Justice � deux vitesses en Corse
Oct 20, 2003

63 t�moins qui accusent un homme. 30 ans de prison dont 20 de s�ret� pour un assassinat. C�est bien la m�me cour d�Assises qui avait acquitt� les fils de Charles Pieri qui a fait preuve d�un tel paradoxe. Explications.

Au terme de deux heures trente de d�lib�rations, le jury des assises de la Haute-Corse a confirm�, en appel, la peine prononc�e en premi�re instance � Ajaccio : trente ans de r�clusion dont vingt de s�ret�. Un verdict digne d�un assassin en s�rie particuli�rement odieux. Que s�est pass� depuis le verdict de cette m�me cour d�Assises qui acquittaient les deux fils de Pieri accus� d�avoir assassin� Christophe Garelli ?

Mieux l�accusation a b�n�fici� de 63 habitants du village de Monaccia d�Aull�ne qui ont d�fil� pour d�signer l�assassin. Ils ont aid� les gendarmes dans l�enqu�te. Mais voil� un proc�s mod�le qui aurait d� �tre film� par la t�l�vision nationale pour d�montrer qu�en Corse on peut parler devant les juges et m�me beaucoup parler.

L�enqu�te avait mobilis� 71 gendarmes. On avait pi�g� les itin�raires de fuite, vid� un lavoir et une station d��puration, fouill� les maisons, confront� les t�moignages. Pourtant, on n'a jamais trouv� la pi�ce essentielle, le fusil automatique qui a abattu Michel Lovichi et son fils, � Monaccia d'Aull�ne, le 11 octobre 1999.

Le principal suspect avait tr�s vite �t� arr�t� mais avait ni� malgr� il faut l�avouer certaines �vidences. Pourtant, il a affirm� depuis le d�but �tre �tranger � l�assassinat d�un p�re et de son fils dans ce petit village de l�extr�me-sud o� avait �t� abattu en 2001 Fran�ois Santoni.

Pour l�avocat g�n�ral Pierre-Yves Radiguet, qui s�enflamme le diable au corps, le motif de ce double meurtre est � La jalousie exacerb�e, l'orgueil bless�, le d�sir de vengeance � qui ont arm� le bras le St�phane Naseddu. Dans le box, l�accus�, visage triangulaire termin� par un bouc n�exprime rien.

� La peine d'un homme, c'est long � gu�rir �, poursuit le magistrat faisant allusion � une peine de c�ur v�cu par l�accus� et c'est, semble-t-il, dans la recherche d�sesp�r�e d'un apaisement quel qu'il soit, que l'avocat g�n�ral inscrit le double assassinat du bar � Le r�tro �. Nadeddu avait la r�putation d��tre un jeune homme violent, souvent pris de boisson et qui s��tait querell� peu de temps avant le drame avec les deux Lovichi.

Pierre-Yves Radiguet d�crit un jeune homme � l'origine � gentil et serviable bien qu'assez impulsif � � partir d'une rupture sentimentale. � Une cassure totale qui l'entra�ne dans une spirale de violence incompr�hensible, qui le conduit � ob�ir � une autre logique faite de mensonges et de dissimulations �. Parfois, on se secoue, un rien effray� par la banalit� et les clich�s agit�s par cet honorable magistrat.

� Vous devez maintenir une disposition de s�v�rit� dans la sanction � lance-t-il aux jur�s et il requiert la confirmation de la peine de trente ans de r�clusion criminelle dont 20 ans de p�riode de s�ret�, prononc�e en premi�re instance par la cour d'assises de la Corse du Sud.

Naseddu n�a pas de chances et pas d�amis. Seul son p�re est l� dans la salle. Il a des avocats commis d�office qui plaident une cause d�sesp�r�e. Me Marie-Mathilde Pietri met en �vidence le vide d'un dossier � sans preuve, sans �l�ment mat�riel, sans mobile, sans arme et sans aveu �, rappelant qu'une � justice implacable doit �tre infaillible� L'accusation a c�d� � la volont� populaire qui r�clamait un coupable.�. L�avocate pointe du doigt et accuse alors la rumeur qui n'�pargne m�me pas les victimes �.

� En Corse, c'est bien connu, chacun se tait. Dans cette affaire pourtant tout le monde parle, m�me ceux qui n'ont rien � dire et surtout ceux-l� �. Elle d�nonce l�'erreur judiciaire qui � n'est pas du tout la r�ponse � la douleur de la famille �. Propos repris par son coll�gue Me Jacques Merme qui affirme, contre toute �vidence que � c'est la rumeur qui a men� l'enqu�te � Monaccia, pas les gendarmes �.

� Le doute doit profiter � l'accus� � conclut-il

Apr�s deux heures trente de d�lib�rations, le jury confirme la peine prononc�e en premi�re instance. Que s�est-il donc pass� pour que 63 habitants de Monaccia d�Aull�ne osent ainsi t�moigner alors que pour le proc�s de Sbraggia et de Pieri, la plupart des t�moins s��taient r�tract�s. 30 ans fermes assortis de vingt ans incompressibles c�est la peine inflig�e � un Al�gre. La Corse serait-elle devenue morale au point de condamner l�un de ses fils avec autant de s�v�rit� ?

H�las, mille fois h�las. Ce jeune homme, vraisemblablement coupable d�ailleurs, mais qui n�a pas b�n�fici� du moindre doute, au contraire d�un Sbraggia ou d�un Pieri, s�appelle Naseddu. Pour les pinzuti cela ne signifie rien. Pour un Corse, cela sonne sarde. M�me mieux cela sonne comme un nom de la Gallura.

Dans tout le sud de la Corse, les Sardes ont longtemps �t� les � Arabes � de la Corse. � O sard� � �tait une injure lanc� � ces pauvres gens. Le p�re de Naseddu se d�fend d�ailleurs d�appartenir � cette � razza �. Il affirme qu�il est d�origine sicilienne, donnant ainsi l�impression d�avoir lui aussi int�gr� cette dimension raciste.

� Quellu chi ha amicizia � parentia torce u nasu di a ghjustizia � dit-on chez nous. Celui qui a amiti� et parent� tord le nez de la justice � dit-on chez nous.

Naseddu quels que soient les d�fauts du personnage, n�avait ni parent� ni justice. Il avait donn� l�impression d��tre int�gr�. Il n��tait que � tol�r� � pour reprendre l�expression de ce d�sormais personnage de l�gende, Jean-Pierre Susini.

Trente ans de prison assortis de vingt ans de s�ret�. Il se disait � la sortie du proc�s qu�on craignait que le condamn� ne revienne r�gler ses comptes � sa sortie de prison. Ce qui est exact c�est qu�un jury vraisemblablement compos� de Corses aux origines diverses, n�a pas craint de prononcer une condamnation � la mort lente, parce que Naseddu venait d�ailleurs. Naseddu m�ritait d��tre condamn�. Mais entre l�acquittement des uns et le coup de hache inflig� � l�autre, il y a une marge tellement immense qu�elle donne le tournis.

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