Nicolas Sarkozy a donn� une interview au quotidien Le Monde la veille de sa venue en Corse. C�est un ministre de l�int�rieur d�cid� qui s�exprime sans craindre l�emballement
Dans cette interview que nous reproduisons ci-dessous, Nicolas Sarkozy affirme sans ambages sa volont� de mettre fin au syst�me financier de la clandestinit�. Il affirme mesurer la "pertinence" de l'enqu�te financi�re visant le nationaliste Charles Pieri "� l'aune de la violence des r�actions de ces derniers jours", marqu�s par des attentats visant les forces de l'ordre en Corse.
Le ministre de l'Int�rieur qui entame jeudi son dixi�me d�placement en Corse, assure que le gouvernement, qui continuera "� poursuivre les poseurs de bombes", a d�cid� de "s'attaquer prioritairement � l'argent du crime - la base du syst�me mafieux - obtenu par le racket, le plastiquage et l'�conomie souterraine". Il ne pr�cise pas par ailleurs ce qu�il entend faire contre le grand banditisme qui poss�de notamment dans la r�gion bastiaise de v�ritable circuit de blanchiment de l�argent sale.
Ajoutant que ce "travail n'avait pas �t� engag� auparavant", M. Sarkozy affirme que l'on "peut mesurer la pertinence de cette action � l'aune de la violence de ces derniers jours".
"Faut-il que l'honn�tet� des gens suspect�s soit sujette � caution pour que les policiers enqu�teurs soient le lendemain victimes d'attentats contre leurs biens?", s'interroge le ministre de l'Int�rieur apr�s les attentats visant des policiers ayant particip� aux perquisitions ciblant, via son entourage, Charles Pieri.
M. Sarkozy reconna�t qu'il a "sans doute sous-estim�" le syst�me mafieux en Corse mais r�p�te qu'il "croit � la n�cessit� du dialogue politique, y compris avec les nationalistes sinc�res". Ce faisant, Nicolas Sarkozy joue �videmment sur caract�re affectif du terme � mafieux �. Il n�existe pas en effet en Corse de mafia au sens propre du terme. � l�inverse, on estime � 10% l�argent noir qui circule sans qu�il ait �t� possible jusqu�� maintenant de mettre un terme � cette �conomie parall�le.
Interrog� sur la victoire du non au r�f�rendum institutionnel du 6 juillet, le ministre d�clare que la "question de la r�forme institutionnelle est derri�re nous" et que "rouvrir la discussion serait recr�er des divisions". Il ajoute que des "adaptations l�gislatives" pour la Corse, sur des textes tels que la loi Montagne ou la loi Littoral, sont "tout � fait possibles � titre exp�rimental". Ce disant, le ministre de l�int�rieur se trompe �videmment sur le fond tout en ayant raison sur la forme. Sur la forme d�abord, le pari du r�f�rendum a �t� rat�. Non pas simplement � cause des 1415 voix qui ont manqu� � l�appel (encore que si elles avaient �t� l� bien des choses auraient chang�) mais parce que la Corse est profond�ment coup�e en deux. Allons plus loin : la violence nationaliste est la cause essentielle de cette coupure. Parce qu�elle focalise toutes les attentions et d�forme les d�bats, elle a apport� au � non � les voix qui ont manqu� � une victoire du � oui �.
Sur le fond, Nicolas Sarkozy a tort. Le probl�me pos� par le r�f�rendum, c�est-�-dire celui d�une plus grande ma�trise de la Corse par les Corses eux-m�mes, continuera de se poser m�me si la question institutionnelle n�est pas pos�e.
Pourtant on ne peut que donner raison au ministre lorsqu�il pose en pr�alable de toute discussion � la fin de la peur �. N�anmoins il devra se garder de ne pas criminaliser la famille nationaliste qui, malgr� les apparences actuelles, recueille vraisemblablement une grande partie de la rel�ve politique de demain. Ayant r�cemment parl� de � quelques autonomistes sinc�res � il a confondu comme aux temps anciens de Charles Pasqua, autonomistes et nationalistes. Cette fa�on de criminaliser les nationalistes ne fonctionnera que s�il prend soin de s�parer le bon grain de l�ivraie. Dans le cas contraire, il �chouera comme ses pr�d�cesseurs. � moins qu�il ne veuille se servir de cette criminalisation comme d�un tremplin pour mieux rebondir sur le continent. Auquel cas FLNC et ministre de l�int�rieur suivraient paradoxalement le m�me chemin sinueux.
Ce dixi�me d�placement de M. Sarkozy en Corse, qui comporte un important volet �conomique, est l'occasion pour M. Sarkozy d'assurer que "tant que l'on ne proposera pas un emploi et un avenir aux jeunes Corses, certains seront tent�s par le pire".
Le ministre annonce enfin son intention d'effectuer un onzi�me voyage en Corse au mois de novembre.
Voici l�interview que Nicolas Sarkozy a donn�e au quotidien Le Monde.
Nicolas Sarkozy : "Nous voulons �radiquer la peur en Corse"
Avant d'entreprendre, jeudi 30 octobre � Ajaccio, sa dixi�me visite sur l'�le, le ministre de l'int�rieur reconna�t avoir "sous-estim� l'implantation" de la Mafia dans certains cercles nationalistes. R�affirmant la pr�sence de l'�tat, il conditionne le dialogue � la "neutralisation du syst�me mafieux".
Le texte de cet entretien a �t� relu et amend� par M. Sarkozy.
Une nouvelle fois, la Corse est plong�e dans un cycle de violences...
Depuis trente ans, la violence r�gne sur l'�le avec des p�riodes plus ou moins �ruptives. Chaque ann�e, la Corse oscille entre 100 et 250 attentats. Toutes les tentatives de r�glement politique ont failli. � chaque fois que les clandestins ont eu l'occasion de sortir de la clandestinit�, cela a �chou�. Parfois de peu d'ailleurs, comme pour les accords de Matignon ou le r�f�rendum. Malgr� le contexte actuel, je note des �volutions positives sur l'�le : la multiplication des t�moignages de Corses dans les enqu�tes polici�res, un ras-le-bol croissant � l'�gard de la violence, le nombre de personnes pr�sentes pour le r�tablissement de la st�le � la m�moire du pr�fet Erignac. Les Corses ont envie de montrer le v�ritable visage de leur �le. Ils n'acceptent plus qu'il soit d�figur� par le comportement d'une minorit� violente.
Comment comptez-vous sortir de la surench�re de la violence ?
Nous continuerons � poursuivre les poseurs de bombes mais nous avons d�cid� de nous attaquer prioritairement � l'argent du crime - la base du syst�me mafieux - obtenu par le racket, le plastiquage ou l'�conomie souterraine. Gr�ce � cette action, nous voulons �radiquer la peur en Corse et lib�rer la parole. Ce travail n'avait pas �t� engag� auparavant. On peut mesurer la pertinence de cette action � l'aune de la violence des r�actions de ces derniers jours. Faut-il que l'honn�tet� des gens suspect�s soit sujette � caution pour que les policiers enqu�teurs soient le lendemain victimes d'attentats contre leurs biens. Sans doute un hasard !
L'arrestation d'Yvan Colonna avait �t� obtenue dans la plus grande discr�tion. Cette fois, les perquisitions ont eu lieu devant les cam�ras...
Je regrette cette m�diatisation. Dans le cas d'Yvan Colonna, la discr�tion a pu �tre garantie car les intervenants �taient tr�s peu nombreux. Il s'agissait d'ex�cuter un mandat d'arr�t, et non de perquisitionner une dizaine de sites. Mais ce n'est pas le principal. Le principal, c'est que la justice puisse faire le tri entre la v�rit� et la rumeur.
Faites-vous de la lutte contre le "syst�me mafieux" un pr�alable � tout le reste ?
J'ai eu la na�vet� de penser qu'une discussion loyale pouvait avoir lieu avant que la neutralisation du syst�me mafieux soit achev�e. J'ai sans doute sous-estim� son implantation en Corse. Regardez les attentats : ils se poursuivent que la tr�ve soit d�clar�e ou non. Pourquoi ? Parce que certains vivent de �a. On ne peut passer au-dessus de cette r�alit� pour nouer un dialogue politique sinc�re. Je crois � la n�cessit� du dialogue politique, y compris avec les nationalistes sinc�res. Mais tant que la parole n'est pas libre dans cette micro-soci�t� o� r�gne la peur, on ne peut progresser utilement.
Ne vous heurtez-vous pas aux m�mes difficult�s que vos pr�d�cesseurs lorsqu'il s'agit de distinguer les ind�pendantistes en cagoule et ceux en cravate ?
La justice fera la diff�rence entre les gens qui vivent de l'argent du crime et ceux qui vivent de leur travail. Je veux cependant noter que, depuis mai 2002, l'impunit� recule en Corse : 50 personnes ont �t� �crou�es pour terrorisme, 9 ont �t� plac�es sous contr�le judiciaire, tandis que 20 mafieux ont �t� �crou�s pour grand banditisme. L'action courageuse de la police et de la gendarmerie ne s'arr�tera pas l�. Je veux rendre hommage � leur travail. La Corse fait partie de la R�publique. Sachons en tirer toutes les cons�quences.
Comment jugez-vous la politique du parquet de Paris, qui consiste � qualifier de terroriste des affaires comme celle de la gendarmerie de Luri ?
En Corse, on a la f�cheuse tendance de toujours contester la forme, la m�thode, le juge, le moment. Cela pos�, dans le cas de Luri, je ne consid�re pas qu'il s'agit d'une action terroriste et mafieuse, mais de gestes inqualifiables contre des gendarmes, des gestes qui doivent �tre sanctionn�s. Si les coupables �taient ramen�s � Bastia, je n'y verrais aucun inconv�nient. Cela dit, vous me demandez une appr�ciation. J'observe que le parquet de Paris conduit une politique d�termin�e et efficace.
Qu'avez-vous retenu de la victoire du "non" au r�f�rendum du 6 juillet ?
La le�on du 6 juillet, c'est que la Corse s'est retrouv�e coup�e en deux. La question de la r�forme institutionnelle est derri�re nous. Rouvrir la discussion serait recr�er des divisions. Ce serait donc contre-productif.
Sur quel terrain esp�rez-vous relancer votre action ?
Les institutions restant inchang�es, il faut utiliser pleinement les instruments qui existent ; la loi du 22 janvier 2002 organise le transfert d'un grand nombre de comp�tences. S'y est ajout�e la r�forme constitutionnelle sur la d�centralisation. Je vais demander aux �lus de travailler, dans le respect de l'environnement, � l'adaptation de textes tels que la loi Montagne ou la loi Littoral, aux sp�cificit�s insulaires. Ces adaptations l�gislatives sont tout � fait possibles � titre exp�rimental. Aux �lus corses d'utiliser pleinement ces possibilit�s.
Ce dixi�me voyage est plac� sous le signe de l'�conomie. Est-ce vraiment la priorit� ?
Oui. Tant que l'on ne proposera pas un emploi et un avenir aux jeunes Corses, certains seront tent�s par le pire. Il faut s'attaquer � des sujets comme l'indivision qui st�rilise toute initiative dans l'�le et entrave la revitalisation de l'int�rieur. Je veux favoriser l'intercommunalit� en relevant le plafond des subventions aux projets qu'elle porte de 80 % � 90 %. Par ailleurs, l'�tat doit rester tr�s pr�sent en Corse. Il garantit le maintien des services publics. On ne ferme pas de classes dans les �coles ; le solde est positif de deux en 2003. On ne ferme pas les tr�soreries. L'�tat doit rester tr�s pr�sent en Corse. Tous les engagements que nous avons pris avec Jean-Pierre Raffarin seront tenus : affectation de dix nouveaux postes de professeur � l'universit� de Corte en 2004 et 2005 ; cr�ation dans cette m�me universit� d'un institut europ�en de gestion des risques ; aide au d�sendettement des agriculteurs. Le gouvernement a promis pour cela 25 millions d'euros avec pour objectif de revenir au capital initial. Je proposerai enfin que soient �tudi�es des mesures qui favorisent la mobilisation de l'�pargne locale en faveur de l'investissement des entreprises.
Beaucoup d'�lus estiment qu'il faut attendre les �lections de mars prochain pour y voir plus clair...
Attendre, toujours attendre ! Ce n'est pas une politique. Les Corses n'ont que trop attendu. Bien s�r l'approche des �lections me fait un devoir de rester un interlocuteur pour tout le monde. Il faut parler avec tous ceux qui sont pr�ts � travailler pour la Corse. Quant � l'�lection de mars, elle va provoquer un vrai changement : l'assembl�e territoriale va passer de 7 � 25 femmes. Je suis certain que la culture du dialogue et du pragmatisme s'en trouvera renforc�e. C'est n�cessaire.
Selon un sondage Ipsos, diffus� dimanche 26 octobre dans "Le Vrai Journal" de Canal+, 35 % des Fran�ais se d�clarent favorables � l'ind�pendance de la Corse. Le foss� ne cesse de s'accro�tre entre l'�le et le continent...
Il s'accro�t, c'est incontestable. C'est une r�action d'humeur sans doute compr�hensible. Mais, quand on est ministre de l'int�rieur, on doit aller au-del� des r�actions d'humeur. Je veux rappeler que les Corses sont les premi�res victimes de cette situation, par la faute d'une minorit� irresponsable et dangereuse. C'est pourquoi il faut agir sur les deux plans que sont la s�curit� et le d�veloppement.
Propos recueillis par Pascal Ceaux et Piotr Smolar
TOUT LE DOSSIER CORSE
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