, � di i mumenti tragichi ch� anu culpitu assai i figlioli � e famiglie di st'isula. Sedeci tituli assignalati " Ti vurria d� " di Ghjuvan Claudiu Papi, parulle di speranze " in un'alba chjara di libert� ", o a canzona di Michele Cacciaguerra, " U versu naturale ", un cantu originale ch� face ritruv� a fede, " spechju di i veri valori di a vita ". Natale Luciani, l'anima di u gruppu, famosu autore cumpunitore discrive un " Chjaruscuru ", maestosu ch� invita � a pace, " core in fronte, strada diritta ". L'impronte di Canta s� inalterevule. U discu, in vendita dipoi qualch� ghjornu cunnosce un successu scemu. Di i 10 000 esemplarii distribuiti in tutta a Corsica, n� resta belli pochi. U successu h� � l'appuntamentu. Qual'h� ch� n� dubitava ?
CANTA...
L'identit� du groupe est � n'en pas douter marqu�e par une attitude et une r�putation permanentes d'intransigeance. Celle-ci ne d�coule pas d'une vision th�orique, d'un dogmatisme de commande, mais d'une r�f�rence constante, au fil des �v�nements t�nus ou graves, � l'image que les membres de Canta se font de leur appartenance et de la communaut� qu'ils repr�sentent: "Nous avons �t� port�s par un mouvement, mais nous n'ob�issions pas � un parti". D'ailleurs, on rend compte sur sc�ne des d�cisions prises, dans les brefs commentaires ou par les d�dicaces qui pr�c�dent chaque chanson.
L'ITIN�RAIRE D'UN NOM
Ces choses-l�, dit-on, s'enracinent vite dans le nom que l'on porte. Celui de Canta u Populu Corsu sonne haut et fort, comme un hymne ou un p�an. C'est aussi une r�ussite linguistique, une phrase canonique, un exemple irrempla�able du g�nie propre � la langue corse. Un f�tiche identitaire, une r�gle de grammaire frapp�e au coin de l'identit� linguistique corse: Verbe + Sujet. Essayez un peu, pour voir, de suivre un autre ordre syntaxique pour la phrase simple: "U Populu corsu canta". Non! vraiment, ce serait laborieux et d�risoire comme les tailleurs qui sont riches et les barques petites des m�thodes pour l'apprentissage de l'Anglo-Saxon. Il y a aussi le chant et le peuple: le programme de notre groupe dans une formule laconique. Spartiate. Militante � souhait. Reste un probl�me plus d�licat: comment a-t-on eu un jour l'audace, tout seul ou � quelques-uns uns, de proclamer qu'on repr�sentait tout un peuple et qu'on chanterait d�sormais en son nom ? Comme il faut un coupable pour ce p�ch� d'orgueil inou�, l'interviewer lance l'enqu�te, mais les choses se sont pass�es tout autrement que ce qu'on croyait. On devait �tre en 1972-1973, ou peut-�tre plus tard et le groupe en �tait � ses premiers d�buts, informels et f�briles. Disons que c'�tait dans cette ann�e 1974 o� la chronique "disques" de Kyrn avait �t� consacr�e � Regina et Bruno, Lucien Bocognano, Maryse Nicolai, Tintin Pasqualini, JeanPaul Martini, Louis Savelli, Paulo Quilici, Joseph Susini, Jos� Baldrighi, A Mannella, Rinatu Santori, Antoine Ciosi. Mais dans son num�ro de d�cembre 1974, le m�me magazine notait que "les bourgeons de l'espoir fleurissent et battent dans les veines" pour signaler le premier 45 tours de Ghjuvanpaulu: "A Pasquale Paoli", aux �ditions Chants des Pieve, avec la participation de Petru et de Natale. Ce commentaire pointait une distance vis-�-vis de ceux qui � l'�poque repr�sentaient le chant corse. On n'en �tait pas encore aux remises en cause, ni aux accusations, parfois brutales que la nouvelle chanson corse adressa � ses a�n�s et qu'elle s'�vertue aujourd'hui � corriger, en invoquant les processus �ternels de l'opposition des g�n�rations.
1. Le sauvetage d'une tradition
Toujours est-il que depuis l'ann�e pr�c�dente, ce qui devait devenir Canta naissait progressivement d'une rencontre entre des animateurs de l'Unit� corse de la Maison de la Culture de la Corse et les chantres de Sermanu. Ecoutons le t�moignage de Ghjuvanpaulu: "C'�tait en 1973. Je suis mont� � Sermanu et je me suis trouv� soudain sur le terrain de la tradition. J'�tais avec Saveriu Valentini et Minicale qui �tait un fana de folk-song. Minicale m'avait �t� pr�sent� par mon fr�re Nanou; ils avaient sympathis� � Dijon parce qu'ils avaient la m�me passion pour la musique. En face de nous, il y avait Petru, son p�re Filice Antone Guelfucci, ses oncles Marcellu, Andria et tous les Sermanacci". C'est alors une r�v�lation. J'ai dit: "Voil� un t�moignage qu'il ne faut pas laisser mourir!" Nous nous sommes tous li�s d'amiti� et les choses sont all�es tr�s vite. J'ai ressenti comme l'appel d'un devoir, mais aussi d'une vocation: j'avais l� l'occasion de composer que je cherchais confus�ment depuis dix ans, depuis mes premi�res exp�riences de musicien. Une synth�se entre ma formation classique et une tradition populaire vivante qui m'�merveillait." Ils se mettent alors � l'ouvrage, avec acharnement, obnubil�s par l'urgence du sauvetage et enthousiasm�s par la richesse artistique et humaine de l'entreprise. Petru est l'initiateur: il conna�t et les chants et les gens. Ghjuvampaulu se souvient: "Ce n'�tait pas facile. Il fallait reprendre la tradition, la remettre en ordre, l'approfondir, revoir ces gens et d'autres. La nuit, dans les villages, il n'y avait pas grand monde. Il fallait parvenir jusqu'aux chanteurs; ils ne s'ouvraient pas facilement. Les gens avaient presque honte d'eux-m�mes parce qu'on raillait leur mode d'expression, cette mani�re �trange - �trang�re, disait-on - de chanter. Et puis tout doucement ...la veill�e, on trinquait ensemble et une chanson leur �chappait. Alors, tous les quatre, on s'empressait de l'apprendre et de la travailler". Ensuite, on le sait, ces choses-l� s'�tendent: les rencontres d�A Stalla, tenue par Petru et Ghjulia Morazzani, les amis de toujours, ont �largi le cercle: Michele Paoli de Zicavu, interne au lyc�e Fesch, Natale et les autres.
2. Montrer et r�habiliter
Ces premiers acteurs de Canta ne se bornent pas � th�sauriser. D'instinct, ils ressentent le besoin de restituer au peuple ce qu'ils apprennent de la tradition vivante, de t�moigner leur gratitude aux gens qui les accueillent et de transformer en fiert� commune un h�ritage ignor� du plus grand nombre. "Il fallait se former et faire vite. Les musiciens, au d�part, c'�tait Minicale et moi, mais nous avions peu de m�rite. L'essentiel, c'�tait ce savoir des villages, ces livres �pars et vou�s � l'oubli. L'ann�e 1974 a �t� pour nous celle d'une activit� d�bordante, d'une recherche et d'une convivialit� passionn�es. Le premier disque a �t� l'aboutissement d'une recherche, l'album des retrouvailles et le miroir d'une dignit� retrouv�e." En d�pit de ses d�clarations, Ghjuvampaulu appara�t dans ce climat comme le fondateur du groupe, en raison de ce r�le pionnier et de l'�cho qui s'en fait dans le public de l'�poque. En novembre 1974, "Kyrn" le retient pour figurer parmi les "50 Corses � l'horizon 85" et le qualifie ainsi: "Aime la vie en montagne et les promenades � travers les for�ts. S'attache � reconstituer les traditions locales". "Arritti" du 31 ao�t 1974 avait remarqu� "le jeune et passionn� Jean Poletti" parmi les chantres de Rusiu et de Sermanu descendus chanter � Corti pour le premier grand congr�s Corti 1 de l'A.R.C. D�sormais, il appara�tra comme le leader du groupe dans l'opinion et le chroniqueur d"'Arritti" emploiera jusqu'� la fin de l'�t� 1977 des expressions o� son image d�ment ses protestations de modestie: "Poletti et ses amis de Canta u Populu Corsu" (27 mai 1977), "Poletti et ses amis dont Natale Luciani" (3 juin 1977), "Poletti et ses amis" (14 ao�t 1977).
Petru, d�j� connu dans les milieux inform�s, �tait encore assez anonyme pour illustrer de son long visage �maci� un article de "Kyrn" (mars 1975) intitul� "Qu'est-ce qu'un Corse?" Quant � Cecc�, il nous confie qu'il ne chantait pas encore, se bornant � assurer la s�curit� des veghje � risques, depuis l'embl�matique soir�e du cin�ma Le Paris � Bastia (avril 1974). Natale �tait bien �videmment impliqu� dans l'aventure, mais �tudiant, il r�sidait encore � Nice o� il militait avec la C.S.C.: "Arritti" ne signalera d'ailleurs son retour d�finitif � Aiacciu que dans son num�ro du 3 juin 1977. Malgr� son activit� musicale intense, Minicale �chappait encore aux chroniqueurs.
Sans doute au moment de leur passage, �tait-il une fois de plus � la recherche de son violon, dans l'attitude o� le surprendra plus tard le coup de patte de Batti! Le groupe n'�tait donc encore que la rencontre fortuite et - pouvait-on croire - provisoire de personnes jeunes et pour une bonne partie d'entre elles accultur�es aux mod�les culturels dominants, et d'autres, plus �g�es dans l'ensemble, bien enracin�es dans la Corse rurale de toujours et vivant les formes musicales et vocales sur le mode traditionnel, sans la rupture qualitative que repr�sente toute d�monstration artistique: le paghjellaiu tavanincu Ghjuliu Bernardini et bien d'autres. Les uns tirant les autres, contact fut pris avec le studio Ricordu d'Aiacciu qui r�alisa alors le disque Canta u Populu Corsu: "Eri, oghje, dumane". Le Chant du Monde �tait, para�t-il, pr�t � �diter lui aussi...
3. Un disque fondateur
Les acteurs de l'�poque commentent aujourd'hui l'�v�nement: ce n'�tait pas le nom d'un groupe de chant, mais la formulation abr�g�e d'une volont� de d�signer la puissance encore intacte d'un patrimoine � r�activer: "Eccu ci� ch'ellu canta u populu corsu" ("Voici ce que chante le peuple corse"). Incontestablement, cette r�alisation appara�t comme l'acte fondateur du groupe: production culturelle et, d'embl�e, d�claration militante dans le texte de pr�sentation comme dans l'anecdote r�v�l�e par Natale au cours de l'entretien. On peut en effet apercevoir sur l'une des photos de la pochette des silhouettes volontairement effac�es de l'instantan�; il s'agit de personnes qui, entre le moment de l'enregistrement et la parution du disque, avaient pr�t� leur concours � la L�gion �trang�re en chantant pour la comm�moration de Camerone: elles s'�taient, ce faisant, exclues du groupe !
4. L'intransigeance
A Canta, on n'a jamais transig� sur le symbole, ni � cette �poque, ni plus tard. Le fid�le et d�vou� Jean-Claude fera ainsi l'objet d'une mesure partielle d'interdiction comme on le lit dans un proc�s-verbal du 18 juin 1980: il continuera � travailler avec le groupe, mais ne pourra plus se pr�senter dans ses livres comme un de ses militants puisqu'il a coup� avec l'orientation de Canta en r�digeant Mal'Concilio en fran�ais ! Ironique trajet d'un titre stigmatis�, mais qui va reverser au patrimoine corse une belle histoire en inspirant bient�t l'un des chants les plus envo�tants du r�pertoire de Canta, qu'il soit chant� par Ghjuvanpaulu ou par Dum�. La r�plique de Jean-Claude ? Il a plus que jamais travaill� avec le groupe... Canta avait spontan�ment adh�r� au Comit� Anti Vaziu. La campagne de sensibilisation men�e par celui-ci l'avait conduit � rechercher le soutien des municipalit�s. La r�action de Canta fut imm�diate: "L'invitazione fatta da u "comit�" � u "collectif des maires" ci pare un veru scandalu: d� a preputenza � dumand� l'avisu � quelli chi s� sempre stati � l'origine di tutti i strazii di a Corsica!" La lettre de d�mission est tout aussi claire: "Nous n'entrons pas dans ce genre de combinaisons; et si nous continuons � �tre contre le Vaziu nous le d�noncerons � notre niveau nous d�non�ons aussi les pollueurs de toujours; il nous para�t vraiment trop facile de faire dans l'�cologisme apolitique, v�ritable fourre-tout qui peut masquer assez mal les int�r�ts particuliers d'une certaine classe de la soci�t�. Le fait d'�crire Vazio et non Vaziu pour, para�t-il, ne pas choquer les non-autonomistes nous para�t aussi un argument assez infantile, alors qu'il y a quelques mois 25.000 personnes ont demand� la lib�ration des prisonniers de Bastelica et ceux du ...Front; alors que depuis pr�s de dix ans les autonomistes et les nationalistes sont � l'avant-garde (les autres partis ne pouvant faire que du suivisme) de toutes les revendications, et de tous les rassemblements populaires". On le voit, durant les dix ann�es �voqu�es dans cette lettre du 11 juin 1980 la position de Canta a �volu�: dans ses d�buts, le groupe r�percute avec son expression propre une revendication et une exigence qui traversent toute l'�le; dans les ann�es 1980, il se fait le gardien de ces valeurs et morig�ne les contrevenants. Le groupe pr�tendait-il diriger la revendication ? Les t�moins �cartent vigoureusement une telle interpr�tation: "Quand il faut faire pr�valoir la logique et l'efficacit� strat�gique sur les valeurs, Canta ne sait plus, Canta ne suit plus, parce qu'il n'est pas fait pour �a. Tant que la revendication �tait informelle, libre, instinctive et pour ainsi dire romantique, Canta l'assumait enti�rement. La rationalisation de la lutte l'a �loign�. Nous avions de la puret�, sans calcul. Tous les mouvements culturels ont suivi le m�me chemin !"
5. Nomm� par le peuple!
Quoi qu'il en soit, l'accueil enthousiaste r�serv� au disque dans les ann�es 1975 a rapidement diffus� un nom pour le groupe ainsi baptis� par l'adh�sion populaire. Cecc� conclut: "Nous n'avons pas eu l'outrecuidance de nous appeler ainsi. Ce disque �tait une anthologie; il r�unissait tout ce qui nous semblait significatif du patrimoine populaire � restituer. Les gens, les associations nous ont invit�s � chanter chez eux en tant que "Canta u Populu Corsu". Au temps de ce disque, nous n'�tions pas constitu�s en association. Le logo n'a jamais �t� d�pos� et il ne le sera pas. C'�tait une association de fait. Aujourd'hui, quelqu'un peut reprendre ce nom ...mais qui osera ?" Il n'y a que de la malice dans la chute... Dans la bo�te d'archives, un carton sans doute r�dig� en 1981 liste une trentaine de noms. Ce sont les membres de Canta: 7 sont entr�s dans le groupe en 1973, 3 en 1974, 4 en 1975, 5 en 1976, 1 en 1977, 6 en 1978, 2 en 1980. En regard de certains, la date de leur d�part, sans commentaire: 3 en 1976, 2 en 1978, 4 en 1981. La liste est manifestement incompl�te: les membres d�I Chjami Aghjalesi n'y figurent pas, ainsi que beaucoup d'autres que le public associe au groupe mais que l'archiviste n'a pas retenus, sans doute parce que le chant n'est pas leur activit� culturelle principale.
Ghjacumu Thier sur le site de Canta canta.adecec.net
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