Le fant�me d'un myst�rieux courtier en assurances corse aujourd'hui d�c�d�, Jean-Mathieu Valentini, a plan� sur les d�bats du proc�s Elf, o� il a beaucoup �t� question de son r�le dans l'alimentation des caisses noires du groupe p�trolier fran�ais. Proche de l'ancien M. Afrique d'Elf Andr� Tarallo - ils �taient originaires du m�me village - Valentini, au d�part responsable d'une petite soci�t� de courtage, est devenu avec l'arriv�e de Lo�k Le Floch-Prigent en 1989 un maillon essentiel du nouveau syst�me d'assurances mis en place par le nouveau PDG.
Surtout, gr�ce � un montage complexe incluant des soci�t�s-�crans dans des paradis fiscaux, sa soci�t� �tait charg�e de d�tourner une partie des sommes pay�es par Elf aux assurances sur des comptes appartenant aux dirigeants du groupe, notamment Tarallo et Sirven : 28 millions d'euros au total. "Mon p�re m'avait dit que c'�tait des fonds secrets pour des personnalit�s africaines", explique � la barre St�phane Valentini, 42 ans, poursuivi pour avoir poursuivi l'oeuvre de son p�re apr�s sa mort, en 1991.
Sobre et strict avec son visage juv�nile et son verbe direct, le fils explique que ce sont "Andr� Tarallo et Alfred Sirven" qui lui ont demand� de prendre la succession de son p�re. "Je devais ex�cuter les instructions re�ues sans savoir forc�ment quels �taient les tenants et les aboutissants", dit-il. Interrog� � son tour sur le r�le de cet homme, Lo�k Le Floch-Prigent, qui, conforme � sa strat�gie de d�fense, nie avoir eu connaissance d'un quelconque d�tournement - "je n'�tais pas au courant de d�rivation des fonds" - dresse de Jean-Mathieu Valentini le portrait d'un homme d'influence.
"M. Valentini �tait int�gr� au groupe Elf � un point que je d�couvrais un peu plus tous les jours. Il avait notamment une connaissance des gens que moi je n'avais pas", raconte l'ancien patron, expliquant que cet ancien berger corse l'avait notamment aid� � naviguer entre les "RPR-Gaullistes" et "les ing�nieurs des Mines", selon lui les deux "clans" qui composent Elf.
La mort de cet homme de l'ombre, le 9 janvier 1991, a aussi sem� "l'affolement" des membres dirigeants du groupe, selon l'ex-femme de Le Floch-Prigent, Fatima Bela�d, 48 ans, entendue pour la premi�re fois � la barre du tribunal. Apr�s l'annonce du d�c�s de Jean-Mathieu Valentini, "Alfred Sirven est venu � la maison", explique-t-elle. "Il m'a dit qu'il fallait absolument vider le coffre" du courtier, notamment pour le d�barrasser d'un document "qu'il fallait retrouver le plus rapidement possible".
Selon elle, des membres d'Elf seraient m�me all�s en pleine nuit dans les locaux de la soci�t�, avenue Georges V � Paris, et sont entr�s par effraction chez Valentini � l'aide d'une �chelle pour vider le coffre de ce document compromettant.
Debout � c�t� d'elle, Lo�k Le Floch-Prigent hausse les �paules, semblant constern�: "Ceci n'a pas eu lieu, je conteste formellement". Interrog� � son tour, Alfred Sirven n'a qu'un mot : "Faux!"
Andr� Tarallo, qui �voque un coup de fil re�u de Jean-Mathieu Valentini quelques heures avant son d�c�s, est moins affirmatif. "Il m'a dit: " Oon m'a transport� � l'h�pital, je suis en train de mourir. " Puis il a ajout�: " Attention aux documents! " et il a �clat� de rire".
Depuis la disparition de Foccart, Andr� Tarallo, " cerveau " d'Elf-Afrique et camarade de promotion de Jacques Chirac � l'ENA, est probablement - avec son vieux complice Omar Bongo - le Fran�africain le plus influent. C'est un interm�diaire corse, le milliardaire Andr� Guelfi - "cuisin�" par la juge Eva Joly dans le cadre de l'affaire Elf - qui a "donn�" son co-insulaire Andr� Tarallo. Lui qu'on surnommait " D�d� la sardine ", depuis ses p�ches miraculeuses en Mauritanie, est devenu " D�d� la balance "... Une �volution peu go�t�e de ses amis Pasqua p�re et fils (Charles et Pierre) qui, en filigrane, apparaissent � toutes les pages du dossier Elf. Andr� Tarallo lui-m�me avait "l�ch�" au juge Joly le nom d'un autre p�tro-Corse, Mathieu Valentini... Elle �tait aussi en charge du dossier Isola 2000, o� est impliqu�e la belle-fille de Jacques Toubon. Selon le Canard encha�n� (02/04/97), le procureur saisi de ce m�me dossier se serait vu proposer un poste par la chiracophile Compagnie g�n�rale des eaux ! La juge Joly avait obtenu un carton de documents attestant de d�penses somptuaires de Tarallo, pour 45 millions de F. Le carton a disparu, des locaux-m�mes de la Police judiciaire !
Le nom de Valentini est apparu dans les d�clarations d'Alfred Sirven. L'ancien n�2 d'Elf a avou� avoir re�u de l'argent � titre personnel. Il expliquait �galement qu'une partie des sommes retrouv�es sur ses comptes suisses �tait "des fonds secrets", soit une v�ritable caisse noire de la compagnie p�troli�re.
L'ancien directeur des "affaires g�n�rales" de la compagnie p�troli�re avait ainsi d�clar� en pr�ambule d'une audition par le juge Renaud Van Ruymbeke: "Je m'estime responsable de mes actes et je suis pr�t � en assumer les responsabilit�s, mais je laisse aux autres protagonistes le soin de prendre eux-m�mes, en toute conscience, leurs responsabilit�s."
A cette d�claration d'intention, Alfred Sirven avait donn� une r�elle consistance. Pour la premi�re fois depuis son arrestation aux Philippines, il avait expliqu� avoir re�u de l'argent � titre personnel, expliquant par ailleurs qu'une autre partie des sommes retrouv�es sur ses comptes suisses �tait "des fonds secrets", soit une v�ritable caisse noire de la compagnie p�troli�re.
Ces explications, livr�es par Sirven sur proc�s-verbal, portaient sur le dossier complexe des assurances. Ce volet de l'affaire Elf, initi� par le juge suisse Paul Perraudin, avait montr� qu'� la fin des ann�es 80 les multiples contrats d'assurance du groupe avaient �t� centralis�s entre les mains d'une seule soci�t� de courtage dirig�e par Mathieu Valentini, un homme d'affaires aujourd'hui d�c�d� proche de d'Andr� Tarallo et Andr� Guelfi. Toujours selon la justice, ce syst�me aurait permis de d�gager plusieurs centaines de millions de francs de commissions occultes vers�es en Suisse. Commissions divis�es ensuite en trois et dont les destinataires �taient loin d'�tre totalement identifi�s.
ARCHIVES
Article du Canard Encha�n� n�3990 du 16/04/97
La nuit o� le "Monsieur Afrique" d'Elf est pass� aux demi-aveux
Lors de son audition par Eva Joly, Andr� Tarallo ne met pas directement en cause Bongo. Mais il charge son plus proche conseiller.
Lo�k Le Floch-Prigent et ses avocats ont eu un moment d'intense �motion, le 4 avril dans la soir�e, quand ils ont pr�t� l'oreille � ce qu'Eva Joly �tait en train de dire par t�l�phone � Mme Beauguion, le substitut du procureur de permanence: " Anne-Marie, il faudrait que tu restes, j'aurai besoin de toi pour le d�bat contradictoire. " L'ex-p�d�g� d'Elf �tait entendu pour la �ni�me fois par la juge d'instruction et, � cet instant, il a cru qu'elle voulait le remettre en d�tention (il a d�j� fait pr�s de six mois de prison, en pr�ventive).
Heureusement pour Le Floch, il y avait erreur sur la personne. Eva Joly voulait demander, lors du d�bat contradictoire devant un repr�sentant du parquet, la mise en d�tention d'Andr� Tarallo, le " Monsieur Afrique " du groupe Elf, pr�sident d'Elf Gabon et conseiller personnel du pr�sident Omar Bongo. Si bien que ce soir-l� l'affaire Elf a failli devenir une v�ritable affaire d'Etat. Il s'en est d'ailleurs fallu d'un cheveu - les r�serves formul�es par le procureur g�n�ral Alexandre Benmakhlouf et le paiement rubis sur l'ongle, d'une caution de 10 millions de francs - pour que Tarallo se retrouve en prison.
Ce v�ritable tournant de l'affaire Elf r�v�l� par " Le Monde ", �tait in�vitable depuis l'incarc�ration, le 28 f�vrier, de l'un des interm�diaires du groupe p�trolier pour les contrats � l'�tranger, Andr� Guelfi. Entendu par Eva Joly le 3 avril, cet homme d'affaires avait � plusieurs reprises d�clar� � la magistrate: " Je pourrai compl�ter mes explications quand je serai dehors. " Implicitement, le march� �tait clair: Guelfi �tait dispos� � en dire assez pour sortir de taule, et il restait � la disposition du juge pour la suite.
Interrog� sur les b�n�ficiaires d'une commission, que la magistrate estime injustifi�e, de 20 millions de dollars vers�e par Elf, en 1992, pour la n�gociation d'un contrat au Venezuela, Guelfi avait d'abord cit� le nom d'un gestionnaire de compte londonien, Hagop Nichan. Lequel se fit un plaisir, dans la journ�e du 3 avril, de venir r�pondre aux questions du juge, puis de lui envoyer par fax les bordereaux de versements � diff�rents comptes en Suisse, sur lesquels avaient atterri 10 des 20 millions de dollars. On entrait dans le vif du sujet.
"D�d� la Sardine" au rapport
Avant de pr�ciser, le 4 avril, qu'il avait conserv� 2,5 millions de dollars pour lui, Andr� Guelfi d�clarait � la magistrate : " J'ai fait virer une somme de 5 millions de dollars au profit d'Alfred Sirven [l'ancien conseiller de Le Floch-Prigent pour les "affaires g�n�rales"], compte 57007 SA. " Eva Joly lui ayant demand� " SA veut dire Alfred Sirven ", Guelfi r�pondait, �vasif: " Cela n'est pas sur mais je me rappelle que cette somme �tait destin�e � Sirven. "
Toujours aussi peu cat�gorique, Guelfi, que l'on appelle parfois " D�d� la Sardine " en raison de ses anciennes activit�s dans la p�che au large de la Mauritanie, poursuivait: " Le m�me jour [le 16 ao�t 1992, semble-t-il], j'ai donn� l'ordre de transf�rer la somme de 2,5 millions de dollars au profit du compte 117240 TA Colette. Il s'agit d'un virement au profit d'Andr� Tarallo, mais je me rappelle mon �tonnement car Firmin [le pr�nom d'un interm�diaire v�n�zu�lien] m'avait aussi parl� de Bongo. "
Sans plus de pr�cision, le grand nom, celui du pr�sident du Gabon, �tait fich� pour la premi�re, et la derni�re fois, au cours de cette journ�e cruciale du 4 avril. Mais Eva Joly ne semble pas y avoir vraiment pr�t� attention, se contentant de faire pr�ciser � Guelfi que Colette �tait le pr�nom de l'�pouse de Tarallo et qu'il s'agissait bien d'un compte ouvert par lui. A son tour donc d'�tre sur la sellette.
En fin d'apr�s-midi et durant une bonne partie de la soir�e du 4 avril, Andr� Tarallo va construire une explication � peu pr�s plausible de ces 2,5 millions de dollars re�us en 1992. Dans un premier temps, il explique qu'il a fait la connaissance de Guelfi au cours des obs�ques, en Corse, d'un certain Mathieu Valentini, qui �tait l'interm�diaire du groupe Elf pour le Venezuela. Et Tarallo d'expliquer que Guelfi et Valentini partageaient une passion, celle de l'aviation, et que l'un d'entre eux �tait entr� en relation � ce sujet avec Samuel Dossou, le sp�cialiste du p�trole de Bongo. Pourquoi cette digression ? Eva Joly allait le comprendre tr�s vite.
Les secrets de Colette
Tarallo raconte en effet au juge qu'en ao�t 1992 Guelfi lui a confi� qu'" il y a une part de la commission [sur le Venezuela] qui serait revenue � Valentini pour ses projets d'avion ". Puis il poursuit en racontant qu'il s'est adress� � Dossou, qui lui a confirm� cette histoire et lui a dit: " Ouvrez un compte mais dont je serai le vrai titulaire. " Sans se d�monter, Tarallo ajoute: " J'ai commis la sottise dans ma pr�cipitation, lorsque j'ai ouvert le compte et que le banquier m'a demand� quel �tait le nom de ce compte, j'ai dit "Colette". [...] Ce compte a �t� enti�rement utilis� pour acqu�rir un avion. "
A ce point des explications laborieuses de Tarallo, Eva Joly lui pose une question � peine aimable : " Pour quelles raisons est-ce que vous faites les courses de M. Dossou, vous le num�ro un de l'exploitation-production chez Elf ? " R�ponse encore plus floue: " Parce que M. Dossou voulait une op�ration sp�cifique. " La magistrate n'en tirera rien de plus.
Pourtant, Eva Joly a essay� de pousser Tarallo � la faute. En soulignant, par exemple, la disproportion entre ses revenus et son patrimoine (notamment un appartement achet� 12 millions de francs quai d'Orsay � Paris et une villa de 10 millions en Corse) Tarallo a alors expliqu� qu'il �tait devenu le conseiller de Bongo. Qui le r�mun�re en Suisse ira-t-il jusqu'� pr�ciser.
Visiblement pas convaincue, Eva Joly aurait bien aim� garder un moment Andr� Tarallo au frais. Une technique qui lui a r�ussi notamment pour pousser Gelfi aux aveux. Mais Tarallo est ressorti libre, pour s'envoler aussit�t vers Libreville en compagnie du p�d�g� d'Elf, Philippe Jaffr�, et tenter de calmer Omar Bongo.
Claude Roire
|
|