Les ennuis de la "famille Cantara"
Samedi, 5 avril 2003
Une tentative d'homicide a �t� commise jeudi matin pr�s d'une station-service de Bonifacio. Deux hommes casqu�s � moto ont ouvert le feu sur un homme �g� de 64 ans, avant de prendre la fuite. Jeudi, Cantara se trouvait devant une station-service situ�e � l'entr�e de Bonifacio quand les faits se sont produits. Il attendait que l'appareil de lavage automatique finisse de nettoyer son v�hicule, lorsque deux hommes, sur une moto de 125cm3, ont ralenti � sa hauteur, le passager faisant feu � plusieurs reprises en sa direction.
L'arme de poing utilis�e par le tireur - un calibre 7,65mm, une arme d�su�te, permet de penser qu'il s'agit d'un r�glement de compte entre particuliers et non d'un contrat ex�cut� par des professionnels. La victime n'a �t� que l�g�rement bless�e au bras et a quitt� l'�tablissement une heure plus tard apr�s avoir re�u quelques soins. Beaucoup de Bonifaciens estiment que l'affaire n'en restera pas l�. Il est � peu pr�s certain que les Cantara chercheront � tuer ceux qui ont voulu assassiner Antoine-Joseph Cantara tandis que les agresseurs voudront terminer leur travail.
La victime est bien connue dans l'extr�me-sud de la Corse. Il s'agit d'Antoine-Joseph Cantara, le patriarche d'une famille " terrible ". Son p�re, arriv� de Sardaigne, a fond� la dynastie. Durant les premi�res ann�es de son installation il a laiss� le souvenir d'un chapardeur d'animaux. Puis la famille a cr�� une compagnie de vedettes permettant aux touristes de visiter les grottes de Bonifacio. Entr� en comp�tition avec les vedettes de la famille Chiocca, Antoine-Joseph n'a pas h�sit� � faire feu en 1994, en compagnie de l'un de ses fils sur l'un des Chiocca. Ce dernier avait �t� amput� d'un bras. Identifi�s, les deux Cantara avaient �t� condamn�s et incarc�r�s � Bordeaux. B�n�ficiant d'une libert� conditionnelle, le p�re et le fils avaient �t� interpell�s � Bordeaux apr�s l'attentat en octobre 1996 contre la mairie de la ville. Alain Jupp� alors premier ministre �tait aussi le maire de Bordeaux.
Dans la nuit du 5 au 6 octobre un attentat � la bombe, non revendiqu�, endommageait fortement la mairie de Bordeaux. Le lendemain, le FLNC-Canal Historique, dirig� par Fran�ois Santoni et Charles Pieri revendiquaient l'attentat en question. Le gouvernement a r�pliqu� en annon�ant qu'il combattrait le terrorisme corse " sans faiblesse et sans d�faillance ". Le 12 octobre, la tr�ve, d�cr�t�e neuf mois auparavant par le FLNC-Canal historique, prenait fin. La tr�ve avait " permis " la conf�rence de presse de Tralunca au cours de laquelle quelques centaines de militants cagoul�s et arm�s avaient dict� sa ligne de conduite au gouvernement Jupp�. Un mois et demi apr�s, Alain Jupp� montait � la tribune du Parlement pour d�noncer cette ligne tenue jusqu'alors par son ministre de l'Int�rieur Jean-Louis Debr�, co-organisateur de la conf�rence de presse de Tralunca avec pour le FLNC Fran�ois Santoni, Marie-H�l�ne Mattei et Charles Pieri.
Le 16 octobre, Fran�ois Santoni, secr�taire g�n�ral de la vitrine l�gale du FLNC-Canal historique, A Cuncolta naziunalista, �tait condamn� � un an de prison, dont quatre mois ferme, pour utilisation et transport irr�gulier d'armes � feu. Il avait �t� surpris plusieurs mois auparavant en train de s'entra�ner non loin de Sart�ne. Pour toute explication, il avait donn� aux gendarmes le num�ro de t�l�phone de l'un des hommes de main de Charles Pasqua, Daniel Leandri, en poste au minist�re de l'int�rieur. Le chef nationaliste se cachait alors chez les Cantara, dans leur propri�t� bonifacienne.
Dans la nuit du 16 au 17 octobre, le FLNC perp�trait deux attentats � N�mes, contre le palais de justice et le centre des imp�ts. Dans la matin�e du 17 octobre, une charge explosive a �t� lanc�e par-dessus un mur d'enceinte du palais de justice de Bastia.
De l'avis des sp�cialistes, il s'agissait d'une r�ponse � la condamnation de Fran�ois Santoni.
Dans l'apr�s-midi de cette m�me journ�e de 1996, le Premier ministre Jupp� r�unissait � Matignon les ministres de la D�fense, de la Justice et de l'Int�rieur concern�s par le dossier corse. Peu de temps apr�s, la chancellerie annon�ait l'ouverture d'une information judiciaire contre X � la suite du rassemblement de 600 militants encagoul�s et en armes du FLNC-Canal historique, le 11 janvier 1996 � Tralonca. Cette d�cision, plus de neuf mois apr�s les faits, consommait la rupture du dialogue entre le gouvernement et le plus radical des mouvements corses. Cette information ne donnera rien. Et pour cause, le minist�re de l'int�rieur avait directement organis� la conf�rence de presse. Marie-H�l�ne Mattei, alors compagne de Fran�ois Santoni, �changeant des fax avec les hommes de Jean-Louis Debr�.
Le 24 octobre douze personnes (sept hommes et cinq femmes) �taient interpell�es dans la matin�e par les hommes du Raid et par la police judiciaire dans la r�gion de Bordeaux, � Marseille et Bonifacio, dans le cadre de l'enqu�te sur l'attentat contre la mairie de Bordeaux. Apr�s l'interrogatoire, les femmes ont �t� remises en libert�, les hommes en garde � vue (cinq d'entre eux appartenaient � la famille Cantara, proche de Fran�ois Santoni). Deux (Jean-Jacques et Sauveur Cantara) �taient transf�r�s � Paris. Au cours des diff�rentes op�rations, des armes de poing, des scanners et des t�l�phones mobiles �taient saisies. Une nouvelle op�ration �tait organis�e dans la r�gion de Bonifacio, o� des coups de feu �taient entendus, en fin de matin�e, autour de la villa des Cantara. En d�but de soir�e, en repr�sailles, des inconnus mitraillaient la gendarmerie de Bonifacio. Roger Marion, responsable de la DNAT (police antiterroriste) �crivait dans un rapport destin� au juge Brugui�re apr�s la perquisition au domicile des Cantara :
" Les v�rifications financi�res ne permettaient de retrouver, aucune �criture comptable concernant Pier Luigi VIGNUZZI ou la "compagnie commerciale de Cavallo", ni la trace de la facture d'un montant de 60.000 francs pr�sent�e par Fran�ois SANTONI � ce dernier, malgr� la saisie � nouveau d'un document d�couvert lors d'une perquisition op�r�e le 24 octobre 1996 au domicile de Jean-Jacques CANTARA � BONIFACIO (Corse-du-Sud), dans l'enqu�te diligent�e en vertu de votre d�l�gation judiciaire du 5 octobre 1996 relative � l'attentat � l'explosif commis contre la mairie de BORDEAUX (Gironde), sur lequel figurait la mention manuscrite "Bastia Secu 63.336" et au sujet de laquelle Jean-Jacques CANTARA avait expliqu� qu'il s'agissait du prix des prestations de s�curit� r�alis�es sur l'�le de Cavallo au cours de l'�t� 1996.
Ces �l�ments tendaient � d�montrer que les activit�s de la soci�t� coop�rative ouvri�re de production "Bastia-Securita" n'�taient qu'une source de financement occulte du groupe terroriste "F.L.N.C.- historique".

Le 26 octobre une roquette de fabrication russe �tait tir�e contre la caserne de gendarmerie de Porto-Vecchio. La charge n'�tait pas explosive, mais la roquette a tout de m�me travers� le portail blind� de la caserne puis le mur d'une chambre o� dormaient deux militaires, qui n'ont pas �t� touch�s. Revendication du FLNC-Canal Historique. Une roquette identique sera tir�e contre la sous-pr�fecture de Sart�ne en ao�t 2000 par Armata Corsa le groupe clandestin dont les dirigeants pr�sum�s �taient Fran�ois Santoni et Jean-Michel Rossi. La personne condamn�e pour ce fait, Jean-Pierre Giacomoni �tait un ami des Cantara.
Dans la nuit du 26 au 27 octobre 1996, des coups de feu �taient tir�s par des inconnus sur la fa�ade de la gendarmerie d'Oletta � 25 kilom�tres au sud de Bastia. Quelques heures plus tard, des plastiqueurs minaient le r�fectoire du p�nitencier de Casabianda et le d�truisaient.
Le 27 octobre, 'un des fr�res Cantara, arr�t�s trois jours auparavant, retrouvait la libert�, l'autre, mis en examen par le juge Laurence Le Vert pour reconstitution de ligue dissoute et association de malfaiteur en relation avec une entreprise terroriste, �tait �crou�.
Il y a quelques mois plusieurs membres de la derni�re g�n�ration des Cantara �taient arr�t�s pour un hold-up commis � Bonifacio. L'investigateur �crivait alors :
" Aujourd'hui la famille Cantara, affaiblie par l'incarc�ration de la jeune g�n�ration pour un. hold-up � Bonifacio, fait le dos rond. Elle renie notamment son amiti� avec Fran�ois Santoni et selon de bons renseignements aurait rejoint le cocon d'Indipendenza. C'est qu'en Corse, il faut savoir choisir son camp et celui de Fran�ois Santoni n'�tait pas celui des gagnants. "
Visiblement les ennuis de la famille Cantara ne se sont pas arr�t�s pour autant

Les rapports de la famille Cantara et de Fran�ois Santoni

Longtemps Fran�ois Santoni a esp�r� pouvoir " se retirer " en jouant sur l'argent que lui procureraient les revenus de l'�lot Cavallo et les vedettes des Cantara. Interrog� par une commission parlementaire, le num�ro 2 des RG se montrait particuli�rement discret concernant le dirigeant nationaliste qu'il rencontrait souvent et faisait " visiter " par l'un de ses hommes originaires de la r�gion de Petreto Bicchisano. Bernard Squarcini traite ici des " fortunes " nationalistes en Corse. Il est �vident que Bernard Squarcini qui pr�sente Santoni comme une personne " �levant les sangliers " est tout de m�me un peu en de�� de la r�alit�.

M. Bernard SQUARCINI : Des fortunes ont �t� constitu�es simplement gr�ce � des subventions de l'Etat dans le domaine agricole, mais l'enqu�te diligent�e par le pr�fet Bonnet sur les diff�rents pr�ts octroy�s par le Cr�dit agricole d�montre parfaitement bien que les dossiers ont �t� mont�s et suivis jusqu'au bout. Qu'ensuite, chaque ann�e, les b�n�ficiaires aient eu besoin d'une petite rallonge et qu'on la leur ait accord�e, cela fait partie des r�gles de fonctionnement de l'Etat et des services ext�rieurs qui sont plac�s sous l'autorit� des pr�fets de r�gion.
Le racket et l'imp�t r�volutionnaire ont exist� et existent encore dans des proportions moindres, mais ils servaient surtout � financer la lutte et les cadres des mouvements nationalistes. Le fait est qu'il y a eu des d�rapages de la part de certaines personnes. Des individus en ont certainement profit� ; je ne sais s'il existe une commission de contr�le et des contentieux au sein du FLNC ou des FLNC mais je pense qu'ils ont d� avoir des explications de gravure.
Toujours est-il que concernant la fortune actuelle, il n'en reste plus grand-chose. Alain Orsoni, qui a �t� le dirigeant du MPA le plus connu, est insolvable puisqu'il n'a toujours pas pay� l'indemnit� qu'il doit aux gardes mobiles de l'ambassade d'Iran sur lesquels il avait jet� une grenade dans les ann�es 80. Je ne sais donc pas s'il a vraiment de l'argent.

M. le Pr�sident : L'insolvabilit� n'est pas toujours la d�monstration patente du manque de moyens. On peut l'organiser.

M. Bernard SQUARCINI : C'est ce que l'on a essay� de d�montrer, en termes judiciaires, mais cela n'a pas fonctionn�.

M. le Pr�sident : Et Santoni, par exemple ?

M. Bernard SQUARCINI : Santoni est actuellement h�berg� � Bonifacio chez Jean-Jacques Cantara. Il �l�ve des sangliers au naturel et n'�prouve pas de besoins particuliers. Il ne doit m�me pas poss�der de v�hicule. Il est h�berg� chez l'habitant dans le sud de l'�le.

M. le Rapporteur : Il est mis en examen dans l'affaire de Cavallo...

M. Bernard SQUARCINI : ... ainsi que de Sp�rone II. Dans l'affaire de Cavallo, c'est pour association de malfaiteurs.

M. le Rapporteur : Oui, mais il est mis en examen dans ces deux affaires.

M. le Pr�sident : N'est-ce pas lui qui poss�de des vedettes qui font des navettes... ?

M. Bernard SQUARCINI : Non, c'est la famille Cantara.

M. le Pr�sident : J'avais cru entendre cela, il y a peu de temps � la t�l�vision.

M. Bernard SQUARCINI : � ma connaissance, non. Tout ceci s'inscrit dans le cadre de la microsoci�t� que constituent les promenades en mer par vedette sur le vieux port de Bonifacio. Cette activit� donne lieu � des r�glements de comptes, de fa�on rituelle, en raison d'une concurrence exacerb�e. Cependant, quand on pr�tend que Fran�ois Santoni poss�de des vedettes, je ne sais pas sur quels fondements une telle affirmation peut reposer.

M. le Pr�sident : A votre avis, quelle est la part du grand banditisme dans le terrorisme ? Les renseignements g�n�raux ont quand m�me des �l�ments pour l'appr�cier ! On a parl� de la Brise de mer ou d'autres associations de ce genre qui fondent leur activit� sur la commission d'un certain nombre d'infractions graves, d�lits et crimes de toute nature. Y a-t-il une p�n�tration du mouvement nationaliste de la part des milieux mafieux ou inversement ?

J'ajoute une autre question : parmi les �lus, de quel poids p�sent les mouvements nationalistes dans les grandes orientations prises en Corse par les institutions et organismes l�gaux ?

M. Bernard SQUARCINI : � propos de ce que l'on a appel� la Brise de mer, il faudrait interroger plus sp�cialement la sous-direction des affaires �conomiques et financi�res de la police judiciaire. Tout cela commence � dater : ce sont des gens qui vivent des investissements qu'ils ont r�alis�s depuis des ann�es et qui sont rentr�s plus ou moins dans la norme. Ils vivent en autarcie et ne veulent pas avoir de contact avec le milieu nationaliste, et l'inverse est vrai. Que le mouvement nationaliste ait adopt�, � un moment donn�, certaines m�thodes de type mafieux ou de type " voyou " semble �vident, c'est m�me ce qui fut � l'origine de certaines dissensions internes et de ruptures au sein du mouvement.
Quant aux liens avec la mafia italienne, on a essay� de les d�monter en termes judiciaires, au travers d'une longue enqu�te qui a �t� celle de la CODIL de l'�le de Cavallo dans l'archipel des Lavezzi, puisqu'il y avait l� une emprise de la camorra napolitaine par deux personnages, Pier Luigi Vignuzzi et Lillio Lauricella. Cette �le a subi plusieurs demandes de racket de la part de toutes les organisations nationalistes clandestines. Lorsque le front �tait unique, cela allait encore, mais lorsqu'il s'est divis�, il y a eu surench�re. Tout ceci a plus ou moins fonctionn�. Nous �tions l� dans le racket pur, de la m�me fa�on que d'autres entreprises continentales ou corses peuvent l'�tre. Des affaires judiciaires pass�es l'ont attest�, cela ne faisait aucun doute.

Le pr�fet Broussard a d�montr� le lien qui pouvait exister, en 1983, entre le c�t� " voyou de droit commun " et le c�t� nationaliste, avec toutes les d�rives qui peuvent en d�couler. Je crois qu'il y a eu une �volution. En tous les cas, sur le syst�me mafieux, l'enqu�te men�e avec la police judiciaire et en collaboration avec les Italiens a montr� que les fonds qui arrivaient sur l'�le de Cavallo, pour y �tre plac�s, venaient en r�alit� de Suisse. Mais leur provenance �tait italienne et il revenait en r�alit� donc aux Italiens d'en d�montrer l'origine suspecte, li�e notamment au trafic de stup�fiants de l'Italie vers la Suisse. On attend.


�2003 L'investigateur - tous droits r�serv�s