Sondage: 85% des Corses contre l'ind�pendance
Dec 5, 2003
Apr�s l'onde de choc du "non" au r�f�rendum du 6 juillet dernier sur le nouveau statut de l'�le de Beaut�, 85% des Corses ne souhaitent pas que l'�le devienne ind�pendante contre 9% qui y sont favorables, selon un sondage publi� par le magazine "L'Express".

Il ressort de ce sondage CSA que 42% des Corses estiment que les probl�mes que conna�t la Corse sont dus "� la politique des diff�rents gouvernements", 32% attribuent ces probl�mes "au retard �conomique de l'�le", 23% "au personnel politique corse" � �galit� avec "l'isolement g�ographique de l'�le", 18% pensent que ces probl�mes sont dus aux "nationalistes corses" et 18% les attribuent aux "int�r�ts mafieux dans l'�le".

Dans la situation actuelle, 54% des Corses d�clarent faire confiance � Nicolas Sarkozy, 53% au d�put�-maire radical �mile Zuccarelli, 42% font confiance � Jacques Chirac, 32% � Jean-Pierre Raffarin, 31% aux �lus nationalistes corses et 28% au pr�sident de l'Assembl�e de Corse Jos� Rossi.

De m�me, 35% des Corses estiment que Nicolas Sarkozy obtiendra de "meilleurs r�sultats que ses pr�d�cesseurs" tandis que 48% pensent qu'il obtiendra "les m�mes r�sultats" et 12% optent pour "de moins bons r�sultats" et 5% ne se prononcent pas.

� propos d'une �ventuelle d�rive mafieuse du mouvement nationaliste, un Corse sur deux (50%) est d'accord avec cette assertion tandis que 38% ne sont pas d'accord.

Ce sondage a �t� r�alis� les 25 et 26 novembre aupr�s d'un �chantillon de 500 Corses, constitu� selon la m�thode des quotas.

L�article d��ric Conan dans l'Express du 04/12/2003


Ce que dit la majorit� silencieuse
par �ric Conan

L'onde de choc de la victoire du non lors du r�f�rendum du 6 juillet semble ne pas devoir finir. Si, dans l'�le, les langues ont du mal � se d�lier, les conversations taisent de moins en moins les d�rives d'une soci�t� d'abord malade d'elle-m�me, et ne m�nagent pas non plus le r�le jou� par Paris. Comme le confirme le sondage CSA-L'Express

La Corse, qui n'en manque pas, se passerait bien de cet exotisme-l�: malgr� la lumi�re et les parfums, c'est le charme inqui�tant du silence qui r�gnait dans les pays de l'Est qu'�voque aussi le climat local. Il y a, dans l'�le, comme un d�paysement civique. Les conversations y deviennent vite clandestines. Regards aux aguets, voix qui baissent. Propos publics l�nifiants, propos priv�s qui disent tout. M�me les pr�pos�s � l'expression publique que devraient �tre les �lus r�clament trop souvent l'anonymat - �Je ne vous ai rien dit� - pour en dire beaucoup.

C'est la grande absente de la chronique corse: la majorit� silencieuse. Ces Corses que l'on sollicite peu mais qui se font entendre lorsqu'ils en ont l'occasion. Dans les sondages, comme celui que L'Express publie aujourd'hui. Ou lors du r�f�rendum du 6 juillet dernier: ce sont eux qui ont rejet� le oui que recommandaient, sur place, 85% des �lus corses et, � Paris, le gouvernement, le pr�sident de la R�publique et l'opposition.

�Une minorit� violente, qui pr�tend parler au nom du peuple corse�

�Il y a une ambiance �pouvantable. J'ai parfois l'impression que les gens osent moins parler que sous l'occupation italienne, que j'ai connue�, estime Joseph Chiarelli, conseiller territorial. �La peur est un sentiment rationnel. Ici, on tue pour rien et en toute impunit�: il y a pas mal d'assassins en libert�, confirme Marc Cianfarani. Ancien proviseur du lyc�e Fesch, � Ajaccio, ex-responsable CFDT et ancien militant socialiste, il fait partie de ces Corses courageux qui parlent et �crivent dans les journaux pour dire leur d�ception de ce que devient leur �le. Mais ce militant qui ne milite plus a une autre explication du silence: �Il y a plus d�motivant que la peur: la majorit� des Corses, attach�e � la France, se sent l�ch�e par Paris, qui ne semble s'int�resser qu'aux ind�pendantistes. Qu'il s'agisse du gouvernement, des partis ou des m�dias. Pourquoi, sur les t�l�s parisiennes, voit-on toujours Talamoni? Et, ici, France 3 ne nous parle que des nationalistes. Que fait le CSA?�

En septembre dernier, L�andre Pieretti, vieil habitant de Luri, s'est �senti d�shonor� de voir des femmes et des enfants fuir, apeur�s, comme en Yougoslavie�, apr�s la nuit d'assaut contre la gendarmerie de son village. Au point de publier dans Corse-Matin un �appel � [ses] concitoyens� leur demandant de �laver cette honte� en manifestant leur �soutien � ces familles par tous les moyens�. Plusieurs l'ont fait. Par t�l�phone. �Beaucoup d'habitants de Luri m'ont f�licit�, tout en me disant que j'�tais fou�, ajoute L�andre Pieretti. Les protestations prennent aussi des formes plus publiques, comme � Folelli, quand 200 personnes manifest�rent apr�s l'attentat en plein jour contre la poste, qui aurait pu tuer une fillette du village, ou, plus r�cemment, � Poggio-d'Oletta et � Sart�ne, derri�re des banderoles �Halte � la violence�.
Le sentiment g�n�ral est bien r�sum� par un autre courageux, Ange-Marie Coltelloni, chef d'entreprise � la retraite, qui se sent �tr�s corse, de parents bastiais et ajaccien�, mais ne supporte plus l'expression �les Corses�. �Utilis�e par les m�dias, Sarkozy et Talamoni, cette formule l�gitime une minorit� violente, qui pr�tend parler au nom du peuple corse et que Paris met au centre de la vie politique. C'est terrible d'�tre abandonn� par les repr�sentants de la l�galit� fran�aise que nous d�fendons. Beaucoup sont �chaud�s, d�courag�s.� Les grandes manifestations contre la violence, comme dans les ann�es 1980, ont disparu. Ne restent que les petits attroupements ind�pendantistes (jamais plus de 2 000 personnes), largement m�diatis�s.
(1) Totaux sup�rieurs � 100, les interview�s ayant pu donner deux r�ponses.
�Comment l'honn�te citoyen ne serait pas �c�ur�? demande un conseiller territorial UMP. Il voit les choses. Il voit sur le journal la photo de Jean-Pierre Raffarin, � Bastia, tout sourire � c�t� d'un ancien condamn� par la Cour de s�ret� de l'�tat, reconverti dans des affaires troubles. Il voit qu'� Paris, Talamoni a eu ses entr�es particuli�res chez Sarkozy ainsi qu'il les avait chez Jospin. Il voit que les nationalistes gagnent sur tous les tableaux, que leurs leaders ont obtenu de juteux emplois publics pour leurs �pouses et que cela fait des petits couples d' "anticolonialistes" � 50 000 francs par mois! L'honn�te citoyen se sent ignor� et m�pris�, et il ne lui reste que le bulletin de vote, comme on l'a vu cet �t�.�

La victoire surprise du non au r�f�rendum a un peu chang� les choses, comme le constate Marie-Dominique Roustan-Lanfranchi, pr�sidente de l'Association pour la d�fense des droits de la Corse dans la R�publique (ADCR), cr��e il y a trois ans, au moment du processus de Matignon: �Nous voulions montrer que la Corse, ce n'�tait pas seulement Rossi, Talamoni et les cagoules, mais nous avons �t� boycott�s par la presse locale. Depuis la victoire du non, les journalistes s'int�ressent un peu plus � nous.� Pourtant, la situation de l'ADCR reste paradoxale: avec 3 000 adh�rents, c'est la premi�re association de Corse, mais ses assembl�es g�n�rales ne font pas l'objet de publicit� et de nombreux Corses lui proposent une aide financi�re � condition que leur nom n'apparaisse pas dans une adh�sion...

�Une soci�t� qui a du mal � ma�triser une violence verbale et physique omnipr�sente�

Car, loin d'avoir d�tendu le climat local, la d�couverte d'une majorit� rebelle sous la victoire du non, pr�c�d�e du proc�s Erignac et de l'arrestation d'Yvan Colonna, semble radicaliser la minorit� d�faite et acc�l�rer une �d�composition morale de plus en plus inqui�tante�, comme le pr�cise un conseiller territorial: �Les mots perdent leur signification et l'on s'y habitue trop. Nicolas Sarkozy a raison de dire que "le sens commun tend � s'estomper sur l'�le", mais il n'y est pas �tranger!�
Le proc�s Erignac a mis fin � une vieille distinction rh�torique entre nationalistes �l�gaux� et �clandestins�. �Personne n'�tait dupe, �videmment, mais la distinction �tait symboliquement importante, explique un �lu. C'est fini et c'est angoissant.� Aujourd'hui, les sophismes - �Eux c'est eux et nous c'est nous� - sont abandonn�s et Jean-Guy Talamoni revendique sa �solidarit� patriotique� avec les assassins du pr�fet, qu'il consid�re comme des �fr�res� dont le �sacrifice� annonce les �pages les plus radieuses de notre histoire�. Le verbiage ind�pendantiste nie le crime - l'hebdomadaire nationaliste U Ribombu consid�re Claude Erignac comme �d'abord et surtout victime de sa fonction�, similaire � celle d'un �officier allemand� - ou le revendique, tel Charles Pieri: �La Corse a toujours �t� elle-m�me lorsqu'elle fabriquait des Yvan Colonna.�

�Que les gens qui tiennent ces propos aient �t� l'objet d'�gards officiels n'aide pas une soci�t� qui a du mal � ma�triser une violence verbale et physique omnipr�sente�, estime un magistrat de Bastia. Dans tous les domaines, la Corse continue de se distinguer: 50% des conflits port�s devant les prud'hommes sont r�solus par la conciliation sur le continent, quasi aucun sur l'�le, et le taux tr�s �lev� d'accidents de la route n'a pas connu l'infl�chissement observ� dans le reste de la France. Le racket s'est banalis� et �corsis�: les cibles continentales s'�tant r�duites, c'est aux int�r�ts corses, m�me modestes, que s'en prennent aujourd'hui les racketteurs politiques et ceux qui les imitent. Ce qui est arriv� au boulanger d'Evisa, l'ann�e derni�re, a provoqu� un grand choc dans l'�le. Dans ce minuscule village d'une centaine d'habitants, � une heure et demie d'Ajaccio, un enfant du lieu, mari� � une continentale, avait repris la boulangerie. R�sistant au racket de deux jeunes du village - embuscade, voitures incendi�es - il a fini par fuir apr�s un tabassage et la mise � sac de son magasin. Cette routinisation du racket et la multiplication des r�glements de comptes explosifs ont pouss� le FLNC � publier un communiqu� d�non�ant les attentats �sans connotation politique�...
En mati�re de lutte contre la violence en Corse,
Le d�bat sur la violence organis�e � l'Assembl�e territoriale, le 25 septembre dernier, illustre autant l'impuissance que la prise de conscience des �lus face � la progression de ce �cancer de la Corse�, ainsi que le dit Nicolas Sarkozy. �Je demande de reconna�tre qu'au cours des derni�res ann�es nous n'avons pas suffisamment pris conscience de la banalisation de la violence et de ses effets pervers sur la vie quotidienne�, r�clamait son pr�sident, Jos� Rossi, qui, au terme de cette s�ance sans vote, a conclu, avec son ir�nisme habituel, au �dialogue renou�.

Alors que ce fut un face-�-face entre la justification de la violence par les leaders de Corsica Nazione, d�non�ant la �dictature� fran�aise, et le rejet des autres �lus, parmi lesquels fut remarqu� le discours de rupture de Marie-Jean Vinciguerra (UMP), longtemps proche de Jos� Rossi. Il �voqua Camus pour d�crire �l'espace du n'importe-quoi� qu'est devenue la Corse: �Nous vivons depuis trente ans un temps sp�cial, cauchemardesque, fait de peurs�, qui �emp�che de r�fl�chir� et a conduit � une �dialectique du sang� et � une �scandaleuse l�gitimation du meurtre. [...] Pendant ce temps, les �mes pourrissent�.

Une m�me catharsis a converti Paul Giacobbi, pr�sident du conseil g�n�ral de la Haute-Corse et principal alli� de Nicolas Sarkozy dans la campagne pour le oui, qui a publi� dans Corse-Matin une �Lettre ouverte � ceux qui d�truisent la Corse�, d�non�ant le �caract�re crapuleux des motivations� des �commanditaires� des poseurs de bombes, mus par des �app�tits de pouvoir et d'argent�, et qui �ne sont plus, et depuis longtemps, les chefs d�sint�ress�s d'une lutte romantique, mais les responsables d'une v�ritable d�rive dans laquelle les id�es politiques se sont perdues dans l'int�r�t comme les fleuves dans la mer�. Depuis, a pr�cis� Paul Giacobbi, �beaucoup de gens me disent qu'ils sont d'accord avec moi, mais qu'ils ont peur pour moi, presque qu'ils viendront � mon enterrement�.

Le �sens commun� s'est aussi perdu dans l'invocation d'un �devoir d'hospitalit� pour justifier l'aide apport�e � la fuite d'Yvan Colonna. Mais personne n'est dupe, comme l'a soulign� dans une tribune de Corse-Matin Jean-Fran�ois Profizi, directeur de cabinet du pr�sident du conseil g�n�ral de Corse-du-Sud: �Malgr� les m�les d�clarations faites ici ou l�, on ne trouvera gu�re de gens, dans l'�le, suffisamment inconscients pour h�berger dans leur propre foyer un inconnu surgi en pleine nuit d'on ne sait o�, sauf � y �tre contraints. Colonna le savait parfaitement. Aussi s'est-il bien gard� d'aller frapper � la premi�re porte rencontr�e. Il a pr�f�r�, avec raison, s'appuyer sur des amis s�rs. Cela ne s'appelle pas de l'hospitalit�, mais de la solidarit�.�

Ce qu'a reconnu U Ribombu, invoquant cette �solidarit� qui doit �naturellement b�n�ficier � tous ceux qui luttent�. Il s'agit donc moins de la revendication d'une coutume invent�e - c'est souvent sous la menace que les fameux �bandits corses� imposaient cette �hospitalit�, et beaucoup d'entre eux furent chass�s ou tu�s par les villageois - que du refus d'�une loi qui nous est de plus en plus �trang�re�, comme l'a soulign� Me Sollacaro, avocat des complices d'Yvan Colonna. Tout comme la famille du fugitif a remerci� publiquement ceux qui l'ont aid� pour leur refus de �subordonner la solidarit� � des consid�rations judiciaires�.

Un exemple extr�me illustre la conception nationaliste de l'hospitalit�, m�tin�e de x�nophobie antifran�aise. Maxime Nord�e, fonctionnaire et l'un des responsables de la CGT dans l'�le, est mari� depuis trente ans avec une Corse... et avec son village. Vice-pr�sident du Conseil �conomique et social de Corse, il s'occupe aussi b�n�volement d'une association d'enfants handicap�s et d'un club de sport. Malgr� tout cela, lorsqu'un commando d'Independenza est venu mettre � sac, en plein jour, les locaux de la DDE, en souillant tous les bureaux qui affichaient un patronyme �fran�ais�, le sien n'a pas �t� �pargn�, alors que le leader du commando connaissait Maxime Nord�e, auquel il confiait ses enfants pour faire du sport... �Il est de toute fa�on grotesque de voir invoqu�e l'hospitalit� par les m�mes qui constellent les murs "d'I Francesi fora!" [Les Fran�ais dehors! ] et "Arabi fora!" [Les Arabes dehors! ]�, ajoute-t-il aujourd'hui.

Alors que Corsica Nazione r�clame un �corps �lectoral corse� fond� principalement sur le droit du sang, l'un de ses �lus, Paul Quastana, r�clame le d�part de ces �Fran�ais� qui �n'ont pas la m�me cervelle que nous�. Resistenza, qui appartient au FLNC-Union des combattants, a revendiqu� des attentats visant des biens appartenant � des Maghr�bins, et les deux d�partements de Corse totalisent � eux seuls plus de la moiti� des actes racistes commis en France. Le travail clandestin, pratiqu� � grande �chelle, reste l'un des boulets de l'�conomie corse. �L'exploitation ill�gale, et au vu de tous, de cette population immigr�e est un juteux filon. Il est clair qu'il y a une volont� officielle de fermer les yeux, se plaint un magistrat. � c�t� de �a, le ministre de l'Int�rieur fait un aller et retour pour inaugurer la nouvelle plaque en m�moire du pr�fet Erignac. Il ne se rend pas compte de l'effet que produit ce symbole terrible d'un �tat r�duit � se prot�ger lui-m�me alors que les Corses sont livr�s � la loi de la jungle!�

Sentiment partag� par Vincent Carlotti, directeur de la Soci�t� informatique et t�l�matique corse, l'une des rares entreprises priv�es de l'�le, et cadre du Parti socialiste. �L'�tat se retire sur la pointe des pieds, pour ne pas d�ranger, et son action n'est plus perceptible pour les citoyens. Il est gravissime que Nicolas Sarkozy ait pu dire, apr�s son r�f�rendum perdu: "L'impunit�, c'est fini." C'�tait reconna�tre qu'il avait accept�, auparavant, qu'elle r�gne! Cela a des effets profonds car les Corses sont des Latins, ils craignent ceux qui d�tiennent le vrai pouvoir: les grands voyous et les ind�pendantistes.

L'�tat ne fait plus peur � personne et les gens ne le croient plus capable d'assurer leur protection.�
L'�tat donne m�me une impression de favoritisme. �Aberration p�dagogique, le Capes de corse est le seul de France � ne pas �tre bilingue, alors que les linguistes recommandaient de l'associer au latin ou � l'italien. Mais l'objectif �tait de cr�er des emplois pour des militants nationalistes!� explique un �lu territorial. Le Syndicat des travailleurs corses (STC), filiale nationaliste, b�n�ficie des m�mes faveurs. �L'�tat est aux petits soins pour eux, ils ont tout ce qu'ils veulent, alors que la CGT doit se battre, remarque Maxime Nord�e. Le 6 juin dernier, la manifestation de la CGT pour les retraites a �t� charg�e par les forces de l'ordre; il y a eu trois bless�s et un militant poursuivi pour r�bellion � agent. Quelques jours plus tard, apr�s l'arrestation d'Yvan Colonna, des nationalistes ont incendi� un v�hicule de police pr�s de la pr�fecture, mais il n'y a eu aucune poursuite!�

Le STC ne cesse de progresser et vient de d�passer la CGT en Corse-du-Sud lors des derni�res �lections prud'homales. �Parce que des salari�s sans rapport avec le nationalisme finissent par se dire qu'il est plus rentable d'�tre au STC que dans les syndicats nationaux! Rien n'est fait pour que les gens reprennent confiance, analyse Marie-Dominique Roustan-Lanfranchi. Alors qu'ils ont rejet� d�mocratiquement la r�forme institutionnelle, le Premier ministre la remet � l'ordre du jour et les ind�pendantistes applaudissent.�
(1) Les diff�rences par rapport � 100% correspondent au pourcentage des sans-opinion.
Depuis l'affaire de Luri et l'ouverture subite d'une enqu�te tr�s m�diatis�e sur Charles Pieri, beaucoup redoutent que, apr�s avoir voulu amadouer les ind�pendantistes, Nicolas Sarkozy ne joue la politique du pire en voulant les pousser � la grosse b�tise, l'attentat mortel. �Les jeunes voyous de Luri qui ont lanc� des cocktails Molotov sur la gendarmerie pouvaient �tre trait�s et condamn�s sur place; des incidents plus violents font flamber des commissariats de banlieue sans pareille d�monstration �tatique, estime un magistrat. Les transf�rer � Paris chez les juges antiterroristes relevait de la provocation.� Qui aurait pu mal tourner, comme l'a montr� ensuite l'assaut violent contre les gendarmes et leurs familles. Beaucoup de Corses restent t�tanis�s par cette sc�ne de Luri, avec, au premier plan, en agitateurs, deux revenants que l'on croyait �rang�s�, Edmond Simeoni et Jean-Pierre Susini, chef et homme de main du commando d'Al�ria, qui tua deux gendarmes en 1975.

Comme si, pr�s de trente ans plus tard, la boucle �tait boucl�e. �La diff�rence, c'est que tout ce qui �tait demand� en 1975 - le pouvoir et l'argent - a �t� accord�, admet un conseiller territorial. Qu'a-t-on fait de ce pouvoir? Depuis dix ans, nous ne nous sommes toujours pas mis d'accord sur un sch�ma directeur d'am�nagement; c'est un vieux document pr�fectoral qui reste en vigueur! Et ce n'est pas l'argent qui manque. Les cr�dits nationaux et europ�ens ne sont m�me pas consomm�s qu'arrive la manne du Programme exceptionnel d'investissements (PEI) accord� par Lionel Jospin.� 2 milliards d'euros sur quinze ans.
�Le probl�me, ce n'est pas l'argent, mais, d'une part, le fait que les �lus locaux ne sont pas capables de se mettre d'accord sur les projets et, d'autre part, que les attentats compliquent tout, confirme Jean Pagani, pr�sident de la F�d�ration des entreprises de BTP de Haute-Corse. Les assurances se retirent ou nous imposent des surprimes de 50%, avec des franchises importantes. Beaucoup d'entreprises h�sitent sur certains chantiers.� Ou s'entendent pour prendre des marges �normes. �De plus en plus d'appels d'offres des d�partements et de la r�gion doivent �tre d�clar�s infructueux, parce que les propositions d�passent parfois le double des prix, constate un fonctionnaire de la r�gion. Sans s�curit� juridique, une bonne partie de l'argent disponible risque d'arroser le sable.�
�Ici, c'est paradoxalement la CGT qui r�clame l'application des r�gles de concurrence de l'Europe lib�rale, ajoute Maxime Nord�e. Il y a de l'argent, mais il est mal utilis�, parce que le jeu normal de la concurrence est fauss�: les entreprises nationales ou europ�ennes h�sitent � venir � cause des attentats.� L'argent public alimente une ��conomie grise�, faite de racket plus ou moins officiel. Des soci�t�s de �gardiennage� fleurissent, qui proposent leur �protection� � tous les possesseurs de biens, dont certains constatent vite combien il est regrettable de l'avoir refus�e. Et une nouvelle coutume s'installe: pour travailler tranquillement, les entreprises continentales ont int�r�t � �s'associer� avec une petite entreprise locale. Il y a le choix: depuis l'annonce du PEI, beaucoup de militants nationalistes ou leurs proches en ont cr�� de nouvelles... Ce parasitisme conduit parfois � des contradictions �clairantes. L'entreprise nationale de BTP la plus implant�e dans l'�le, Colas, subit depuis plusieurs mois la pression d'attentats qui la d�sorganisent s�rieusement et pourraient la contraindre � s'en aller. Or elle fournit � plus de 100 familles corses des salaires et des conditions de travail bien meilleurs que la moyenne locale, et c'est le syndicat STC de l'entreprise qui a fini par protester contre les poseurs de bombes...
�Cela montre que nous ne souffrons pas d'un d�ficit de d�centralisation, mais d'un d�ficit d'ordre public, analyse Francis Pomponi, historien (Histoire de la Corse, PUF) et membre de l'ADCR. Loin d'avoir connu un exc�s de jacobinisme, l'�le n'avait pas achev� sa modernisation politique et la d�centralisation la fait revenir en arri�re, � l'archa�sme des r�gulations priv�es entre clans, avec pour seule nouveaut� la mont�e en puissance du clan nationaliste. La plupart des Corses entreprenants, qui refusent �a, sont sur le continent. Et il y a plein de hauts fonctionnaires corses qui refusent de venir travailler ici. Nous avons moins besoin d'argent que de v�rit�.�

Qui dit la v�rit� en Corse et qui veut l'entendre? �Ici, on pense tr�s fort mais on ne dit rien, puis �a sort tout d'un coup�, explique-t-on chez ces professionnels de l'�coute que sont les psychanalystes, qui, dans l'�le, se comptent sur les doigts d'une seule main. M�tier difficile: �Ceux qui veulent travailler le deuil de proches assassin�s sont dissuad�s par leur famille de venir nous voir. Et quand ils viennent, c'est parfois pour nous dire combien il est perturbant de croiser r�guli�rement sur la place du village l'assassin de celui qu'on a perdu: l'impunit� n'est pas th�rapeutique!� Les divans corses constatent aussi que �l'interdit est un mot que beaucoup de Corses n'ont pas assez entendu; la limite, souvent, ce n'est pas la r�gle, mais la crainte du plus fort�.

Alors, ici, les Cassandre aussi sont clandestines. Pierre Corsi, chroniqueur du Journal de la Corse, la plus vieille publication fran�aise, s'est fait une sp�cialit� d'�crire des v�rit�s. Mais lui-m�me n'existe pas. Pierre Corsi est le pseudonyme d'un journaliste connu, vieux Bastiais qui prend le masque parce que l'autocritique est une trahison: �Cessons de vouloir croire que ce qui nous arrive ne nous concerne pas. Nous exigeons l'ordre public et la justice, mais pratiquons l'omerta. Nous condamnons les incendiaires de for�ts, mais taisons leurs noms, que nous pourrions pourtant �peler de gauche � droite et de droite � gauche sans la moindre h�sitation.�

�Et le grand tabou, c'est le fric, ajoute Pierre Corsi. Il ruisselle ici. Dans le seul d�partement de la Haute-Corse - 135 000 habitants - sont immatricul�es 253 Porsche et 26 Ferrari. Le 4 X 4 Porsche Cayenne, � 70 briques, vient de sortir, et il y en a d�j� trois! La Corse est la r�gion qui compte le plus grand nombre de voitures par habitant. Les Corses sont des enfants g�t�s qui se croient malheureux. � force d'entendre parler de mis�re et de retard, beaucoup y croient sinc�rement, alors que c'est le contraire. O�, en Europe, trouve-t-on six ports de commerce et quatre a�roports, dont deux internationaux, pour 250 000 habitants? poursuit Pierre Corsi.

L'�tat et les �lus locaux sont complices de ce discours mis�rabiliste. Le premier parce que, � l'�chelle nationale, les sommes d�vers�es sur la Corse ne p�sent pas lourd; les seconds parce que cela leur permet de continuer � les recevoir!� Quels que soient les secteurs - �quipement, agriculture, social, �ducation - les fonctionnaires de passage dans l'�le constatent ce qu'ils ne se hasarderont jamais � dire publiquement: la Corse est g�t�e. �Je n'ai jamais eu autant de moyens, en locaux, personnels et �quipements, qu'ici�, explique un principal de coll�ge de Corse-du-Sud en fin de carri�re.

C'est d'ailleurs une crainte que beaucoup ressentent: qu'il y ait d�j�, dans l'�le, trop de b�n�ficiaires du d�sordre, comme l'a dit avec m�pris mais justesse, � ses coll�gues de l'Assembl�e de Corse, le nationaliste Paul Quastana, en justifiant la violence du FLNC: �C'est la pr�sence des combattants qui a permis que l'on parle de vous, sinon vous seriez des notables de sous-pr�fecture!� Marie-Jean Vinciguerra partage cette inqui�tude: �Il y a une expression corse - picci-imbrogli [tout le monde s'y retrouve] - qui traduit cela: tout le monde hausse le ton, tout le monde re�oit quelque chose, de l'argent, de l'importance ou de l'impunit�. Le moteur de l'impuissance corse, c'est la plainte. Et cela marche. Je propose, d'ailleurs, qu'avec l'argent du PEI on commence par construire dans chaque ville un mur des lamentations!�

�Plus la violence ruine l'�conomie locale, plus l'�tat dispense de cadeaux�, estime le chercheur au CNRS Pierre Tafani, qui conclut, au terme d'une p�n�trante analyse du rapport entre Paris et la soci�t� corse (Les Client�les politiques en France, �ditions du Rocher): �Le bilan de l'�tat est inqui�tant.� Un magistrat bastiais, qui observe avec incr�dulit� le fonctionnement de cet �tat depuis quelques ann�es, confirme le diagnostic et propose un rem�de radical: �Il faut que Paris, le gouvernement, le ministre de l'Int�rieur, la DNAT cessent de s'occuper en direct de la Corse. Ils n'ont su que donner de l'importance � des marginaux, des tra�ne-savates. Que l'�tat travaille ici comme ailleurs, ni plus ni moins, mais dans la dur�e, c'est ce que demande la majorit� des Corses.� Supplique qui rejoint celle de Vincent Carlotti, qui essaie de ressusciter le PS dans l'�le: �Que Paris nous fiche la paix! Le meilleur service que l'�tat puisse rendre � la Corse, c'est de faire vraiment son boulot, avec les m�mes r�gles qu'ailleurs. Nous pourrons alors, entre nous, passer � l'essentiel: nous regarder dans les yeux.�

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