Rapport AZF
L'explosion d'AZF peut-�tre due � un trafic de chlore

Un trafic de chlore organis� par certains salari�s pourrait �tre � l'origine de l'explosion de l'usine toulousaine d'AZF, selon les informations diffus�es par La D�p�che du Midi dans son �dition du 18 d�cembre 2002. Selon le quotidien r�gional, cette hypoth�se "constitue d�sormais le principal fil conducteur des investigations conduites par le SRPJ de Toulouse". D'apr�s le journal, les enqu�teurs se baseraient sur les d�clarations de plusieurs salari�s d'AZF, qui auraient reconnu au cours de leur garde � vue, "qu'un trafic de chlore perdurait depuis plusieurs mois au sein de l'entreprise lorsque l'explosion s'est produite". L'enqu�te, poursuit La D�p�che du Midi, "�tablit que ce chlore �tait puis� sur les stocks qui transitaient par l'usine, puis cach� en attendant d'�tre ensuite revendu par certains employ�s au prix de 50 francs le kilo � des propri�taires de piscine priv�es qui l'utilisaient pour d�sinfecter l'eau". Finalement, conclut le journal, "l'ouvrier de la soci�t� d'int�rim Surca, qui a reconnu avoir d�vers� un sac de 500 kg non �tiquet� sur les 300 tonnes d'ammonitrate entrepos�s dans le hangar 221, un quart d'heure avant l'explosion, pourrait, sans le savoir, �tre tomb� sur un de ces sacs discr�tement plac� � l'abri des regards".

Selon une source proche de l'enqu�te cit�e par le quotidien, "ce qui est incompr�hensible, c'est que ce sac se soit justement trouv� � cet endroit o� th�oriquement personne ne va". Cette hypoth�se, qui pourrait expliquer comment le chlore et l'ammonitrate sont accidentellement entr�s en contact, provoquant l'explosion, n'a toutefois pas �t� confirm�e lors de la reconstitution qui s'est tenue sur le site le 11 octobre, rappelle La D�p�che.

Usine AZF : le rapport int�gral qui d�range

Le 21 septembre 2001, l'explosion de l'usine chimique AZF � Toulouse faisait 30 morts et 2447 bless�s. Le manque de rigueur de la direction de l'usine AZF en mati�re de s�curit�, au coeur de l'enqu�te judiciaire, est mis en cause dans le rapport du bureau d'�tudes Cidecos-Conseil, mandat� par le comit� d'hygi�ne et de s�curit� de l'usine AZF. Les conclusions de ce bureau d'�tudes n'ont pas �t� reprises dans le rapport d'�tape du CHSCT, rendu public au d�but du mois, tr�s discret sur les conditions de s�curit� dans l'usine d�truite par l'explosion du 21 septembre 2001. "L'investigateur" vous donne la possibilit� de lire l'int�gralit� de ce rapport escamot�, parce que trop "explosif".

CONTRIBUTION A L�ANALYSE DE L'EXPLOSION DU 21 SEPTEMBRE 2001 A AZF TOULOUSE

Le 28 septembre 2001, CIDECOS-CONSEIL a �t� d�sign� par le CHSCT de GRANDE PAROISSE Toulouse pour une mission d'assistance � la commission d'enqu�te qu'il a constitu�. Le but de cette enqu�te �tait de "permettre au CHSCT de disposer de sa propre analyse de l�accident et d��laborer, en fonction de cette analyse, des propositions susceptibles de garantir � l�avenir une s�curit� maximale sur le site". Selon les termes de notre lettre de mission du 8 octobre 2001, cette assistance �tait ainsi d�finie :

participer aux travaux et aux r�unions de la commission,

lui fournir un appui m�thodologique,

l�accompagner dans ses investigations (conduite d�entretiens � tous les niveaux avec le personnel et l�encadrement, analyse de documents�),

l�aider dans la formalisation finale des constats, des analyses, des conclusions et des propositions (r�daction d�un rapport).

Conform�ment � ce cahier des charges, notre cabinet a particip� aux investigations et aux r�union de la commission d�enqu�te pendant 3 mois (octobre � d�cembre 2001).

Le pr�sent document repr�sente la contribution que CIDECOS-CONSEIL est en mesure d�apporter � l�analyse de l�explosion du 21 septembre 2001 sur la base de sa participation au travail de la commission. Une premi�re version de ce texte avait �t� remise au CHSCT en juillet dernier.

1. Pr�ambule

Face � une catastrophe industrielle de ce type et aux difficult�s qui sont imm�diatement apparues pour en d�terminer les causes, le CHSCT a un r�le sp�cifique. Il n'a ni les comp�tences, ni les moyens d'une enqu�te judiciaire ou d'une expertise scientifique et technique. Son r�le, qui d�coule de ces pr�rogatives, est de chercher � identifier les diff�rents facteurs internes qui ont contribu� � l'accident, � interroger sur cette base la mani�re dont le risque a �t� g�r� dans l'entreprise et � avancer des propositions les plus � m�me de le r�duire. Il est particuli�rement bien plac� pour le faire car ses membres, en tant que repr�sentants des salari�s et salari�s eux-m�mes, repr�sentent un potentiel de connaissance et d�exp�rience des situations de travail incrimin�es dont aucune autre structure d�enqu�te ne dispose.

Dans le cas d'AZF, si les causes directes de l'accident restent encore hypoth�tiques et si par cons�quent des conclusions d�finitives ne peuvent pas encore �tre tir�es, les informations recueillies au cours des investigations conduites par la commission d'enqu�te du CHSCT font appara�tre en tout �tat de cause que les risques li�s au stockage du nitrate d'ammonium ont �t� pour le moins sous-estim�s et que cette sous-estimation s'est traduite par une absence de rigueur dans la gestion du stockage o� l'explosion s'est produite.

De ce point de vue, un certain nombre d'�l�ments sont aujourd'hui �tablis avec certitude.

2. Principaux �l�ments ressortant de l'enqu�te

Le b�timent 221/222 o� s'est produit l'explosion servait � entreposer en vrac diff�rentes qualit�s de nitrate d'ammonium impropre � la commercialisation. Ce nitrate d�class� provenait des diff�rentes unit�s de production du site et �tait ensuite exp�di� dans d'autres soci�t�s du groupe pour y �tre retrait�.

Les transferts de produits entr�e/sortie dans le b�timent 221/222 ainsi que son exploitation �taient assur�s par 3 entreprises sous-traitantes sous la supervision du service exp�ditions de l'usine.

Le b�timent, implant� dans la partie Nord de l'usine, mesurait 100 m�tres de long sur 20 m�tres de large. L'acc�s au b�timent se faisait par un sas s�par� de la zone de stockage par un mur de 1 m�tre de haut.

Ce b�timent comme l'ensemble des installations du site avait re�u une autorisation d'exploitation par arr�t� pr�fectoral en date du 18 octobre 2000. La quantit� maximale autoris�e �tait de 500 tonnes de produit.

21. Le suivi et le contr�le du stockage �tait approximatif

Les quantit�s de nitrate d'ammonium stock�es dans le b�timent 221/222 n'�taient pas connues avec pr�cision. Si les sorties (exp�ditions) �taient normalement comptabilis�es, il n'en �tait pas de m�me pour les entr�es. Le service responsable du stockage n'a pu fournir � la commission d'enqu�te aucun relev� �crit concernant les entr�es et l'�volution du stock dans le b�timent. Les quantit�s stock�es �taient �valu�es de mani�re approximative � partir des exp�ditions, des donn�es sur la marche des unit�s de production et d'une estimation visuelle du volume du "tas" se trouvant dans le b�timent. Il a ainsi �t� impossible de reconstituer pr�cis�ment l'historique du stockage et de conna�tre son �tat exact au jour de l'explosion. Les diff�rentes estimations r�alis�es s'accordent cependant � consid�rer que le b�timent contenait entre 300 et 400 tonnes de produit au moment de l'explosion, soit une quantit� inf�rieure � la quantit� maximale autoris�e.

22. L'organisation du stockage �tait insuffisamment rigoureuse

Quelle que soit la quantit� entrepos�e, le nitrate d'ammonium constituait un tas unique. Alors que d�s 1966, l'INRS pr�conisait de r�partir ces stockages en amas de 50 tonnes distants de 2 m�tres au minimum les uns des autres (cf : Vallaud et Damel, L'hygi�ne et la s�curit� dans la grande industrie chimique min�rale, INRS, p. 164).

La proc�dure d'exploitation du stockage pr�conisait des modalit�s d'entr�e et de sortie de produits selon lesquelles les derni�res quantit�s entr�es �taient les premi�res � sortir (LIFO). D'o� un temps de s�jour beaucoup plus long et, par cons�quent, des risques d'alt�ration plus importants des quantit�s stock�es vers le fond (Ouest) du b�timent.

23. Les conditions mat�rielles de stockage �taient d�ficientes

En premier lieu, le tas de nitrate d'ammonium reposait sur une dalle en b�ton en tr�s mauvais �tat. Cette dalle n'avait jamais �t� refaite depuis sa construction (le b�timent date du d�but du si�cle dernier, mais la dalle aurait �t� construite dans les ann�es 40). La partie de la dalle situ�e � l'entr�e de la zone de stockage �tait particuli�rement d�grad�e, la couche de b�ton y avait pratiquement disparu sous l'effet de la corrosion et de l'action des engins de manutention, le ferraillage du b�ton y �tait apparent et les op�rateurs devaient parfois "taper dessus" avec le godet des engins pour les aplatir, ils retrouvaient parfois de la terre et des graviers � l'int�rieur de ces godets.

En second lieu, le b�timent, constamment ouvert et expos� au vent d'autan, connaissait fr�quemment des conditions d'humidit� importante. A certains moments, le sol se trouvait ainsi rempli de flaques d'eau et recouvert par endroits d'une "boue" de nitrate de couleur marron fonc�.

En troisi�me lieu, une couche r�siduelle de produit s'�tait form�e au fil du temps sous le tas et constituait en permanence une sorte de rev�tement suppl�mentaire sur une partie du sol du b�timent. Cette couche de "vieux" nitrate �tait alternativement s�che et durcie ou ramollie et satur�e d'humidit�, venant � ce moment l� combler les trous du sol.

L'ensemble de ces �l�ments constituait � l'�vidence un "milieu" d�favorable � un stockage du produit en s�curit� : risque d'apparition de ph�nom�nes de d�composition de "vieux" nitrate en pr�sence de rouille, d'humidit�, de divers r�actifs se trouvant dans le sol (soufre, etc..) et �ventuellement de polluants provenant des engins de manutention (graisse, huile) ou organiques, dans des zones de micro-confinement.

24. Le b�timent pr�sentait certaines non conformit�s au regard de l'arr�t� pr�fectoral

Le b�timent 221/222 ne comportait aucun dispositif de d�tection et d'alarme incendie (pas de capteurs d�incendie, ni de d�tecteurs de NOX), alors que les d�p�ts de nitrate d'ammonium �taient class�s comme zones de risque incendie par l'arr�t� pr�fectoral et que celui-ci stipulait que les locaux se trouvant dans ces zones devaient �tre �quip�s de tels dispositifs (ce qui �tait le cas des stockages de nitrates d�ammonium commercialisables).

Il comportait en outre un �quipement �lectrique inadapt� � un local pr�sentant des risques d'explosion : �clairage par n�ons non anti-d�flagrants (plac�s sur la cloison s�parant le b�timent 221/222 et le b�timent 223).

D'une mani�re g�n�rale, le stockage du b�timent 221/222 n'avait pas fait l'objet d"une v�ritable analyse des risques. L'�tude de dangers du secteur Nitrates qui devait �tre remise � l'autorit� pr�fectorale avant la fin 2001 n'�tait pas achev�e. Une analyse des risques avait �t� r�cemment r�alis�e pour l'ensemble de ce secteur, mais celle-ci ne prenait pas en compte le danger d'explosion dans le b�timent 221/222 et ne pr�voyait d�s lors aucune action pr�ventive ou pr�caution particuli�re � cet �gard.

25. Un lot d'ammonitrate ayant fait l�objet d�un "test" non concluant a �t� transf�r� dans le b�timent la veille du jour de l'explosion

Il s'agit d'une quantit� de 15 � 20 tonnes d'ammonitrate de qualit� habituelle, mais comportant un nouvel enrobant, le Fluidiram 930, qui faisait l'objet d�un test en vue de son homologation. Ce lot avait �t� stock� en vrac pendant 5 mois environ dans un autre b�timent (I 7 bis) du secteur nitrates de mani�re � tester son �volution dans le temps. Le test s'�tant av�r� insatisfaisant, le produit a �t� d�clar� non-commercialisable et il a �t� d�cid� de le transf�rer dans le b�timent 221/222 le jeudi 20 septembre dans l�apr�s-midi.

Cette op�ration, qui n'�tait pas une op�ration courante, est � interroger dans la mesure o� le Fluidiram 930 est un enrobant essentiellement compos� d'hydrocarbures (80%) et que les hydrocarbures ont la propri�t� de rendre le nitrate d'ammonium beaucoup plus sensible en terme d'explosivit� (cf : M�dard, Les explosifs occasionnels, 24.3.1). Cet apport de Fluidiram 930 a pu jouer un r�le dans l'explosion.

26. Le contenu d'une benne provenant d'un autre secteur de l'usine a �t� d�vers� dans le sas du b�timent 221/222 peu de temps avant l'explosion

Cette op�ration a �t� effectu�e par un salari� d'une des entreprises sous-traitantes pr�c�demment mentionn�es. Selon ce salari�, cette benne de couleur blanche contenait du nitrate d'ammonium (environ 500 kg) r�cup�r� par lui dans un GRVS (big bag) perc� qui se trouvait dans une benne de couleur bleue stationn�e dans le b�timent 335 (dit "demi-grand"), situ� au centre de l'usine. Le transfert du contenu du GRVS aurait eu lieu le 18 septembre. Puis, la benne blanche aurait �t� laiss�e en attente dans le b�timent 335 jusqu'au 21 septembre. Ce jour-l�, le salari� de l'entreprise aurait demand� l'autorisation d'amener le contenu de la dite benne dans le b�timent 221/222 au chef d�atelier du service exp�ditions. Cette autorisation lui ayant �t� accord�e, il d�verse le contenu de la benne dans le sas du b�timent entre 9h 30 et 10 heures, soit entre � d'heure et � d'heure avant l'explosion.

L'hypoth�se des experts judiciaires est que la benne blanche aurait en fait contenu des produits chlor�s qui, en entrant en contact avec du nitrate d'ammonium, auraient entra�n� une r�action explosive (la possibilit� d'une telle r�action est scientifiquement av�r�e et personne ne le conteste dans son principe). Cette hypoth�se se fonde sur le fait qu'un GRVS de produit chlor� (DCCNA), crev�, vide et non lav� a �t� retrouv� dans le b�timent 335 alors qu'il n'aurait jamais du s'y trouver selon les proc�dures en vigueur sur le site.

Cette hypoth�se n'est pas d�montr�e, elle est r�cus�e aussi bien par la direction de l'entreprise que par le salari� concern�, mais elle est n�anmoins l�gitime et cr�dible d�s lors que ce fait (la d�couverte d'un GRVS de DCCNA vide) est �tabli et reconnu par l'entreprise, que la benne blanche a effectivement stationn� pendant plusieurs jours sans surveillance dans le b�timent 335 avant d'�tre transf�r�e au 221/222, que ce transfert a pr�c�d� l'explosion de quelques minutes seulement et que la pr�sence d'un GRVS de nitrate d'ammonium constituerait elle m�me une anomalie, par ailleurs non expliqu�e, au regard des proc�dures en vigueur. Elle est en outre confort�e par le fait qu'on a �galement retrouv� � proximit� du b�timent 335 un GRVS contenant de l'acide cyanurique qui n'aurait pas non plus d� s'y trouver. Quoi qu�il en soit, la pr�sence anormale et inexpliqu�e de ces diff�rents sacs (vides ou pleins) dans ce secteur sont r�v�latrices d'un d�faut de ma�trise quand � la circulation des produits et des d�chets sur le site et ne peuvent que nourrir l'hypoth�se d'une pollution accidentelle du nitrate d'ammonium stock� au b�timent 221/222 par un produit incompatible fabriqu� sur le site.

27. L'explosion n'a �t� pr�c�d�e d�aucun signe avant-coureur

Aucun t�moin, salari� d'AZF ou d'entreprise sous-traitante, n'a remarqu� de signes avant-coureurs d'une d�composition ou d'une r�action chimique � l'�uvre, que ce soit dans le sas ou � l'int�rieur du b�timent. Aucun signe tel que fum�e, chaleur, ou odeur particuli�re n'a �t� d�cel� par quiconque. La derni�re personne ayant p�n�tr� dans le b�timent 221/222 est un salari� de l'entreprise sous-traitante charg�e de l'exploitation, il a pouss� le contenu du sas � l'int�rieur du b�timent avec son engin de manutention � 6h 15 et n'a rien remarqu� d'anormal. Un employ� d'AZF travaillant dans le b�timent adjacent (sacherie) est quant � lui pass� devant l'entr�e du 221/222 ainsi que devant le muret s�parant le sas de l'aire de stockage 5 minutes avant l'explosion et n'a rien remarqu� non plus.

Il semble donc que l'explosion ait �t� le r�sultat d'un processus brutal et rapide, plut�t que d'une lente d�composition/r�action.

3. Remarques compl�mentaires sur les hypoth�ses

Depuis le d�but des enqu�tes, plusieurs hypoth�ses ont �t� envisag�es, les hypoth�ses privil�gi�es sont diff�rentes selon les acteurs, mais aucune d'entre elles ne s'est encore impos�e de mani�re indiscutable.

31. Certaines hypoth�ses sont devenues caduques

La premi�re cat�gorie d'hypoth�ses d�sormais caduques est celle des hypoth�ses relevant de causes externes non-intentionnelles (foudre, chute de m�t�orite, chute de pi�ces d'a�ronefs) qui apr�s v�rification se sont toutes av�r�es infond�es et que personne aujourd'hui ne soutient.

La deuxi�me cat�gorie est celle des hypoth�ses relevant de causes externes intentionnelles (attentat, malveillance) qui ont �t� largement relay�es par le bouche � oreille dans le contexte de l'apr�s 11 septembre, mais � l'appui desquelles aucun indice autre qu'anecdotique n'a jamais pu �tre fourni. Ces hypoth�ses ne peuvent �tre �cart�es de fa�on formelle et sont techniquement envisageables, mais elles r�sistent difficilement � un examen logique tant dans le cas de l'attentat "politique" (absence de revendication, cible non �vidente, sens et objectif de l'action incompr�hensible�) que dans celui de l'acte de malveillance (d�c�s des suspects, risques encourus, disproportion de l'action avec les probl�mes cens�s en �tre � l'origine, destination de l'action�). D'autant qu'elles ne s'appuient sur aucun fait tangible.

La troisi�me cat�gorie est celle des hypoth�ses ayant pour origine un incident de process, en particulier l'hypoth�se selon laquelle l'explosion aurait �t� provoqu�e par une pi�ce m�tallique projet�e � tr�s grande vitesse par une explosion primaire qui se serait produite � l'int�rieur d'un filtre au sommet d'une tour voisine (N1C). L'aspect du filtre (�clatement vers ext�rieur) retrouv� � proximit� du lieu de l'explosion allait dans le sens de cette hypoth�se, mais l'examen des param�tres de fabrication au moment de l'explosion a montr� clairement qu'il n'y avait pas eu d'incident process et la plupart des experts ont estim� qu'en aucun cas l'�nergie cin�tique d�velopp�e par le mouvement d'un d�bris du filtre n'aurait pu �tre suffisante pour provoquer l'explosion du tas de nitrate du 221/222.

Il faut cependant souligner ici que l'examen des param�tres de fabrication a fait appara�tre un d�faut de r�gulation de temp�rature tr�s significatif et potentiellement susceptible d'entra�ner un incident grave en t�te de la tour.

32. Aucune des hypoth�ses qui demeurent n'exon�re l'employeur de sa responsabilit� dans l'explosion du b�timent

Deux hypoth�ses principales sont aujourd'hui soutenues. Celle de la pollution du stockage par des produits chlor�s que nous avons �voqu�e plus haut. Et celle d'un arc �lectrique cons�cutif � un incident qui se serait produit sur un poste �lectrique. Cette derni�re hypoth�se est actuellement privil�gi�e par la commission d'enqu�te interne de l'entreprise.

La piste "chlore", comme nous l'avons d�j� dit, a sa l�gitimit� et sa cr�dibilit�. Elle engage �videmment directement la responsabilit� de l'employeur. Il faut cependant noter que cette hypoth�se se heurte n�anmoins aux d�n�gations maintenues du salari� de l'entreprise sous-traitante qui aurait effectu� l'op�ration. D�n�gations qu'on ne peut balayer d'un revers de main dans la mesure o� ce salari� travaillait sur le site depuis sept ans et o� il est difficile de penser qu'il ait pu confondre un produit chlor� avec du nitrate d'ammonium � l'occasion d'une manipulation (l'odeur du chlore est forte et caract�ristique). Une sous-hypoth�se pourrait �tre qu'un produit chlor� a �t� transvas� dans la benne blanche par quelqu'un d'autre pendant les trois jours o� elle est rest�e au b�timent 335, mais le salari� de l'entreprise affirme �galement avoir p�n�tr� dans la benne et cass� la "cro�te" du produit avec une pelle avant de le verser dans le sas. Par ailleurs, la direction de l'entreprise affirme qu'elle est en mesure de d�montrer que le contenu du GRVS de DCCNA n'aurait pas �t� "�gar�", mais transvas� dans un GRVS neuf et exp�di� en client�le. Cette d�monstration affaiblirait �videmment l'hypoth�se, mais le moins qu�on puisse dire c�est qu�elle est difficile � faire. D�autant qu�il faudrait en outre �tre capable d�expliquer comment un GRVS contenant 500 kg de nitrate d�ammonium aurait pu arriver dans le b�timent 335, ce qui jusqu�� aujourd�hui n�a pas �t� fait. Si, en effet, un GVRS de nitrate d�ammonium a pu transiter de mani�re inexplicable vers le b�timent 335, pourquoi ne pourrait-il en �tre de m�me pour un GRVS contenant du DCCNA ?

La piste "arc �lectrique" se fonde sur des t�moignages selon lesquels des perturbations affectant des �quipements �lectriques se seraient produites ant�rieurement � l'explosion sur un axe reliant le poste �lectrique (Lafourguette) alimentant l'usine (63 000 volts) � un transformateur de la SNPE et passant sous le b�timent 221/222, axe autour duquel on aurait �galement constat� des variations inexpliqu�es de champ magn�tique. Cette hypoth�se a trouv� certains d�fenseurs dans les milieux scientifiques pour lesquels le sol de l'usine, s�dimentaire, humide et comportant une importante quantit� de particules m�talliques, constituerait un terrain favorable � la propagation d'un arc �lectrique ayant entra�n� une mise sous tension du b�timent. Notons que cette hypoth�se est en revanche totalement rejet�e par la SNPE pour qui les d�g�ts �lectriques constat�s sont cons�cutifs � l'explosion.

Il n'est pas de notre comp�tence de discuter du bien-fond� de cette derni�re hypoth�se, mais il nous semble important de souligner qu'en tout �tat de cause celle-ci n'exon�re pas la direction de sa responsabilit� vis � vis de l'explosion. La propagation �ventuelle d'un arc �lectrique jusqu�au tas de nitrate d�ammonium pose en effet la question de l��tat et de l��tanch�it� du b�timent 221/222 (conduction du courant par fers � b�ton dans un milieu humide). De m�me que la r�action explosive et sa puissance posent la question de la composition, de l'historique et de la disposition du produit dans le dit b�timent. Sur ces deux points, si l'hypoth�se "�lectrique" �tait un jour confirm�e, la responsabilit� de l'employeur resterait engag�e, sur la base des �l�ments que nous avons pr�sent�s dans le point 2 (22, 23 et 25 notamment).

4. La sous-traitance au centre des enjeux

Dans tous les cas de figure, la sous-traitance appara�t comme un facteur d�terminant de cet �v�nement. D'une part, parce que les principaux protagonistes sont des salari�s d'entreprises sous-traitantes. D'autre part, parce que cet �v�nement illustre � grande �chelle les probl�mes engendr�s par la relation de sous-traitance dans l�activit� d�un site industriel tel que celui d�AZF o� 25 entreprises sous-traitantes intervenaient de mani�re permanente.

On a coutume de mettre en cause le niveau de comp�tence et de professionnalisme des sous-traitants. Tel ne sera pas ici notre propos car, dans ce qui s'est pass�, rien ne nous autorise � le faire. Mais on peut en revanche faire plusieurs constats quant aux effets du rapport social de sous-traitance sur la ma�trise de la s�curit� sur le site.

Le premier constat que l'on peut faire est que la sous-traitance de l'exploitation du stockage de nitrate d'ammonium a eu pour cons�quence un d�sengagement de l'employeur vis � vis de sa responsabilit� de gestion du stockage, en particulier au niveau de l'entretien du b�timent. Il est important de souligner ici que, ce faisant, l�employeur s�est �galement d�sengag� de la connaissance de " ce qui se passait " dans le b�timent. Tout au long de notre intervention, nous nous avons en effet �t� frapp�s par la m�connaissance de la r�alit� des conditions de stockage existante � tous les niveaux de l�entreprise donneuse d�ordre. Un seul exemple : le fait (en l�occurrence tout � fait important) que le b�timent comportait un �quipement �lectrique n��tait apparemment connu par personne, hormis par les salari�s, l� aussi sous-traitants, charg�s de son entretien p�riodique. L�entreprise, ignorant ou n�ayant pas gard� en m�moire l�existence d�une installation �lectrique dans le b�timent, ne se pr�occupait naturellement pas de sa conformit�. Il en allait de m�me pour l��tat du sol dont le moins que l�on puisse dire est qu�il �tait largement m�connu dans l�entreprise. Le d�sengagement produit par le recours � la sous-traitance a ainsi nourri une m�connaissance de la r�alit� qui a renforc� en retour ce d�sengagement. Ce d�sengagement et cette m�connaissance �taient d�autant plus importants que les effectifs organiques du secteur " exp�ditions " dont d�pendait le stockage avaient �t� r�duits � leur plus simple expression en quantit� comme en qualit� et ne pouvaient assurer qu�une supervision tr�s distante.

Le deuxi�me constat est que la sous-traitance de certaines activit�s a entra�n� un d�faut de ma�trise collective des processus mis en �uvre sur le site, en particulier du processus de collecte, de tri et de gestion des d�chets qui �chappait pour une large part au contr�le de l�entreprise. Les diff�rentes enqu�tes ont r�v�l�es une s�rie d�anomalies et de confusions dans la circulation et l�entreposage des diff�rents types de d�chets (produits et emballages) g�r�s par les diff�rentes entreprises intervenantes et il s�est av�r� impossible d��tablir avec exactitude la nature, la quantit�, la provenance et le parcours suivi par les d�chets chimiques susceptibles d�avoir �t� transf�r�s dans le b�timent 221/222. Et cela alors que les incompatibilit�s entre certains produits �taient connues, r�pertori�es dans les �tudes de danger et les analyses de risques et que des proc�dures avaient �t� �labor�es et mises en place pour �viter tout risque de contamination crois�e. Force est ici de constater que les difficult�s de coop�ration et de communication entre les multiples sous-traitants et AZF ont entra�n� une opacit� r�ciproque des activit�s tout � fait pr�judiciable � la s�curit�.

Le troisi�me constat est que l'implication d'entreprises sous-traitantes dans l'�v�nement a �t� un obstacle et un frein � la recherche des causes de l'explosion. D'abord parce que le " d�faut d�int�r�t commun " entre les sous-traitants et l'entreprise a nourri l�hypoth�se d�un acte "criminel" perp�tr� par des salari�s sous-traitants � la suite d�obscurs diff�rents avec le donneur d�ordre. Diff�rents tout aussi r�els qu�habituels dans une relation o� les deux parties, tant c�t� salari�s que c�t� employeurs, agissent dans deux logiques diff�rentes et toujours difficiles � concilier. Quelques conflits survenus dans les jours pr�c�dents ont �t� ainsi mont�s en �pingle pour �chafauder le sc�nario d�une sorte de " r�glement de compte " de certains salari�s de la sous-traitance vis � vis de l�entreprise utilisatrice. Sc�nario que la direction d�AZF s�est toujours refus�e � d�cr�dibiliser alors qu�elle n�a jamais h�sit� � le faire quand des salari�s de la sous-traitance t�moignaient de la r�alit� des conditions de stockage �voqu�es plus haut. Ensuite parce que les entreprises sous-traitantes n�ont jamais �t� associ�es aux enqu�tes du donneur d�ordre sur les causes de l�accident. Cette marginalisation, ajout�e � la pr�carit� de leur situation et aux suspicions pesant sur eux, a eu un effet "d�simplicateur" sur les salari�s des entreprises sous-traitantes par rapport � la recherche des causes de l�accident. Et ce d'autant plus que nombre d'entre eux n'�taient plus en activit� sur le site apr�s l'explosion. Or les salari�s de la sous-traitance �taient de par leur activit� en premi�re ligne du contexte et du d�roulement de l��v�nement et constituaient � ce titre la premi�re source d�information pour comprendre et analyser l��v�nement. Soulignons � ce propos au passage qu�il a fallu passer par eux pour obtenir certaines informations contenues dans ce rapport.

Il ressort � notre avis clairement de ces constats que la relation de sous-traitance a fragilis�e la ma�trise de la s�curit� sur le site.

5. La s�curit� fragilis�e par la d�r�glementation sociale

A la suite de cette catastrophe, la question du risque technologique, et plus g�n�ralement celle de la s�curit� des processus industriels, est venue au premier plan du d�bat social et des pr�occupations des pouvoirs publics, des employeurs, des syndicalistes, des salari�s et des populations concern�s. On ne peut qu�esp�rer que ce d�bat social d�bouchera sur un renforcement des dispositions l�gislatives et r�glementaires visant � assurer plus efficacement la s�curit�/s�ret� de fonctionnement des sites industriels class�s " � risques ". Sont d�ores et d�j� en pr�paration une loi sur la " ma�trise des risques technologiques " et une directive europ�enne concernant " la ma�trise des dangers li�s aux accidents majeurs impliquant des substances dangereuses ". Un rapport parlementaire r�cent avance �galement un certain nombre de propositions nouvelles que le l�gislateur devrait � notre avis retenir.

Tous ces projets prennent en compte la question de la sous-traitance comme facteur de risques et pr�conisent �galement un renforcement de la r�glementation des pratiques dans ce domaine. Le projet de loi sur la ma�trise des risques technologiques pr�voit la constitution de CHSCT compos� de deux formations distinctes (repr�sentant d�une part les salari�s de l�entreprise donneuse d�ordre et d�autre part ceux des entreprises sous-traitantes) et coordonn�es entre elles. Il pr�voit �galement une obligation de consultation des CHSCT en cas d�externalisation de certaines fonctions li�es � la s�curit�.. Le rapport de la commission d�enqu�te parlementaire sur la m�me question va plus loin et pr�conise notamment d�interdire la sous-traitance en cascade, c�est � dire la possibilit� pour une entreprise sous-traitante de sous-traiter elle-m�me � une autre entreprise tout ou partie de son activit�.

Ces �volutions l�gislatives seraient positives. Mais les constats que nous tirons de l�explosion de Toulouse nous conduisent � penser qu�il est faut aller plus loin car ils montrent que c�est la relation de sous-traitance elle-m�me qui est pr�judiciable � la s�curit�.

Une des le�ons essentielles de cette catastrophe est que, dans les industries � risques, le recours � la sous-traitance devrait �tre strictement limit� � des circonstances exceptionnelles, des situations conjoncturelles ou des domaines tr�s sp�cialis�s, � l'exclusion de toute activit� permanente et structurelle de l'entreprise.

�2003 L'investigateur - tous droits r�serv�s