Borgo, prison passoire...
Samedi, 8 mars 2003
Borgo prison passoire ?

Bastia� Place Saint-Nicolas. Vendredi matin. La lecture du seul quotidien de l'�le, Corse-Matin, provoque un gigantesque �clat de rire parmi les fid�les de l'un des nombreux caf�s de cette place o� autrefois on guillotinait les condamn�s � mort. En gros titre � la une, le quotidien �crit : La maison d'arr�t de Borgo va tisser sa toile d'araign�e

Des filins anti-h�licopt�res vont recouvrir l'ensemble du site, les cours et les b�timents. Le march� a �t� d�finitivement attribu�. Ces derni�res ann�es, six �vasions et quelques tentatives avaient fragilis� l'administration p�nitentiaire� tandis que RCFM, la radio la plus �cout�e de l'�le ne cesse de revenir sur l'�vasion invraisemblable du bras droit du fils de Francis Mariani, l'un des barons de la Brise de Mer. Au fil des heures les pr�cisions arrivent. On sait d�sormais comment Menconi a r�ussi une fois encore � jouer la fille de l'air.

Il a b�n�fici� de la complicit� d'un commando de "trois hommes cagoul�s", selon un communiqu� de la Chancellerie, pr�cisant qu'ils "se sont �vad�s avec une arme et un lance-roquettes factices". Et dire que Menconi avait d�j� �t� condamn� � neuf ans de prison pour �vasion de la m�me prison.

Selon les premiers �l�ments de l'enqu�te, Menconi Joseph Menconi s'est lui-m�me �chapp� de sa cellule en "sciant les barreaux" de la fen�tre. Il avait au pr�alable d�mont� la porte des toilettes de sa cellule qu'il a utilis�e pour se hisser sur le toit. Une fois sur la toiture, il est redescendu par une �chelle de corde. Il avait �galement pris soin de cadenasser une porte derri�re laquelle se trouvaient les surveillants, les emp�chant ainsi d'intervenir, selon un porte parole du syndicat des gardiens de prison. Muni d'une arme � feu factice, il s'est dirig� vers la sortie et a menac� le surveillant de garde � l'entr�e de la prison, tenu lui-m�me en joue de l'ext�rieur par les trois complices arm�s d'un faux lance-roquettes. Le gardien lui a alors ouvert la porte. Les fausses armes ont �t� abandonn�es sur place.
Le Plan Epervier a �t� d�clench�, avec une surveillance particuli�re sur les points de d�parts de l'�le. L'OCRB et le SRPJ d'Ajaccio ont �t� charg� de l'enqu�te.
Un p�rim�tre de s�curit� a �t� install� autour de la maison d'arr�t, o� s'est rendu le procureur de la R�publique de Bastia, Patrick Beau.

Il avait �t� repris en douceur le 3 janvier � Rocquencourt dans les Yvelines par l'Office central pour la r�pression du banditisme (OCRB) apr�s une traque de 4 ans.
Ce qui est certain c'est que ses complices �taient tr�s s�rs d'eux pour oser une telle op�ration � 4 heures du matin au risque de tomber sur des barrages de gendarmes. Les enqu�teurs envisagent trois hypoth�ses : Menconi est toujours en Corse et attend dans une planque plusieurs jours avant d'�tre exfiltr�. Il a pris un bateau pour filer vers la c�te d'Azur ou l'Italie toute proche. Il a �t� embarqu� dans un camion en partance par Livourne via un ferry.

Dans tous les cas, la Chancellerie s'attend � �tre interpell�e � la Chambre des D�put�s. Le transfert des d�tenus nationalistes venait tout juste de commencer. Elle a d'ores et d�j� annoncer que cela ne remettait pas en cause le mouvement des prisonniers vers la Corse. La Chancellerie avait par ailleurs annonc� � ce propos des mesures anti-�vasion spectaculaires qui faisaient justement la une de Corse-Matin. Trop tard pour Menconi. Des rumeurs filtraient ce matin � Bastia sur les conditions pour le moins �tonnantes dans lesquelles les Barons de la Brise de Mer vivent une vie de pacha � Borgo. Quant aux gardiens, ils recevraient r�guli�rement des avertissements provenant du grand banditisme et des nationalistes. Bonjour l'ambiance pour les ann�es � venir.

Tout cela devrait �tre remis en cause apr�s cette �vasion qui va permettre de resserrer les boulons . Quelques �chos �touff�s ont filtr� depuis le si�ge de l'OCRB � Paris o� les policiers ne d�col�rent pas. Quatre ans d'efforts r�duits � n�ant � cause du manque de pr�caution de l'administration p�nitentiaire de Borgo.
Rappelons que Menconi devait �tre prochainement jug� par la cour d'assises de Haute-Corse pour le meurtre d'un l�gionnaire, tu� par balles apr�s une altercation dans un bar de Calvi le 2 ao�t 1997.

Son portrait est trac� dans Le Monde dat� du 7 mars 2003 : " Pour les gendarmes corses, qui le traquaient depuis quatre ans sur la C�te d'Azur, et surtout pour l'Office central de la r�pression du banditisme (OCRB), qui l'a trouv� pr�s de Paris, le coup est dur : " On le cherchait partout, entre Cannes et Toulon. Il avait un c�t� flambeur, avec sa d�capotable, ses lunettes de soleil, son go�t pour le ski � Courchevel." En 2001, ils avaient failli l'arr�ter une premi�re fois, lorsqu'il �tait venu embrasser son fr�re, chanteur dans un ch�ur invit� � �gayer un mariage parisien, pr�s de l'Arc de Triomphe, mais les policiers avaient perdu la piste de son scooter.
Le 3 janvier, la police l'arr�te presque par hasard, � Rocquencourt. Ils cherchent un autre truand, Antonio Ferrara, un Italien qui se fait appeler "Roberto Succo", en hommage � l'homme qui tua sans mobile apparent plusieurs personnes dans le Sud-Est, entre 1986 et 1987, et s'�tait �vad� en ao�t 1998 de Fleury-M�rogis. Sur M. Ferrera, elle trouve deux cl�s et une t�l�commande de garage. Apr�s des mois de recherches, elle d�couvre que cette t�l�commande sert � Jos� Menconi, qu'elle arr�te au petit matin sur sa moto BMW, devant sa "planque". Pour les policiers, le Corse guignait le "march�" parisien, le braqueur italien avait besoin d'un bon artificier.

Par son parcours, Jos� Menconi se trouve � la crois�e de deux mondes. D'abord, le grand banditisme du sud-est de la France - Menconi "passait" beaucoup par Aix-en-Provence - et de la banlieue parisienne. Ensuite, celui de la Brise de mer, gang bastiais mythique, baptis� du nom du caf� o� ils se r�unirent longtemps, sur le vieux port de Bastia, et dont les liens avec une partie du milieu nationaliste corse int�ressent juges et politiques. "Jos�" est en effet l'ami de Jacques Mariani, fils de Francis, baron de la Brise de mer. Ils repr�sentent la nouvelle g�n�ration de feu la Brise de mer, aujourd'hui �clat�e en plusieurs gangs. "

Il avait aussi �t� mis en examen pour assassinat, en janvier, par un juge d'instruction de Bastia dans l'enqu�te sur le double assassinat de Dominique, 25 ans, et Jean-Christophe Marcelli, 24 ans, dont les corps calcin�s avaient �t� d�couverts le 21 ao�t 2001 � Moriani-Plage, au sud de Bastia. Les Marcelli auraient �t� proches d'Armata Corsa. Ces crimes avaient provoqu� une forte �motion en Corse car ils survenaient quatre jours apr�s l'assassinat du leader nationaliste Fran�ois Santoni, le 17 ao�t � Monaccia-d'Aull�ne (Corse-du-Sud). On donnait �galement Menconi comme l'un des acteurs de cet assassinat.
Enfin, un attentat � l'explosif, attribu� au FLNC Union des combattants avait vis�, dans la nuit du 28 f�vrier au 1er mars, la maison d'arr�t, provoquant des d�g�ts tr�s l�gers au mur d'enceinte.

La question qui est maintenant pos�e � la justice est celle-ci : depuis quelques ann�es on s'�vade beaucoup de Borgo avec des moyens factices : fax, armes lourdes. Dans de telles conditions � quoi servent les gardiens ? L'un d'entre eux interrog�s a r�pondu qu'il ne voyait pas comment r�sister � un bazooka dont on ne sait pas � l'avance s'il est vrai ou faux. Un tel raisonnement va s�rement donner beaucoup d'id�es � tous les voyous emprisonn�s en France. Il suffit donc d'arriver devant une porte de n'importe quelle prison fran�aise arm�e d'un bazooka en bois pour faire lib�rer ses complices.

Deuxi�me question : comment Menconi mis en cellule de s�curit� (l'ancien mitard) a pu se trouver en possession d'un faux pistolet, d'une cha�ne, d'un cadenas et d'une �chelle de corde ? Comment a-t-il pu savoir que pr�cis�ment � cette heure-l� ses amis seraient � la porte ? Cela suppose beaucoup de complicit�s jusque parmi les gardiens. L'accusation est grave mais c'est la seule qui puisse expliquer un tel mat�riel dans la cellule de s�curit� ou cach�e � un endroit ext�rieur que Minconi connaissait. En pareil cas, qui a mis le mat�riel dans la cache ?

L'�vasion par fax de Francis Mariani et de ses deux complices supposait d�j� une bonne connaissance de la logique p�nitentiaire. Il supposait aussi une infrastructure pour recueillir les fuyards. Mais cela supposait aussi que l'absence du directeur ce jour-l� �tait peut-�tre due � une cause pr�cise : des menaces de mort sur ce fonctionnaire afin qu'il laisse faire. Pour ce qui concerne l'�vasion de Menconi, on peut imaginer le m�me sc�nario. Des gardiens sont approch�s : on leur promet la mort s'ils n'ob�issent pas aux ordres des amis de Menconi. Ce sont donc des gardiens qui placent les objets dans la cache. Il est vrai que des quartiers de Borgo ont la r�putation d'�tre en les mains des ca�ds. Mais pas l'endroit de la cellule de s�curit�.

Une enqu�te est ouverte. Mais est-il bien sage d'envisager un regroupement des d�tenus corses dans de telles conditions. La Chancellerie feint de croire qu'on ne parle que des d�tenus emprisonn�s pour appartenance � des mouvements clandestins. Or Nicolas Sarkozy a bien insist� sur le fait que le regroupement concernerait tous les d�tenus sans distinction de type de condamnations. En d'autres termes, on trouvera � Borgo et � Ajaccio le gratin du milieu insulaire et les plus dangereux des clandestins. De quoi donner le tournis aux autorit�s judiciaires. L'un des repr�sentants des syndicats de gardien a propos� une solution de bon sens : toute personne qui s'�vadera ne sera pas r�incarc�r� en Corse en cas de capture. Ainsi seront dissuad�s les plus entreprenants des voyous.

R�actions � l'�vasion de Jos� Menconi

"Cette �vasion a r�duit � n�ant plusieurs mois d'enqu�tes difficiles diligent�es par les fonctionnaires de la PJ", a protest� le syndicat national des officiers de police, d�non�ant un "grave dysfonctionnement de l'Administration p�nitentiaire".

De son cot� �lev� Charles Margner, le secr�taire r�gional de l'Union f�d�rale autonome p�nitentiaire a d�clar� qu'il �tait " inadmissible que la Chancellerie ait r�incarc�r� ce d�tenu � Borgo alors qu'il s'en �tait d�j� �vad�"

Le secr�taire g�n�ral du syndicat national p�nitentiaire Force Ouvri�re a r�clam� lui une "r�union rapide" avec les pouvoirs publics sur la "s�curisation � l'ext�rieur des prisons"

Les repr�sentants Force Ouvri�re des directeurs de prison, FO-Direction, ont �galement invit� le ministre de la Justice, Dominique Perben, � "ouvrir une large consultation sur la s�curit� des �tablissements", et � "prendre conscience que la population p�nale est de plus en plus violente".

Autre r�action, celle de Synergie, second syndicat chez les officiers de police, qui s'est d�clar� "scandalis�" par cette �vasion. Le syndicat d�nonce " l'absence de conditions de s�curit� au centre p�nitentiaire de Borgo, v�ritable club de d�tention o� r�gne la libert� d'aller et venir".

Le Parti socialiste a demand� une commission d'enqu�te jugeant "la situation en Corse tr�s pr�occupante". le PS estime que "cette �vasion de la prison montre qu'il y a un probl�me entre les annonces pr�cipit�es qui ont �t� faites il y a quelques mois par le Garde des sceaux et la s�curit� qu'est capable de fournir cet �tablissement".

Le ministre de la justice, Dominique Perben, a assur� que cette �vasion ne remettait pas en cause le regroupement de d�tenus corses, y compris ceux condamn�s pour des faits de terrorisme. Il a annonc� que l'inspection des services p�nitentiaires ferait un "rapport pr�cis" au cours du week-end :

"L'inspection des services p�nitentiaires est sur place depuis la fin de la matin�e. Elle fera un rapport pr�cis au cours du week-end. En fonction de ce rapport je verrai les mesures n�cessaires � prendre pour corriger les choses dans cet �tablissement, s'il doit y avoir une correction. J'attends les r�sultats de l'enqu�te", a dit le ministre.

�2003 L'investigateur - tous droits r�serv�s